Plus de 2 ans après son annonce, la fusion de Gaz de France et Suez est enfin officielle : le 22 juillet 2008 marque en effet la naissance et la cotation en bourse de GDF Suez, l’aboutissement d’un feuilleton commencé il y a plus de 2 ans. Cet aboutissement du processus est l’occasion de revenir sur le déroulement d’une fusion de grandes entreprises : les prémisses, les modalités financières et les modalités juridiques. Bienvenue dans les coulisses du droit des affaires !
Cet article consacré aux modalités juridiques du projet de fusion entre Gaz de France et Suez est la suite et fin d’un précédent article consacré à ses prémisses et à ses modalités financières disponible sur cette page du site du Village de la Justice.
Pour réaliser un tel projet, Gaz de France et Suez ont dû suivre un long processus ponctué de nombreuses démarches et formalités. C’est cette activité qu’exercent les cabinets d’avocats d’affaires sous l’expression « fusions-acquisitions » ou « fusac » dans le jargon voire « M&A » en Franglais. Gaz de France s’est ainsi entourée du cabinet français Darrois Villey Maillot Brochier, du cabinet anglais Freshfields Bruckhaus Deringer et, pour les aspects américains, du cabinet américain Wachtell Lipton Rosen & Katz. Suez, de son côté, a fait appel au cabinet anglais Linklaters et au cabinet français Bredin Prat. L’Etat français, quant à lui, s’est offert les services du cabinet français Gide Loyrette Nouel. Ces cinq cabinets figurent parmi les plus influents et réputés de la place de Paris et bénéficient presque tous d’une envergure internationale avec des équipes hautement spécialisées dans ce type de dossiers.
Les démarches et formalités indispensables à la réalisation du projet de fusion se situent sur deux terrains : le premier concerne les opérations financières préalables à la fusion de Gaz de France et Suez tandis que le second concerne ladite fusion à proprement parler. Comme l’a exposé le précédent article, les opérations financières préalables à la fusion ont pour objet le reclassement des activités des secteurs de l’eau et de la propreté de Suez : préalablement à sa fusion avec Gaz de France, Suez doit en effet fusionner avec sa filiale Rivolam, apporter ses participations dans ces activités à la société Suez Environnement Company et distribuer une quote-part de ses actions Suez Environnement Company à ses propres actionnaires. En dix étapes successives, envisageons principalement les démarches concernant la fusion à proprement parler et accessoirement celles concernant les opérations préalables à celle-ci.
Les préalables législatifs et réglementaires
Première étape : il faut modifier la loi. La participation de l’Etat français dans le capital social de Gaz de France ne peut être inférieure en effet à 70% conformément à la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Or, comme l’a exposé le précédent article, le projet de fusion doit conduire à diminuer celle-ci à environ 35%. Il faut dès lors obtenir du législateur qu’il modifie l’article 24 de ladite loi. Mais cet épisode a été la proie d’importantes embûches suscitées par des critiques politiques, économiques et syndicales : faire passer de 70% à environ 35% la participation de l’Etat français dans le capital de Gaz de France revient en effet à privatiser le gazier français.
Le projet de loi n° 3201 relatif au secteur de l’énergie est déposé à l’Assemblée nationale le 28 juin 2006, soit quatre mois après l’annonce officielle du projet. L’actualité s’est abondamment fait l’écho de la polémique dont le nombre record d’amendements déposés sous la Ve République, plus de 30 000, et les nombreuses grèves et manifestations ont pu démontrer l’ampleur. Finalement, la loi relative au secteur de l’énergie est adoptée le 8 novembre 2006, abaissant la participation minimale à « plus du tiers » tout en réalisant l’ouverture complète à la concurrence des marchés de l’énergie en France. Si à peine plus de quatre mois ont ainsi suffi, c’est parce que le Gouvernement a déposé une déclaration d’urgence, réduisant le travail parlementaire à une seule navette, et même engagé sa responsabilité sur ce projet de loi devant l’Assemblée nationale, le célèbre « 49-3 », obligeant celle-ci, si elle ne veut pas que le Gouvernement soit contraint à démissionner, à laisser passer celui-ci sans discussion.
Seulement, l’opposition a saisi les 13 et 14 novembre 2007 le Conseil constitutionnel contre ladite loi relative au secteur de l’énergie et notamment de sa disposition entraînant la privatisation de Gaz de France. C’est alors qu’a surgi un des nombreux rebondissements du feuilleton : dans sa décision n° 2006-543 DC, le Conseil constitutionnel ne déclare pas contraire à la Constitution cette privatisation dans la mesure où, les directives communautaires prévoyant l’ouverture complète à la concurrence du secteur de l’énergie, Gaz de France ne peut plus être regardée comme un monopole ou un service public national mais il en diffère l’effet à la date à laquelle cette ouverture doit être effective et Gaz de France, perdant son monopole, doit cesser d’être un tel service public national. Cette date étant fixée au 1er juillet 2007, la privatisation de Gaz de France et, partant, sa fusion avec Suez ne peuvent donc pas avoir lieu avant le 1er juillet 2007, soit sept mois à patienter. Sous cette réserve, la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie est donc promulguée et le décret n° 2007-1784 du 19 décembre 2007 pris pour l’application de la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation dont l’article 2 subordonne la privatisation de toute entreprise publique à un décret entérine la privatisation de Gaz de France, clôturant ainsi la première étape du processus.
