Articuler procédure judiciaire et processus de médiation : appel et délais pour conclure (partie 1). Par Françoise Housty et Pierrette Aufière, Médiateurs.

Articuler procédure judiciaire et processus de médiation : appel et délais pour conclure (partie 1).

Par Françoise Housty et Pierrette Aufière, Médiateurs.

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Explorer : # procédure judiciaire # médiation # délais # réforme législative

« On ne peut oublier le temps… qu’en s’en servant » (Baudelaire : " Les fleurs du mal").
En ces temps de valorisation du recours à l’amiable au cœur de la procédure judiciaire, la question des délais, de la temporalité de la médiation et du procès demeure essentielle.

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Dans l’arrêt du 12 janvier 2023, (Arrêt n° 34 F-B Pourvoi n° A 20-20.941), la Cour de Cassation a retenu comme étant justifiée, la décision de la Cour d’Appel de Pau, laquelle, sur le fondement de l’article 908 du CPC, avait considéré comme caduque la déclaration d’appel intervenue, l’appelante ayant déposé des conclusions au fin de reprise d’instance après médiation au-delà du délai de trois mois, au mépris des dispositions de l’article 910-2 du même code.

Cet arrêt est rendu avant la réforme du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 instaurant la nouvelle rédaction de l’article 131-3 du Code de procédure civile, lequel précise :

« La durée initiale de la médiation ne peut excéder trois mois à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. Cette mission peut être renouvelée une fois, pour une même durée, à la demande du médiateur ».

Les faits soumis à la haute juridiction étaient les suivants :

« Par une ordonnance du 13 juin 2016, un conseiller de la mise en état a ordonné une médiation, précisé que la mission du médiateur prendra fin à l’expiration d’un délai initial de trois mois commençant à courir à compter de la première réunion et sursis à statuer sur toutes les demandes des parties, les délais prescrits étant interrompus. Par ordonnance du 13 décembre 2016, le conseiller de la mise en état a accordé au médiateur un délai supplémentaire jusqu’au 20 février 2017 pour mener à bien sa mission.
Le 26 décembre 2017, l’appelante a déposé des conclusions aux fins de reprise d’instance après médiation
 ».

Réponse de la Cour

« 6. Selon l’article 910-2 du Code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur.
7. Ayant constaté que la mission du médiateur avait pris fin le 20 février 2017, c’est à bon droit que l’arrêt retient, en substance, que ce terme marque la reprise de l’instance, que doit être décompté à partir de cette date le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure et que l’appelante ajoute au texte de l’article 910-2 du code précité lorsqu’elle soutient que l’instance n’a pas repris au motif que le médiateur n’a pas remis de note de fin de médiation au juge et que l’affaire n’a pas été fixée à une audience de mise en état.
8. L’arrêt ajoute enfin que les pourparlers poursuivis de façon informelle ne sont pas de nature à interrompre les délais pour conclure
 ».

Dans l’espèce le conseiller de la mise en état avait donc mis en place une médiation dont le point de départ était fixée à la date de la première réunion ; ceci déjà suppose qu’il s’agisse de la première réunion commune de l’ensemble des parties et non d’entretiens individuels préalables à ladite réunion, ce que parfois certains médiateurs considèrent comme une approche plus aisée.

La Cour de Cassation a appliqué les termes de l’article 910-2 du CPC, malheureusement clairs et impératifs.

Que ce soit ceux en vigueur du 1er septembre 2017 au 27 février 2022, dans sa création résultant du décret n° 2017- 891 du 6 mai 2017 art 22, applicable en l’espèce, Ancien Art 910-2 :

« La décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ».

Ou après la réforme du décret du 25 février 2022 susvisé, réforme qui y ajoute l’article 127-1 du CPC pour le bénéfice de cette interruption des délais :

Art 910-2 :

« La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ».

En dehors de la nécessité de modifier les termes de l’article 131-3 du Code de procédure civile, invoquée à juste titre par de nombreux auteurs et praticiens, quant à la durée de la mission du médiateur pour toute médiation judiciaire, des questions continuent à être posées en l’état actuel du texte.

Ainsi sont soulevées des questions procédurales que ledit décret de 2022 ne solutionne pas et qui appellent à la plus grande vigilance.

Or pour conforter l’élan impulsé par les dernières dispositions légales et réglementaires du recours à la médiation, il importe de demeurer attentifs aux délais procéduraux et de sécuriser tant la médiation que la procédure judiciaire.

Délais qui demeurent la pierre angulaire de cette sécurisation pour que l’intention amiable ne soit pas qu’une simple déclaration d’intention.

I. Un temps pour chacun.

Les interrogations peuvent découler en effet de la détermination du point de départ des opérations de médiation et de celui de la date de l’expiration du délai de 3 mois, renouvelé ou pas.

Avant la réforme du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, compte tenu de l’absence de précision, les pratiques étaient diverses : date du versement de la consignation au greffe, de la première réunion de médiation, de l’acceptation de la mission par le médiateur, ou précision de ladite date mentionnée dans la décision mettant en place la médiation, ce qui était extrêmement rare.

Dans l’affaire nous intéressant, ce même conseiller de la mise en état avait fixé la fin de la mission de médiation à l’expiration du deuxième délai de 3 mois, mentionné sans équivoque dans l’ordonnance de renouvellement. Ainsi était donnée une temporalité claire et prévisible au délai propre à la médiation et, par voie de conséquence, au dépôt des conclusions en appel.

Ceci n’est pas forcément systématique dans les décisions judiciaires, lesquelles se contentent souvent d’accepter simplement le principe du renouvellement.

Depuis la réforme du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, le point de départ du délai initial est fixé à la date du versement de la provision entre les mains du médiateur.

Si l’on comprend la nécessité de soulager le greffe de la gestion de l’exécution de la médiation, cette disposition appelle sans détour à la plus grande attention du médiateur (et des avocats accompagnateurs).

Sans préjudice ici de rappeler que, à partir de ce versement, le temps nécessaire au médiateur pour organiser une première réunion, convoquer les parties, ampute largement les 3 mois initiaux qui devraient être consacrés au processus de médiation en lui-même.

II. Le point de départ du délai de la mission de médiation.

Revenant sur l’arrêt du 12 janvier 2023, si le conseiller de la mise en état n’avait pas fixé précisément le date d’expiration du délai des trois mois renouvelés, de quel point de départ faudrait-il tenir compte :

  • La fin de la mission renouvelée de trois mois va-t-elle être fixée trois mois après la date de l’expiration de la première période des trois mois ?
  • Ou à la date de la décision judiciaire accordant ledit renouvellement ?

Cette dernière proposition semblerait logique et il est à souhaiter de facto, que la décision soit transmise alors le plus rapidement possible par le greffe tant aux parties que, surtout, au médiateur.

Le décret du 25 février 2022 en son article 131-6 in fine prévoit :

« le délai dans lequel les parties qu’elle désigne procéderont à son versement, directement entre les mains du médiateur » et en son dernier alinéa que : « à défaut de versement intégral de la provision dans le délai prescrit, la décision est caduque et l’instance se poursuit ».

Cela ne règle pas la question, brûlante, du point de départ de ce délai et les dispositions issues de la dernière rédaction du décret du 25 février 2022 prêtent à difficultés ; ce pour plusieurs raisons :

  • La notion de versement de la provision devant être évidemment celle de la totalité de la provision, quel que soit le nombre des parties en présence,
  • mais les modalités de versement ne sont pas précisées dans le décret (virement de compte à compte, chèque sous réserve d’encaissement).
  • Enfin, rien n’indique ce qu’il en est de l’obligation du médiateur d’informer le greffe, et donc le magistrat, du bon versement de la provision et en conséquence du point de départ du premier délai de 3 mois.

Or il est fondamental de procéder à ces informations réciproques. D’une part, pour solliciter une éventuelle prorogation en la matière auprès du magistrat en application de l’article 131-3 du CPC et, d’autre part, pour sécuriser l’articulation entre le processus de médiation et la procédure judiciaire. Notion capitale pour que ne soit ni fragilisé le recours à la médiation, ni rendu impossible de la faire et ce, en toute bonne foi.

