Extrait de : Tribunes et points de vue

Quelles perspectives pour les Droits de l’Homme au Maroc ?

Par Ali Chellat, Avocat.

9746 lectures 1re Parution: 1 commentaire 4.94  /5

Explorer : # droits de l'homme # réformes # corruption # liberté d'expression

En principe, les Droits de l’Homme ont une valeur universelle et une valeur juridique contraignante pour un Etat. Une femme et un homme ont des droits, non parce qu’ils sont octroyés ou reconnus par un pouvoir, mais parce qu’ils en sont titulaires de par leur condition même d’être humain.

-

Le 14 novembre 2013, le Maroc obtient un siège au Conseil des Droits de l’Homme à l’Onu pour un mandat de 3 ans.
Ceci ressemble à des signes positifs de l’existence d’un Etat de droit et de démocratie. Pourtant, d’autres signaux ne portent pas à l’optimisme.
Des voix s’élèvent au Maroc pour demander des réformes et des droits supplémentaires en matière de Droits de l’Homme, largement appuyées par des internautes marocains qui réclament davantage d’honnêteté, de transparence et de responsabilité de la part de la classe politique.
Des Marocains résidant au Maroc et à l’étranger allèguent avoir été torturés, traités de façon inhumaine et cruelle en garde à vue.
Pouvons-nous dire qu’en matière de Droits de l’Homme au Maroc « Tout va très bien, Madame la Marquise » ?
Signataire de plusieurs conventions, protocoles et chartes, le Maroc a accueilli la 2ème édition du Forum Mondial des Droits de l’Homme du 27 au 30 novembre 2014. Après ce forum y a-t-il eu un changement ?
La réponse se trouve dans la triste réalité du Maroc, dans ce qui vient d’arriver aux journalistes français interpellés et retenus plusieurs heures en date du 15 février 2015 par les services de police marocain sans disposer librement d’une capacité d’aller et de venir. Il convient de se poser la question sur le plan du droit. Sous quel régime juridique sont retenus ces journalistes ? Est-ce sous le régime de la garde à vue ou sous un autre régime ?
Dans ce cadre, nous pouvons nous demander quel est le but de l’organisation de ce forum mondial des droits de l’Homme au Maroc ? Est-ce pour la forme ou pour une publicité mensongère ? Est-ce pour attirer l’attention des pays développés sur la réalité des droits de l’Homme au Maroc ?
Le Maroc applique et fait appliquer avec difficulté ces engagements. Nous constatons, une grande différence entre la théorie et la pratique en la matière.
Le non respect des Droits de l’Homme éloigne le Maroc de la démocratie et démontre une carence flagrante en matière de protection des droits fondamentaux.
Nous examinerons successivement les acquis du Maroc (I) et les carences constatées au cours des dernières années en matière de Droits de l’Homme (II).

I. Les acquis du Maroc en matière de Droits de l’Homme

Le Maroc reconnait que les droits fondamentaux de l’être humain sont fondés sur les attributs de la personne humaine. Ce qui justifie la protection des êtres humains. Il admet également que la réalité et le respect des droits du peuple doivent nécessairement garantir les Droits de l’Homme.
Il considère que la jouissance des droits et libertés implique l’accomplissement des devoirs de chacun.
Dès lors, tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne.
Nul ne conteste, aujourd’hui, que le Maroc dispose d’un solide arsenal juridique et institutionnel en la matière.
L’article 21 de la Constitution marocaine de 2011 dispose que tous les marocains « ont droit à la sécurité de leur personne ».
L’article 23 de ladite Constitution dispose que : « la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée sont des crimes de la plus grande gravité et exposent leurs auteurs aux punitions les plus sévères ».
La Constitution consacre également une égalité totale entre les hommes et les femmes. Son article 19 stipule que : « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’État marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination ».

Des efforts ont été employés pour renforcer les Droits de l’Homme :
• Un Code de la nationalité marocaine est intervenu le 23 mars 2007 afin de mettre un terme à l’inégalité qui existait entre le père marocain et la mère marocaine dans l’attribution de la nationalité marocaine à leur enfant. La nationalité marocaine par la filiation s’obtient pour « l’enfant né d’un père marocain » ou « d’une mère marocaine et d’un père inconnu ».
• Un Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a pour objectif la protection des droits et libertés des citoyens. Il indique et affirme l’attachement du pays au respect de ses engagements internationaux en matière de protection et de promotion des droits de l’Homme.
• La création d’un Conseil économique, social et environnemental (CESE), d’une Cour des comptes.
• Une réforme profonde de la loi relative à la justice militaire adoptée en 1956 qui interdit désormais aux tribunaux militaires de juger des civils qu’en cas de guerre.
• Une réforme du Code de la famille.
Malgré cela, une certaine insuffisance juridique demeure en droit marocain et présente toujours une source d’insécurité juridique. A titre d’exemple, les récentes réformes n’ont pas ont réduit les inégalités entre homme et femme.

