Irrégularité de l’avis d’inaptitude : que peut faire l’employeur ?

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Explorer : # inaptitude médicale # procédure de licenciement # médecin du travail # recours administratif

En présence d’un avis d’inaptitude, l’employeur doit chercher à reclasser le salarié avant d’envisager son licenciement. Quelle que soit l’option choisie, il est essentiel que l’avis d’inaptitude soit régulier et dénué de toute ambiguïté.

-

1. La procédure de constatation de l’inaptitude

Par principe, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s’il a réalisé [1] :

1° Une étude de ce poste ;
2° Une étude des conditions de travail dans l’entreprise ;
3° Deux examens médicaux de l’intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires.

A titre exceptionnel, lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu’un examen de préreprise a eu lieu dans un délai de 30 jours au plus, l’avis d’inaptitude peut être délivré en un seul examen [2].

Si le texte est clair, il peut arriver que le médecin du travail ne respecte pas ses dispositions, contraignant l’employeur à intervenir pour sécuriser la procédure.

1.1. Délai entre les deux examens médicaux

Le respect du délai de deux semaines entre les deux examens médicaux est une obligation fondamentale.

En effet, la Cour de cassation considère qu’est nul le licenciement prononcé en raison de l’état de santé d’un salarié dont l’inaptitude n’a pas été constatée, conformément aux termes de l’article R. 4624-31 du Code du travail, à l’issue de deux examens médicaux espacés d’un délai minimum de deux semaines [3].

En l’espèce, le second examen médial avait été effectué dans le délai de 13 jours après la première visite.

L’employeur doit donc vérifier si deux semaines se sont bien écoulées entre les consultations successives du médecin du travail.

Le cas échéant, il doit également prendre l’initiative de faire convoquer le salarié au second examen.

En sens inverse, un second avis d’inaptitude rendu plus de 15 jours après le premier ne peut pas être considéré comme permettant de constater régulièrement l’inaptitude [4].

Dans un tel cas, il appartient à l’employeur de se rapprocher du médecin pour recommencer la procédure d’inaptitude.

1.2. Etude de poste et des conditions de travail

Avant de déclarer le salarié inapte à son poste, le médecin du travail doit procéder à l’étude de ce poste et des conditions de travail dans l’entreprise.

Pour l’administration, une telle étude s’impose même lorsque le salarié est déclaré inapte à l’issue d’un seul examen médical [5].

La Cour de cassation considère qu’il n’appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur le respect, par le médecin du travail, de son obligation de procéder à une étude de poste et des conditions de travail dans l’entreprise [6].

Toutefois, il est recommandé d’inviter le médecin du travail à respecter les dispositions légales, au besoin.

1.3. Examen médical unique

Comme indiqué ci-dessus (§ 1), l’inaptitude peut être constatée à l’issue d’un seul examen lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers.

L’avis du médecin du travail doit impérativement mentionner le « danger immédiat », sous peine de nullité du licenciement notifié sur le fondement de cet avis [7].

Dans un arrêt postérieur, la Cour de cassation a toutefois admis la validité de l’avis d’inaptitude indiquant, outre la référence à l’article R. 4624-31 du Code du travail, qu’une seule visite est effectuée [8].

Dans tous les cas, l’employeur doit donc vérifier les mentions de l’avis d’inaptitude.

NB. La référence au danger immédiat ou à l’article R. 4624-31 doit figurer dans l’avis d’inaptitude et non dans une lettre d’accompagnement du médecin [9].

2. Le libellé de l’avis d’inaptitude

Même si l’avis d’inaptitude a été rendu selon les formes requises, l’employeur doit être vigilant sur ses termes.

En effet, un avis d’inaptitude ambigu ne permet pas de procéder au licenciement du salarié.

L’employeur dispose d’ailleurs d’un recours administratif pour contester la décision du médecin du travail.

2.1. Avis ambigu

Certains avis du médecin du travail sont ambigus en ce qu’ils ne déclarent pas le salarié inapte à son poste mais contiennent des restrictions ou prescriptions telles que le salarié ne peut plus l’occuper.

Pour la Cour de cassation, l’avis du médecin du travail sur l’aptitude du salarié à occuper un poste de travail s’impose aux parties et il n’appartient pas aux juges du fond de substituer leur appréciation à celle du médecin du travail [10].