A ce stade il n’est pas inutile de préciser qu’il conviendrait de solliciter le principe de la prorogation de la mission de médiation dans des délais suffisamment tôt compte tenu du relatif encombrement du traitement de telles demandes.

III. S’ouvrent alors des questions pratiques substantielles.

Quel est le sort et l’analyse de ce temps de latence entre la fin du premier délai et l’obtention judiciaire du second délai ?

La médiation doit-elle être “suspendue” en attendant le renouvellement de la mission pour les 3 mois supplémentaires ?

Si les entretiens se poursuivent, va-t-on considérer être toujours dans le contexte d’une médiation judiciaire ou dans un “no man’s land informel” ?

Le simple fait de solliciter du magistrat la prorogation du délai initial va-t-il également proroger l’impact de l’article 910-2 du CPC devant la Cour au vu de l’arrêt susvisé ?

Autrement dit, cette demande doit-elle être présentée avant la date d’expiration de la première mission de trois mois pour être valide ?

De la même façon, dans le cas contraire, y a-t-il un délai pour demander un délai supplémentaire ? Quel serait-il et quelle serait sa nature ?

Ce qui ramène à la question essentielle du point de départ et de la durée du renouvellement de trois mois évoqués ci-dessus…et nous ne pouvons que retenir les remarques judicieuses de Madame Natalie Fricero et des propositions portées par les associations de médiateurs consultées lors du rapport SAUVE, sur la nécessité de réforme de la procédure civile et celle de rassembler les textes de la médiation en un seul corpus beaucoup plus lisible et sécurisant pour faciliter son utilisation à l’appui de la procédure judicaire.

Nous pouvons également poser que, à l’instar de beaucoup de textes qui se veulent et se croient favorables à la médiation [1], d’évidence, le texte de l’article 910-2 du CPC crée plutôt une contrainte et une pression sur les parties et le médiateur incompatibles avec le temps de la médiation et la sérénité qui devrait s’y instaurer quant au cadre, à défaut du contenu des entretiens !

La médiation n’est pas “un long dialogue tranquille” mais la mise en place d’une différente forme de communiquer et de construire des options potentiellement matérialisables et satisfaisantes.

Si l’on veut maintenir le recours à la médiation judiciaire devant la cour d’appel et que ce recours-même n’en soit pas fustigé, une souplesse devrait intervenir pour éviter les décisions “couperets” de même qu’une pratique rigoureuse par les médiateurs.

D’autant que de la jurisprudence déjà intervenue sur l’application de l’article 131-10 du CPC a sanctionné le fait que cette notion de la fin de la médiation soit posée sans que l’audience préalable prévue dans le texte ait été mise en place [2]. Cependant il s’agissait de la fin du processus de médiation intervenant pendant son délai d’exécution, et non de la fin de la mission du médiateur telle que retenue dans l’arrêt de la Cour d’appel.

Nous conclurons alors cette première partie par une note optimiste sur la sécurisation des pratiques médiationelles, servant la procédure judiciaire que nous présenterons en seconde partie plus particulièrement l’application de l’article 127-1 du CPC visé également dans l’article 910-2 du CPC.

Suite... Articuler procédure judiciaire et processus de médiation : du judiciaire au conventionnel (partie 2) à lire ici.

Françoise Housty Médiateur et Médiateur familial DE - Formateur
Co-directrice du DU de Médiation Civile, sociale, commerciale Université de Toulouse Capitole
Directrice pédagogique du DEMF Institut Saint-Simon ARSEAA Toulouse
Président fondateur du Centre méridional de médiateurs -Daccord Mediation
et
Pierrette Aufière : Avocate honoraire - Médiateur familial
Formateur École des avocats - DU de Médiation et DEMF Toulouse
Auteure du "Guide du médiateur familial".

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Notes de l'article:

[1Articles118-9 à 118-12 sur l’aide juridictionnelle, « De l’aide à la médiation » abrogés et remplacés cependant identiquement par les articles 99 et 100 du décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020.

[2Soc.14 janvier 2014 n°1228295.

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