II. Les carences en matière des Droits de l’Homme au Maroc

« Il est difficile de cacher le soleil avec un tamis ». Le Maroc est confrontée actuellement à un certain nombre de problèmes, à commencer par le ralentissement de sa croissance économique, des services sociaux inadaptés et une corruption endémique. Les séquelles perverses de la corruption ne se bornent pas à cela : Ils ont été la cause d’effondrements meurtriers de ponts et d’immeubles et de fuites extrêmement nocives pour l’environnement dans des usines...
Les fuites de capitaux se sont accélérées en raison d’une perte de confiance en l’avenir politique et économique du Maroc.
De son côté, Amnesty International expose, dans son rapport 2014/2015 sur la situation des droits de l’Homme au monde, un bilan effrayant sur la situation au Maroc en la matière. Ce rapport pointe du doigt l’existence de pratiques de la torture, de restrictions de liberté, d’expulsions illégales de migrants, de discrimination, de l’exploitation des enfants ou encore du maintien de la peine de mort.
Des personnes représentantes des organisations non gouvernementales des Droits de l’Homme sont battues en plein public devant des journalistes du monde entier.
La pratique des traitements cruels persiste dans les affaires pénales de droit commun.
L’évasion fiscale et l’économie informelle explosent. Le spectre du chômage de masse est loin d’être résolu et plusieurs Marocains vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Avant d’exposer les autres défaillances relatives à la protection des enfants, des détenus et des marocains résidant à l’étranger, il est évident dire quelques mots sur les causes de la suspension des conventions Franco-marocaines.

1. S’agissant de la suspension des conventions Franco-marocaines :

Le Maroc a suspendu unilatéralement ses conventions avec la France sans tenir compte de l’intérêt des citoyens des deux Etats ou des intérêts des deux Etats pendant une durée d’un an environ.
En l’espèce, le 20 février 2014 lorsque des enquêteurs français se rendent à la résidence de l’ambassadeur du Maroc près de Paris. Ceux-ci notifient à M. Abdellatif HAMMOUCHI, responsable de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), une demande d’audition de la justice française, agissant en vertu du principe de compétence universelle applicable à la convention internationale contre la torture.
La convocation a été notifiée par un Officier de Police Judiciaire conformément aux dispositions du Code de Procédure Pénale en tenant compte du fait que M. Abdellatif HAMMOUCHI n’est pas un diplomate et n’appartient pas au personnel de l’ambassade du Maroc en France.
Dès lors, il ne jouit d’aucune immunité et doit répondre à la convocation du Juge d’Instruction en vertu du principe d’égalité des personnes devant la loi figurant à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
Il ne s’agit pas d’une arrestation mais d’une audition dans le cadre de plaintes pénales déposées par des victimes devant les juridictions françaises.
De son côté, la France est reconnue un pays des Droits de l’Homme et a organisé à travers ses textes fondamentaux une indépendance de son système judiciaire. Les juridictions françaises n’ont pas tenu compte de cette suspension et ont respecté les conventions franco-marocaines sauf dans les cas d’une atteinte à l’ordre public.

2. S’agissant de la situation des enfants au MAROC :

Le rapport 2014 publié par l’Unicef sur la situation des enfants au Maroc relève des avancées encourageantes en matière de protection des enfants. Mais certains problèmes demeurent toujours qui portent atteinte à leur intégrité physiques et psychiques.
Il a été souligné que le taux de mortalité des moins de 5 ans est encore jugé trop élevé.
En outre, des enfants travaillent avant d’atteindre l’âge légal de travail. Ceci compromet leur éducation, les prive des plaisirs de l’enfance et supprime leur droit à un développement physique et mental normal.
De même, l’emploi des filles comme des « petites bonnes » a été constaté. Dans certains cas, ces filles sont victimes de viols, de maltraitances allant jusqu’au décès … Se posent alors des questions : Que font les services de la direction du travail et les services sociaux pour la protection de ces enfants ? Où sont les responsables ? Quel est le degré de responsabilité de l’Etat ?
Dans les campagnes, des enfants font beaucoup de kilomètres pour arriver à l’école. Une fois arrivé, les conditions d’enseignement ne sont pas réunies. Au sein de ces établissements, les conditions d’hygiène sont abominables.
Enfin, le dernier point concerne le mariage des filles avant d’atteindre l’âge de la majorité.