Il en résulte que l’employeur ne peut pas considérer qu’un avis d’aptitude avec réserves constitue un avis d’inaptitude, même si l’ampleur de ces réserves interdit de facto le maintien du salarié à son poste.

Au contraire, l’employeur doit interroger le médecin du travail afin qu’il se prononce plus clairement sur l’aptitude -ou l’inaptitude- du salarié.

Cette démarche implique, outre la modification du libellé de l’avis d’inaptitude, le respect de la procédure applicable à la déclaration de l’inaptitude (§ 1).

Si le différend persiste entre le médecin du travail et l’employeur, ce dernier peut former un recours administratif contre l’avis litigieux.

2.2. Recours administratif

Selon l’article L. 4624-1, alinéa 3 du Code du travail, « en cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l’inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.  »

Ce recours administratif peut viser un avis d’aptitude ou d’inaptitude, professionnelle ou non, mais aussi des propositions d’aménagement de poste.

Il doit être adressé, dans un délai de 2 mois, par tout moyen permettant de lui conférer une date certaine, à l’inspecteur du travail dont relève l’entreprise. La demande énonce les motifs de la contestation [11].

NB. Le salarié déclaré inapte à son poste n’a pas l’obligation d’informer l’employeur de l’exercice d’un recours administratif contre l’avis du médecin du travail [12]. Des difficultés pratiques peuvent alors surgir puisque le salarié peut être licencié sur le fondement d’un avis d’inaptitude invalidé ultérieurement. Dans ce cas, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse…

Saisi d’un recours, l’inspecteur du travail prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail dans le champ de compétence géographique duquel se situe le service de santé au travail [13].

La décision de l’inspecteur du travail peut être contestée dans un délai de 2 mois devant le ministre chargé du travail [14].

Elle peut également faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, selon les règles de droit commun.

En revanche, en l’absence de contestation de l’avis du médecin du travail, celui-ci s’impose aux parties qui ne peuvent le contester devant le Conseil de prud’hommes [15].

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1C. trav. art. R. 4624-31, al. 1er

[2C. trav. art. R. 4624-31, al. 2

[3Cass. soc. 20 septembre 2006 n° 05-40.241

[4Cass. soc. 16 mai 2000 n° 97-42410

[5Circ. DGT du 9 novembre 2012

[6Cass. soc. 19 décembre 2007 n° 06-46.147

[7Cass. soc. 4 juin 2002 n° 00-42.873

[8Cass. soc. 28 mars 2006 n° 04-44.687

[9Cass. soc. 21 mai 2008 n° 07-41.380

[10Cass. soc. 10 novembre 2009 n° 08-42.674

[11C. trav. art. R. 4624-35

[12Cass. soc. 3 février 2010 n° 08-44.455

[13C. trav. art. D. 4625-34

[14C. trav. art. R 4624-36

[15Cass. soc. 16 septembre 2009 n° 08-42.212

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Discussions en cours :

  • par MAGALLON médecin du travail , Le 26 février 2015 à 08:13

    L’arrêt de cours de cass cité en référence (Attendu que M. X... a été engagé le 8 novembre 1973, en qualité de " laveur labo ", par la société Sicpa ; que le médecin du Travail a conclu, le 5 février 1991, au cours de la visite annuelle à l’inaptitude du salarié à tout travail l’exposant aux vapeurs de solvants et conseillait un changement de poste ; que le salarié a été convoqué, le 2 juillet 1991, à un entretien préalable à un licenciement qui s’est tenu le 5 juillet suivant ; qu’après l’avoir fait examiner, le 22 juillet 1991, par le médecin du Travail qui confirmait l’inaptitude du salarié à occuper son poste de travail, l’employeur l’a licencié le 25 juillet 1991 pour inaptitude ) n’est pas en rapport avec un délai supérieur de quelques jours aux 15 jours indiqué dans le texte. Il n’y a donc aucun risque à constater une inaptitude médicale lors d’un deuxième examen pratiqué par exemple 3 semaines après le 1er ! il ne faut pas suggérer que ce délai de 15 jours doit être respecté strictement.

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