Cet article en question dispose expressément :
« dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l’exception de celles mentionnées aux articles L 16B et L 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l’administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance soit dans les conditions prévues au chapitre 2 du présent titre ou aux articles L 114 et L 114 A, soit en application des droits de communications qui lui sont dévolus par d’autres textes, soit en application des dispositions relatives à l’assistance administrative par les autorités compétentes des états étrangers »
Cette disposition entendait donc préciser l’utilisation qui peut être faite par l’administration fiscale de documents irrégulièrement obtenus par une personne tierce mais qui lui ont été régulièrement communiqués.
En effet, le passage fondamental de cet article réside dans les cinq mots « au seul motif de leur origine »
Par une décision du 4 décembre 2013, le Conseil Constitutionnel a considéré que cette disposition était conforme à la constitution à la condition que les documents utilisés par l’administration fiscale n’aient pas été obtenus dans des conditions illégales et déclarées comme telles par le juge.
La décision du Conseil Constitutionnel est ainsi libellée :
"considérant que l’article 37 insère dans le livre des procédures fiscales un article L 10–0 AA en vertu duquel les documents, pièces ou informations que l’administration fiscale utilise et qui sont portés à sa connaissance ne peuvent être écartés "au seul motif de leur origine" ;
que ces documents, pièces ou informations doivent avoir été régulièrement portées à la connaissance de l’administration...
considérant que, selon les requérants, les dispositions de l’article 37 portent atteinte au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la déclaration de 1789.
...
Considérant qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquels figure le droit au respect de la vie privée qui découle de l’article 2 la déclaration de 1789 et les droits de la défense, et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle ;
Considérant que les dispositions des articles 37 et 39 sont relatives à l’utilisation des documents, pièces ou informations portées à la connaissance des administrations fiscales ou douanières, dans le cadre des procédures de contrôle à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés ; que si ces documents pièces ou informations ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, ils doivent toutefois avoir été régulièrement portés à la connaissance des administrations fiscales ou douanières, soit dans le cadre du droit de communication prévue, selon le cas par le livre des procédures fiscales ou le code des douanes, soit en application des droits de communication prévue par d’autres textes... ; que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteint aux exigences découlant de l’article 16 de la déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ;
que sous cette réserve, le législateur n’a, en adoptant ces dispositions, ni porté atteinte au droit au respect de la vie privée ni méconnue les droits de la défense ;
considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée, les articles 37 et 39 doivent être déclarés conformes à la constitution"
Pour bien comprendre toute la portée de cette analyse qui nous est offerte par le conseil constitutionnel, il faut replacer la disposition en question dans son véritable contexte, voir qui en sont les acteurs et quel est le contenu de la pièce.
1. Le contexte.
La loi du 6 décembre 2013 relative « à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » a été adoptée par le Parlement après que celle-ci ait été préparée par Monsieur Jérôme CAHUZAC... et soutenue par son successeur.
Le premier intéressé était, on s’en rappelle, particulièrement au fait de tout ce qui touche à la fraude fiscale et à la délinquance économique et financière puisqu’il était du mois de mai 2013 jusqu’au moi de mars 2013 le ministre de l’économie... avant de remettre sa démission dans les circonstances que l’on connaît.
2. Les acteurs.
L’acteur principal, pour ne pas dire unique, de cette décision est bien entendu le constitutionnel.
Rappelons que le conseil constitutionnel peut être saisi afin de vérifier la constitutionnalité d’une loi par rapport à la constitution.
La constitution dresse la liste des règles essentielles au fonctionnement de notre régime et auquel il est impossible théoriquement de déroger.
Lorsque le législateur adopte une loi qui viole ces règles, le conseil constitutionnel peut alors la censurer afin qu’elle ne puisse être promulguée et qu’elle ne puisse donc être appliquée.
Il peut aussi, et il le fait de plus en plus souvent, interpréter cette loi afin de rajouter au texte des conditions non prévues par le législateur mais qui permettent, sous cette réserve, de rendre la loi constitutionnelle.
Cette dernière possibilité fait du conseil constitutionnel un législateur de secours, quoi qu’on en dise, ce qui n’est d’ailleurs pas prévu par la constitution.
Soulignons enfin la composition très particulière du conseil constitutionnel puisque celui-ci est composé :
- de trois membres nommés par le président de la république
- de trois membres nommés par le président de l’Assemblée nationale ;
- de trois membres nommés par le président du Sénat ;
- des anciens présidents de la république.
Cette composition permet de débattre à l’infini de la neutralité politique de cette Haute juridiction…
3. La pièce.
Lorsque l’administration fiscale entend opérer un redressement à l’encontre d’un contribuable, personne physique ou personne morale, celle-ci ne le fait bien évidemment qu’après avoir opéré un contrôle méticuleux sur les comptes bancaires, les déclarations fiscales et sociales et la situation financière du contribuable.
Lors de ce contrôle, l’administration fiscale dispose d’un droit particulier qui est le droit de communication et qui lui permet de solliciter et d’obtenir auprès du contribuable lui-même mais également auprès de personnes tierces (banque, administrations, associations diverses etc.) tous documents nécessaires auxdites opérations de contrôle.
