Escroquerie : le point de départ du délai de prescription.

Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.

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Explorer : # escroquerie # prescription # délai # abus de confiance

Le point de départ du délai de prescription de trois ans en matière de délit est à l’évidence fondamental.
A cet égard l’escroquerie et l’abus de confiance ne sont pas logés à la même enseigne.

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1 L’escroquerie : point de départ de la prescription : la commission des faits

L’escroquerie est une infraction instantanée dont le délai de prescription ne saurait commencer à courir à compter de la découverte des faits mais bien à compter de la commission même de l’escroquerie [1].

Dans le cas d’espèce, les plaignant avaient été contactés en septembre 1998 par un conseiller financier qui, avec l’assistance d’un notaire, les avaient déterminés, en les persuadant qu’ils bénéficieraient des avantages fiscaux résultant de la loi « Perissol » et de la loi sur les monuments historiques, à acquérir, le 31 décembre 1998, un bien immobilier inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Le 9 juin 2000, un redressement fiscal leur a été notifié dont le bien-fondé a été confirmé le 30 novembre 2004 par le Tribunal administratif.

Il a ainsi été jugé que leur acquisition relevait en réalité d’un régime fiscal qui n’entrait dans les prévisions d’aucune de ces deux lois.

Les plaignants soutenaient n’avoir pris conscience de l’escroquerie dont ils ont été victimes qu’à compter de la notification du redressement fiscal le 9 juin 2000.

Dans son arrêt du 8 septembre 2010, la Cour de cassation a, toutefois, rappelé que l’escroquerie « infraction instantanée dont le point de départ du délai de prescription ne saurait être retardé à la date où le bien acquis a été donné à bail, à celle où les emprunts contractés pour financer l’opération ont été remboursés ou encore à celle où les parties civiles soutiennent avoir eu connaissance du délit, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 8 du Code de Procédure Pénale. »

Dans cet arrêt, elle a ainsi jugé que « l’escroquerie étant un délit instantané, la prescription court à compter de la remise des fonds ou de la dernière des remises successives en cas de tout indivisible » et « qu’il est dès lors indifférent de s’attacher à la connaissance du caractère frauduleux qui aurait été révélé aux parties civiles par la notification de redressements fiscaux en juin 2000, voire par la décision rendue par le tribunal administratif le novembre 2004. »

Il est, cependant, à noter que si le délai de prescription de l’escroquerie ne saurait commencer à courir à compter de la découverte des faits mais à compter de la commission même de l’escroquerie, la prescription ne commence, en revanche, à courir « qu’à partir de la dernière remise lorsque les manœuvres frauduleuses constituent, non pas une série d’escroqueries distinctes, mais une opération délictueuse unique. »

C’est ainsi que dans ce même arrêt du 8 septembre 2010 la Cour de cassation a jugé « qu’en tout état de cause, la prescription en matière d’escroquerie ne commence à courir qu’à la date de la dernière remise lorsque les manœuvres frauduleuses constituent une opération délictueuse unique ou forment un tout indivisible ; qu’en l’espèce, l’obtention de l’avantage fiscal que faisaient miroiter les prévenus aux parties civiles supposait, outre l’achat d’un lot immobilier et la réalisation de travaux d’aménagement, un financement par emprunt bancaire et la conclusion d’un bail commercial dont les loyers étaient supposés couvrir les frais de remboursement de l’emprunt ; qu’en conséquence, la prescription ne pouvait courir qu’à compter du dernier versement fait par les parties civiles pour rembourser les prêts contractés qu’ainsi, en refusant de retarder le point de départ de la prescription à cette date au motif que les contrats de prêt conclu seraient détachables de toute l’opération, la chambre de l’instruction a violé les articles 8 du code de procédure pénale et 313-1 du code pénal. »

2 Abus de confiance : point de départ de la prescription : la date de la connaissance des faits

Concernant les faits constitutifs d’abus de confiance, le délai de prescription commence à courir à compter de la révélation des faits.

Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation repousse le point de départ du délai triennal de prescription au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, néanmoins cette extension est écartée lorsque le retard apporté à la découverte des faits résulte de la négligence ou de l’insouciance de la victime.

C’est ainsi que dans l’arrêt du 8 septembre 2010 ci-avant évoqué, la Cour de cassation a d’office sauvé les plaignants de la prescription d’une partie des faits en qualifiant les faits évoqués non pas du chef d’escroquerie mais bien du chef d’abus de confiance.

La Cour de cassation a ainsi jugé que :

«  le juge a le pouvoir et même le devoir de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification ; qu’en application de ce principe, des faits d’escroquerie peuvent être requalifiés en abus de confiance ; qu’en l’espèce, les parties civiles, dans leur plainte initiale, faisaient valoir qu’elles avaient été amenées à remettre de l’argent aux prévenus en pensant obtenir des avantages fiscaux ; qu’ainsi, en ne recherchant pas si ces faits, dénoncés sous la qualification d’escroquerie, ne pouvaient pas être poursuivis sous la qualification d’abus de confiance, en sorte que le point de départ de la prescription n’était pas au jour de la remise des fonds mais à celui où le détournement avait pu être découvert, la chambre de l’instruction n’a pas légalement justifié sa décision. »

En requalifiant les faits d’office, la Cour de cassation a jugé que les faits n’étaient aucunement prescrits sans avoir eu à revenir sur la jurisprudence constante selon laquelle le délai de prescription en matière d’escroquerie commence à courir à compter de la commission des faits et non pas de la découverte de ces faits.

Jean-Baptiste Rozès

Avocat Associé

OCEAN AVOCATS

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Notes de l'article:

[1Cass. crim., 8 sept. 2010, n°09-85961

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Discussions en cours :

  • par TAPIERO , Le 14 avril 2015 à 12:51

    A la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation, il me semble que vous prenez un moyen de cassation pour le dispositif........
    Arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation du 8 septembre 2010, n°09-85961

  • par Emmanuel DESAINT , Le 25 novembre 2014 à 11:39

    Il y a une confusion entre les moyens du pourvoi et le dispositif de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 septembre 2010, tant dans la partie relative à l’escroquerie que dans celle relative à l’abus de confiance. Il conviendrait donc de revoir la rédaction de cet article, qui peut induire en erreur.

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