3. S’agissant des personnes détenues :

Il convient de noter que les personnes détenues au Maroc purgent leur peine dans des conditions inhumaines : une surpopulation carcérale, des prisonniers souffrant de problèmes de santé, un accès aux soins problématique et des conditions d’hygiène désastreuses.
Des détenus français et binationaux souffrent dans les prisons marocaines. Certains d’entre eux ont entamé une grève de la faim pour que leurs demandes d’extradition soient prises en considération par les autorités judiciaires marocaines.
Au contraire, des marocains résidant à l’étranger et purgeant leur peine dans des prisons européennes ne font que très rarement des demandes d’extradition vers le Maroc.
Pourtant, M. Daniel Fina Galvan, citoyen espagnol, déclaré coupable de viol sur onze enfants âgés de 3 à 15 ans, a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle et bénéficie de la grâce Royale le 31 juillet 2013.
Là encore, la question qui se pose est de savoir sur quel critère s’est basée la commission spéciale de la direction des affaires pénales et des grâces près du ministère de la Justice pour retenir la demande de Monsieur Daniel Fina Galvan. Est-ce que les conditions de grâce royale sont remplies et justifiés ? Ne s’agit-il pas d’un encouragement pour les personnes commentant des infractions d’ordre sexuel sur des enfants ? Qui sont les responsables ?

4. S’agissant des marocains résidant à l’étranger :

Les marocains résidant à l’étranger n’ont aucune protection de la part de leur Etat que ce soit dans leur pays d’origine ou dans leur pays d’accueil.
Pendant leur séjour au Maroc, ils rencontrent des problèmes et sont considérés comme des « étrangers » (le terme utilisé est « ZMAGHRIA » c’est-à-dire « Immigrés ») et non pas des citoyens marocains.
Certains consulats marocains refusent de délivrer des passeports à des marocains dans des situations irrégulières en France puisqu’ils ne peuvent pas justifier d’une résidence régulière sur le territoire français.
Pire encore, Le refus d’enregistrement, au moment des naissances, des prénoms des enfants auprès du service de l’état civil des Consulats marocains. Les mêmes prénoms sont enregistrés sans aucune difficulté auprès des services de l’Etat Civil des mairies françaises.
S’agissant des papiers administratifs, les marocains résidant à l’étranger payent plus cher le timbre de leur passeport que les marocains résidant au Maroc.
Un marocain résidant au Maroc paye un timbre fiscal de 28 euros (300 dirhams) pour un passeport d’une durée de validité de 5 ans. Tandis qu’un Marocain Résidant à l’Etranger paye à-peu-près 65 euros un timbre fiscal pour son passeport pour une durée de validité de 5 ans.
En France, la durée d’un passeport est 10 ans pour un prix de timbre fiscal s’élevant à 86 euros.
D’autres problèmes concernent les obstacles rencontrés par les marocains résidant à l’étranger pour voter aux élections.

En guise de conclusion, une démocratie coûte trop cher.
Le Maroc est un pays riche avec des institutions politiques inopérantes et une population en souffrance.
A l’heure actuelle, des débats ont investi la scène marocaine comme la lutte contre la peine de mort, la protection contre les viols, les libertés individuelles, l’égalité hommes-femmes, la protection des enfants des abus sexuels….etc même s’ils n’ont pas conduit à des réformes législatives à la hauteur des revendications. Il est primordial, dès lors, de prendre des décisions urgentes sur ces sujets.
Les libertés publiques n’ont pas beaucoup progressé. Si les libertés et la démocratie demeurent inexistantes, il ne peut y avoir d’initiatives. La question du développement du Maroc est en lien direct avec celle des Droits de l’Homme. Les Droits de l’homme doivent être conçus, développés et mis en application pour favoriser un développement économique.
En matière de liberté d’expression, tout n’a pas été réalisé et au contraire tout reste à faire.
La bonne application des lois et des conventions internationales est une condition sine qua none de la prospérité d’un pays. Si jusqu’à présent le Maroc n’est pas allé vers la démocratie, ce n’est pas faute de demande, mais d’offre.
Que faut-il pour qu’une liberté réelle de la presse puisse se placer au Maroc ? Que fallait-il en substance pour que le Maroc réussisse le test pour avancer vers un Etat de Droit et de démocratie ?

Maître Ali CHELLAT

Avocat au Barreau de RENNES

Docteur en Droit

E-mail : chellat-avocat chez laposte.net

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

206 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par mehdi , Le 12 décembre 2015 à 23:48

    Une reponse courtoise a votre edito le maroc ne pourra ou n aura pas la capacite d integrer la democratie pour cause de sa culture et de son regime constitutionnel les marocains vous le diront d eux meme nous ne seront jamais des atheniens malgre que socrate aljahed fait partie de la philosophie dont les arabes se sont appropries le principe

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27884 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs