Accident du travail : amputation du caractère simple de la présomption d'imputabilité. Par Ibrahim Ousman Tidjani, Doctorant.

Accident du travail : amputation du caractère simple de la présomption d’imputabilité.

Par Ibrahim Ousman Tidjani, Doctorant.

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Explorer : # accident du travail # présomption d'imputabilité # vie professionnelle # risques professionnels

L’arrêt de 2003 [1] avait posé les jalons d’une vaste entreprise d’extension de la notion d’accident du travail. Dans le sillage de cette extension, les critères de définitions sont perçus avec plus ou moins de souplesse.

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Ce travail de définition de la notion d’accident du travail, fidèle à sa tradition protectrice, poursuit une finalité unidimensionnelle, laquelle est orientée vers la protection de la partie faible. Contrairement à l’opinion majoritaire, la fluctuation de la jurisprudence est en train de culminer vers une seule finalité, à savoir la protection des intérêts du salarié.

Comme l’avait décrit à juste titre le brillant rapport [2] sur la pratique des inégalités, qui faisait état d’une justice portée sur cette voie qui consiste à juguler les inégalités sociales sans véritablement juger.

L’on assiste à un certain alignement et un début d’harmonisation, même devant les juridictions de fonds.

En effet, l’extension de la notion « d’occasion du travail » conduit à brouiller les lignes de démarcation entre vie privée et vie professionnelle, lesquelles, ont entamé les préludes d’une universalité. Dans un monde, où le travail est central et qui constitue une exigence et une contrainte de la société moderne, la vie privée des Hommes n’est plus détachable de leur condition des travailleurs. Ce qui fait que la conception traditionnelle de la notion d’occasion du travail, que nous appellerons « par nature », car enfermée dans un cadre subjectif du temps et de l’espace, c’est-à-dire ancré dans une configuration spatio-temporelle, est aujourd’hui inadapté et désuet.

Compte tenu du changement structurel qu’a connu l’organisation du travail (généralisation du télétravail) ainsi que la multiplication des risques psychosociaux, la nécessité de mettre en place une nouvelle conception de la notion d’occasion du travail est devenu une nécessité, il s’agit, « d’une notion d’occasion du travail par détermination », laquelle notion n’est pas réductrice, mais extensive.

L’esprit de cette nouvelle conception résulte du fait que la configuration spatio temporelle n’est plus déterminante pour la qualification d’accident du travail. Toutefois, ces critères spatial et temporel permettent de renforcer « une présomption d’imputabilité prétendument simple », déjà existante.

Ainsi, dans le cadre de cet exercice, il est indispensable d’étudier la notion d’accident du travail au prisme de la question probatoire (I) avant de souligner que l’idée d’une contestation du caractère professionnel est une véritable fiction (II).

I. La notion d’accident du travail au prisme de la question probatoire.

En effet, toute la doctrine était focalisée depuis des décennies sur le débat relatif à l’indemnisation des risques professionnels, or cette doctrine a complètement oblitéré la question centrale de la reconnaissance et de la contestation du caractère professionnel.

Pour apporter quelques précisions, « le chemin de la reconnaissance du caractère professionnel est parsemé d’embûches » [3]. D’où l’idée d’une reconnaissance au stade de la matérialité paraissait plus séduisante en ce qu’elle entraine un tarissement à la source du contentieux.

Cette question de reconnaissance invite naturellement la question probatoire, laquelle connait l’une des révolutions la plus importante. Car, l’on assiste progressivement à la consécration d’une présomption quasi irréfragable [4].

Au regard de l’état du droit et de la jurisprudence, il n’est plus téméraire d’insinuer l’existence et l’émergence d’une présomption d’imputabilité quasi irréfragable, surtout que la pratique jurisprudentielle semble confirmer une telle hypothèse [5]. Il existe non seulement d’innombrables certifications jurisprudentielles, mais également doctrinaire.

L’étude de la jurisprudence récente révèle une conception de la présomption d’imputabilité, amputée de son caractère simple. Une présomption d’imputabilité, en théorie réfragable, mais en pratique difficilement renversable [6]. Sans tomber dans le risque de redondance, l’abondance d’une jurisprudence en matière de risque professionnel relativement favorable au salarié est en train de fortifier cette présomption d’imputabilité.

Sans tomber aussi dans une posture partisane, l’invocation de la cause étrangère est, dans l’écrasante majorité des cas, est inopérante et impropre à détruire la présomption d’imputabilité. Mais force est de constater que les juges appliquent implicitement une présomption d’imputabilité quasi irréfragable, sans jamais l’exprimer clairement [7]. Comme l’illustre, à juste titre, un arrêt de la cour d’appel, dans lequel, les juges admettent que « la présomption d’imputabilité n’a pas de caractère irréfragable », mais un tel positionnement est battu en brèche.

II. La contestation du caractère professionnel : une véritable fiction.

La présomption d’imputabilité s’est renforcée, au point qu’elle est devenue irrésistible pour l’employeur ou la caisse. Même lorsqu’une telle invocation de la cause étrangère ne prête à aucune équivoque, est insuffisante, inopérante et inefficiente à renverser une présomption d’imputabilité quasi-irréfragable. En effet, comme l’illustre d’innombrable cas de figure : l’altercation entre le salarié et son employeur, n’entraine pas une altération du lien de subordination [8].

En effet, il convient d’admettre que la contestation du caractère professionnel est difficile pour l’employeur, dès le stade de la réserve motivée [9], car la preuve de la matérialité est généralement admise avec beaucoup de souplesse par les juges. À cet égard, ce qui s’apparente à une simple démonstration d’un début de preuve, d’une cause étrangère, va se transformer en véritable travail d’enquête et d’instruction [10].

En outre, l’incertitude sur la causalité ou le doute profite au salarié. Dans les récents arrêts, l’on pouvait constater un affaiblissement, voire un effritement du principe du contradictoire, la prise en compte de l’événement indépendamment de son caractère [11] ou de son origine [12]. En effet, seule la constatation du déclenchement d’un accident survenu sur le lieu et le temps du travail qui détermine la qualification.

Étanchéité, étrangéité et antériorité de l’état pathologique préexistent. En effet, l’étanchéité de la présomption d’imputabilité, ne laisse aucune possibilité de renversement de cette présomption, et ce, malgré l’étrangéité de la cause. En d’autres termes, l’étanchéité de la présomption d’imputabilité annihile et rend impropre toute invocation de la cause étrangère. L’employeur lutte à contre-courant, et sans arme, contre une présomption d’imputabilité. Car l’antériorité d’un état pathologique préexistant est réputée difficile à établir, de surcroit, la preuve de l’existence d’un état pathologique préexistant, relève des éléments d’ordre médical, couvert par le secret médical. Ainsi, en pratique, il existe des véritables obstacles à la communication du dossier médical du patient [13].

Les juridictions font preuve d’une extrême sévérité, s’agissant non seulement du lien entre l’accident initial et le travail, mais aussi s’agissant des complications ultérieures, ce qui rend difficultueux, l’établissement de la rupture dans la continuité des soins et des symptômes. Car une telle démonstration médicale est couverte par le secret médical.

L’inversion de tendance. Ainsi, ce n’est plus la présomption d’imputabilité qui est une fiction juridique, mais le renversement de cette présomption par la preuve d’une cause totalement étrangère qui est une véritable fiction. En appui à cette argumentation, l’on peut illustrer que même dans les circonstances de la soustraction à l’autorité, le moyen fondé sur la soustraction est souvent impropre à détruire la présomption d’imputabilité.

Dans cette perspective, seule « la preuve diabolique » [14] qui pourra fonctionner.

S’agissant du critère de subordination, malgré le contraste saisissant, et une approche différentiée qui existe entre le droit de la protection sociale et le droit du travail, celle-ci est aujourd’hui vidé de sa substance en droit des accidents du travail. Le moyen fondé sur la soustraction à l’autorité de l’employeur n’est reçu, par les juridictions, qu’avec parcimonie. Pire encore, même en cas de suicide [15] ou de tentative de suicide survenu [16], sur le lieu du travail, l’employeur ne peut démontrer que le mobile est lié à une difficulté d’ordre privé ou personnel [17]. Car il existe une présomption de mobile professionnelle. En effet, dans l’hypothèse d’une hybridation du mobile, c’est le mobile professionnel qui l’emporte.

En effet, en matière des risques professionnels, la subordination est définie de manière extensive, à tel point que l’argument, ou le moyen de défense tiré de la rupture ou de la soustraction du lien de subordination, est souvent impuissant à détruire une présomption d’imputabilité presque invincible.

Justification de l’idée d’une restriction de la contestation de la qualification d’accident du travail : certains diront que celle-ci contribue à instituer l’arbitraire comme règle irréfragable. Loin d’instituer, l’arbitraire comme principe irréfragable, cette restriction contribue à la cohérence des relations juridiques, laquelle est libératrice d’une procédure périlleuse, longue et parsemée d’embûche, bref, elle libère des énergies. Ainsi, nous soulignons que la notion même de risque est fondée sur l’arbitraire et la fiction d’une responsabilité liée à un risque profit.

A cet effet, Saleilles ajoutait à juste titre que « là où on est le maitre, on assume le risque crée ». En définitive, il faut admettre aussi que l’extension du champ de la notion d’accident du travail entraine l’extinction de l’invocation d’une cause étrangère.

Ibrahim Ousman Tidjani, Doctorant en droit privé et sciences criminelles

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Notes de l'article:

[1Cour de Cassation, Chambre sociale, du 2 avril 2003, 01-20.765, Publié au bulletin.

[2Rapport « Les accidents du travail et les maladies professionnelles sur la scène judiciaire : pratique de jugements et inégalité ». Mars 2022, N 17-31 ; Sous la direction de Delphine Serre, et Morane Keim Bagot ; P.23.

[3Rapport « Les accidents du travail et les maladies professionnelles sur la scène judiciaire : pratique de jugements et inégalité ». Mars 2022, N 17-31 ; Sous la direction de Delphine Serre, et Morane Keim Bagot ; P.23.

[4Anne Blandine-Caire ; « Les présomption artifice du droit » ; acte du colloque sous la direction de, 16 novembre 2018. P. 33. Marcel Planiol, note Ss. T. civ. Seine, 24 janvier 1906 & CA Rennes, 26 juillet 1906, DP, 1907, II, p. 18.

[5Joël Bodin ; « Présomption d’imputabilité et longueur d’arrêt » ; (Cass. 2è civ., 12 mai 2022, n° 20-20655) », article sur LinkedIn. « La 2ème Chambre Civile devrait avoir l’honnêteté d’affirmer, sans faux semblant, que la possibilité de renverser la présomption d’imputabilité en matière d’accident de travail est devenue une pure fiction et que la présomption d’imputabilité est maintenant quasi irréfragable ».

[6Rapport « Les accidents du travail et les maladies professionnelles sur la scène judiciaire : pratique de jugements et inégalité ». Mars 2022, N 17-31 ; Sous la direction de Delphine Serre, et Morane Keim Bagot ; P.23.

[7Cour d’appel de Nancy - ch. sociale sect. 01, 3 mai 2022 / n° 21/02816 ; « Cette présomption d’imputabilité n’est cependant pas irréfragable et il appartient à l’employeur qui conteste l’opposabilité de la prise en charge de l’accident et du décès au titre de la législation professionnelle d’apporter des éléments de nature à contester cette présomption et de rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail ».

[8Morane Keim-Bagot, « Altercation avec son supérieur : accident du travail ? » ; Bulletin Joly Travail1er mars 2021.

[9Fabien Duffit ; « Émettre des réserves motivées sur un AT : un exercice de plus en plus difficile » ; un site Revue fiduciaire, 6 septembre 2022 ; V. cass. civ., 2e ch., 10 juillet 2008, n° 07-18110 FSPB.

[10Cité dans les travaux préliminaire des recherches par Ibrahim Ousman Tidjani.

[11Cour d’appel d’Amiens 17 septembre 2021 / n° 19/05984.

[12Olivia Elebe ; Alixia Bazilet, Mathilda Fiorenza, Audrey Guiheux, Wendy Guillot, Sophie Loubet ; « Accidents du travail : sélection des arrêts rendus par la Cour de cassation sur les 6 derniers mois » ; édition législative ; 23 mars 2022.

[13Article R4127-4 du code de la santé publique.

[14Y. Saint-Jours, « AT : l’enjeu de la présomption d’imputabilité », D. 1995, p. 13.

[15Y. Saint Jours, Le suicide dans le droit de la Sécurité sociale, D. 1970, Chr. p. 93.

[16Cass. 2e civ., 20 janv. 2012, no 10‐28.570.

[17Cour d’appel de de Dijon - ch. sociale 24 octobre 2019 / n° 18/00060.

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