Etablissements hospitaliers : une nouvelle présomption de responsabilité ?

Par Victoire de Bary, Avocat

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Explorer : # responsabilité médicale # surveillance fœtale # charge de la preuve

Par un arrêt du 13 décembre 2012 (pourvoi n°11-27347), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation impose aux établissements de santé d’être en mesure d’établir que ne s’est produit aucun évènement de nature à justifier l’intervention d’un médecin, pendant une période où le patient est hospitalisé mais non surveillé.

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Dans cette affaire, des parents avaient engagé une procédure à l’encontre de l’établissement privé de soins dans lequel leur enfant était né.

En effet, l’enfant était né par césarienne dans un état d’hypoxie grave dont il gardait de graves séquelles.

Pour rejeter la demande indemnitaire, la Cour d’appel avait considéré que l’enfant était né dans un délai particulièrement rapide à compter du diagnostic de détresse respiratoire.

En effet, malgré deux expertises – dont une confiée à un collège d’experts – aucune faute n’avait été relevée, les experts concluant à la parfaite conformité aux règles de l’art et aux données acquises de la science des soins prodigués pendant la prise en charge en vue de l’accouchement ; à l’absence de mauvaise organisation du service et à l’absence de retard de diagnostic comme de retard à l’extraction.

Toutefois, la Cour de cassation relève que l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal a été interrompu pendant 5 minutes, à un moment où il présentait des anomalies depuis près de deux heures et, surtout, à une période qui précède des enregistrements pathologiques puisque, dès la reprise de l’enregistrement, le rythme cardiaque fœtal présentait des anomalies majeures justifiant une extraction rapide.

De ce constat, la Cour déduit qu’il est possible que – pendant cette période non surveillée – un évènement qui aurait justifié l’intervention immédiate d’un gynécologue obstétricien se soit produit.

Dès lors, la Cour de cassation indique, au visa de l’article 1315 du code civil, qu’il appartient à l’établissement de soins d’établir qu’aucun évènement de ce type ne s’est produit pendant la période non surveillée.

Cette décision est surprenante car l’article 1315 du code civil dispose que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ».

On aurait ainsi pu imaginer qu’il appartenait aux parents d’établir que l’hôpital avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

D’ailleurs, dans cette affaire, les experts insistaient sur la rareté de la complication survenue lors de cet accouchement, sur l’interprétation difficile des enregistrements du rythme cardiaque fœtal pendant les 10 minutes suivant la reprise de l’enregistrement, et sur l’impossibilité de déterminer si un gain de dix minutes sur l’intervention pratiquée pour libérer l’enfant aurait permis de remédier à son hypoxie et/ou d’atténuer les séquelles.

Si l’on ajoute à cela la difficulté – extrême – dans laquelle se trouve la médecine d’établir que rien ne s’est produit pendant qu’on ne surveillait pas, on peut voir dans cette décision un renversement de la charge de la preuve.

Toutefois, cette décision peut s’expliquer par la nécessaire surveillance dont les parturientes doivent être l’objet.

En effet, au cours d’un accouchement, un enregistrement monitoring doit être réalisé du début à la fin du processus, et il convient de conserver les enregistrements, qui, seuls, permettent d’établir le moment précis où la souffrance fœtale survient.

En outre, les minutes d’enregistrement perdues auraient aidé à l’interprétation des enregistrements dits d’interprétation difficile qui ont suivi la reprise du monitoring.

De façon plus générale, l’absence d’enregistrement du rythme cardiaque fœtal interdisait de vérifier que les personnels soignants avaient respecté leur obligation de surveillance accrue de la parturiente dans un cadre où il y avait déjà eu des alertes.

C’est donc probablement en se fondant sur l’incapacité de la clinique à prouver qu’elle avait rempli son obligation de surveillance – fondamentale – que la Cour de cassation a pu recourir à l’alinéa 2 de l’article 1315 du code civil qui prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

C’est en tout cas ce que soutenaient les demandeurs au pourvoi qui indiquaient que « l’absence de production par la clinique des enregistrements permanents de monitoring, dès lors qu’ils rendaient impossible la preuve du moment précis où la souffrance fœtale était survenue, et partant la preuve du respect par la sage-femme de son obligation de surveillance de la parturiente, devait entraîner à tout le moins un renversement de la charge de la preuve, faisant peser sur la clinique l’obligation de prouver que la sage-femme avait appelé le médecin obstétricien dès que la souffrance fœtale avait pu être constatée, et faisant bénéficier le doute éventuel sur ce point aux victimes du dommage ».

Cette décision, bien que surprenante au premier abord, reste dans la ligne de la jurisprudence traditionnelle selon laquelle « certains actes médicaux dommageables, portent en eux-mêmes la trace d’une faute qui se déduit des circonstances » (cf. rapport annuel de la Cour de Cassation 2007).

Il n’en reste pas moins que la Cour de cassation impose, toujours un peu plus de responsabilités aux personnels soignants et aux établissements de soins.

Après l’obligation de sécurité-résultat en matière d’infection nosocomiale, peut-être découvrirons-nous bientôt l’obligation de surveillance-résultat.

Victoire de BARY
Avocat Associé
www.sherpa-avocats.com

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