L’existence du droit de communication est une garantie pour le contribuable car ce droit est strictement réglementé par le livre des procédures fiscales et la jurisprudence, ce qui interdit à l’administration fiscale de prendre possession de documents n’importe comment.
Signalons d’emblée qu’il est interdit pour celui qui se voit démarché par l’administration fiscale de refuser de prêter son concours et de conserver par devers lui les documents sollicités.
Le droit de communication est donc un rouage essentiel du contrôle fiscal car il est évident que les agents du trésor public ne peuvent contrôler à contribuable, et éventuellement le redresser ultérieurement, s’ils n’ont pas pris connaissance des éléments nécessaires pour cela.
Exemple : comment peut-on reprocher à un contribuable d’avoir caché une partie de ses revenus si l’on ne dispose pas de l’ensemble de ses justificatifs de revenus ainsi que de ses déclarations de revenus ? L’exercice du droit de communication, dans cet exemple, a donc pour but de permettre à l’administration fiscale de vérifier la conformité des déclarations du contribuable aux revenus effectivement perçus par ce dernier.
La question qui fut donc posée au Conseil Constitutionnel était de savoir si les opérations de contrôle et de redressement fiscal pouvait être fondées sur n’importe quels documents, c’est-à-dire tous les documents auxquels l’administration fiscale pouvait accéder.
On songe par exemple à des documents volés et qui seraient transmis à l’administration fiscale par lettre anonyme.
Le cas est fréquent.
L’article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales exclus implicitement l’utilisation par l’administration fiscale, lors d’opérations de contrôle, des documents qui lui seraient remis et qui ne s’inscriraient pas dans le cadre de l’exercice du droit de communication.
Ainsi, si une entreprise se fait dérober des documents, et que ceux-ci sont envoyés de manière anonyme à l’administration fiscale, celle-ci ne pourra pas s’en servir pour opérer un contrôle fiscal et ultérieurement un redressement dans la mesure où cette transmission de documents volés ne peut bien évidemment pas s’exercer dans le cadre légal du droit de communication.
Le Conseil Constitutionnel a quant à lui posé une limite non prévue par le texte en excluant l’utilisation par l’administration fiscale de documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées illégales par le juge.
Exemple : lors d’une enquête pénale, des perquisitions sont effectuées au domicile d’un particulier ou au siège d’une entreprise. Des documents sont saisis à cette occasion et se retrouvent donc dans le dossier du juge d’instruction. Si le contribuable perquisitionné et saisi conteste les conditions dans lesquelles la perquisition s’est opérée, il peut obtenir l’annulation de cette perquisition.
Si cette annulation est prononcée, les documents saisis n’ont plus rien à faire dans le dossier du juge d’instruction.
Si l’administration fiscale, qui peut exercer son droit de communication auprès du juge d’instruction en sollicitant une copie du dossier que celui-ci détient, avait pris connaissance de ces documents, celle-ci devra tenir compte de l’annulation ultérieurement prononcée et ne devra pas poursuivre ses opérations de contrôle en se fondant sur ces documents illégalement saisis.
Elle pourra encore moins fonder un redressement fiscal sur ces mêmes documents.
La précision est importante car elle donne une arme au contribuable contrôlé par l’administration fiscale.
Celui-ci pourra en effet se défendre en prenant le dossier par son versant pénal lorsque les conditions s’y prêtent.
Concrètement, l’utilisation de documents par l’administration fiscale doit s’exercer dans le cadre légal du droit de communication dont celle-ci dispose.
En aucun cas, la transmission à l’administration fiscale de documents irrégulièrement obtenus ne constitue une communication régulière.
Il s’agirait, dans le cas contraire, d’une violation de la vie privée du contribuable, protégée par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 derrière laquelle le Conseil Constitutionnel n’hésite pas à se retrancher lorsqu’il ne sait pas fonder autrement son argumentation.
Il est vrai que la généralité des termes de cette déclaration de 1789 permet de tout dire, y compris ce qu’elle ne dit pas !!!
Que penser de cette décision du Conseil Constitutionnel ?
Le Conseil Constitutionnel n’apporte pas grand-chose à la question qui lui était posée dans la mesure où l’article L 10-0 AA du livre des procédures fiscales contenait déjà toutes les réponses.
En effet, cet article précise bien que l’utilisation des pièces mises à la disposition de l’administration fiscale ne peut s’exercer que dans le cadre de l’exercice du droit de communication.
Ce dernier étant strictement réglementé par les textes, on savait donc déjà que l’administration fiscale ne pouvait pas en faire n’importe quoi.
L’adjonction des cinq mots en question, à savoir « au seul motif de leur origine" était donc parfaitement inutile.
En effet, les documents exploités par l’administration fiscale dans le cadre de la procédure réglementée qu’est le droit de communication ne peuvent, par définition, avoir aucune origine illégale.
Le législateur a donc perdu son temps à énoncer des évidences.
Plutôt que de le dire ainsi, le conseil constitutionnel a préféré l’expliciter en donnant l’exemple des documents dont l’obtention serait ultérieurement annulée par un juge.
Pourquoi pas…
Il s’agissait là d’un tact dont le conseil constitutionnel n’avait pas besoin mais qui aura certainement flatté quelques parlementaires.
Moralité : un texte qui n’a pas de sens n’est pas inconstitutionnel.