Les autorisations en matière de concurrence
Deuxième étape : il faut obtenir le feu vert de Bruxelles. Gaz de France et Suez opèrent en effet toutes deux sur les marchés du gaz et de l’électricité en France et en Belgique. Si la fusion devait avoir lieu en l’état, elle aboutirait à concentrer au sein de la même entreprise, à savoir le nouvel ensemble GDF Suez, des activités jusque là exploitées par deux entreprises distinctes, à savoir Gaz de France d’une part et Suez d’autre part : cette concentration pourrait ainsi entraver le libre jeu de la concurrence sur ces marchés.
Afin de préserver ce libre jeu de la concurrence, l’article 81 du Traité instituant la Communauté européenne interdit ces opérations de concentration économique entre les entreprises au niveau européen. Le règlement CE n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises en précise les modalités. Satisfaisant à leurs obligations découlant de ces textes, Gaz de France et Suez ont donc procédé le 10 mai 2006, à la notification préalable de leur opération de concentration auprès la Commission européenne dont la Direction générale de la concurrence assure le contrôle de ces opérations.
Estimant que l’opération entrait dans le cadre de ces deux textes et soulevait de sérieux doutes quant à la préservation du libre jeu de la concurrence, la Commission européenne a ouvert la procédure de contrôle. Au cours de celle-ci, elle a passé en revue et mentionné aux deux sociétés, le 19 août 2006, les entraves au libre jeu de la concurrence : la communication des griefs. Un contentieux est d’ailleurs né à ce sujet entre le PDG et les administrateurs salariés de Gaz de France : celui-ci a refusé de leur adresser cette communication des griefs si bien qu’ils ont agi en référé pour l’y contraindre et par un arrêt du 29 janvier 2008, la Chambre commerciale de la Cour de cassation leur a donné raison. Sur la base de ces griefs, Gaz de France et Suez ont dû prendre des engagements visant à rendre leur fusion compatible avec le maintien du libre jeu de la concurrence, autrement dit des concessions. Cette procédure et l’ensemble de ces échanges auxquels elle a donné lieu entre les deux sociétés et la Commission européenne, y compris sur place à Bruxelles, a ainsi abouti le 14 novembre 2006 à une décision de la Commission européenne autorisant la fusion sous réserve de ces concessions. Ces aspects sont traités par les équipes « droit de la concurrence » des cabinets d’avocats.
Parmi ces engagements, figurent notamment la cession de la participation de 25,5% détenue par Gaz de France dans SPE, le deuxième électricien en Belgique, la cession de celle détenue par Suez dans Distrigaz, une des entreprises du gaz en Belgique, ou encore la réduction de 57,5% à 45% au plus de la participation détenue par Suez dans Fluxys, le gestionnaire des infrastructures de transport du gaz en Belgique. Au cours de l’année 2008, ces engagements ont été réalisés : EDF a racheté SPE, Distrigaz a été rachetée par ENI, le groupe pétrolier italien, et Suez a cédé Fluxys à Publigaz, l’holding communal des entreprises de gaz belges.
Gaz de France et Suez ont par ailleurs présenté d’autres demandes d’autorisations dans de nombreux Etats à travers le monde où elles exercent leurs activités et où de telles autorisations sont requises soit en matière de contrôle des concentrations, soit en matière administrative ou réglementaire, soit en matière de régulation du secteur de l’énergie. De plus, en dépit de la compétence exclusive de la Commission européenne en matière de contrôle des concentrations en Europe, la Belgique s’est souciée des impacts de la fusion sur son marché énergétique national : des négociations ont donc eu lieu entre le Gouvernement belge et les deux sociétés aboutissant à des engagements énumérés dans un accord dénommé « Pax electrica II ».
Les rapports des commissaires aux apports et des commissaires à la fusion
Troisième étape : il faut demander la désignation des commissaires aux apports et commissaires à la fusion. Comme l’a exposé le précédent article, la fusion a lieu par voie d’absorption de Suez par Gaz de France. Plus précisément, Suez apporte tout son patrimoine à Gaz de France qui, en contrepartie, remet aux actionnaires de Suez des actions Gaz de France. La valeur des apports de Suez est fixée à près de 30 milliards d’euros et Gaz de France remet aux actionnaires de Suez 21 actions Gaz de France pour 22 actions Suez selon la parité d’échange arrêtée. L’article L. 236-10 du Code de commerce prévoit alors la désignation de commissaires aux apports chargés d’apporter leur appréciation sur la valeur des apports de Suez convenue par les deux sociétés et de commissaires à la fusion chargés de vérifier la pertinence de la valeur attribuée aux actions Gaz de France et l’équité de la parité d’échange. Leurs rapports ont pour but de délivrer l’avis d’experts indépendants et ainsi éclairer leur décision d’approuver ou non la fusion.
Satisfaisant à ces dispositions, Gaz de France et Suez ont déposé une requête conjointe en désignation de ces commissaires devant le Président du Tribunal de commerce de Paris, leur siège social respectif se situant dans le ressort de celui-ci. Par ordonnance du 30 mai 2006, trois experts-comptables et commissaires aux comptes ont été ensemble désignés en qualité de commissaires aux apports et de commissaires à la fusion. Leurs rapports déposés le 11 juin 2008 concluent à la non-surévalutation des apports de Suez et à l’équité de la parité d’échange.
Cette procédure a également été suivie dans le cadre de la fusion de Suez et Rivolam, une des opérations financières préalables à la fusion de Gaz de France et Suez. Suez et Rivolam ont donc déposé une requête conjointe en désignation de commissaires aux apports devant le Président du Tribunal de commerce de Paris. Par ordonnance du 17 octobre 2007, deux des trois précédents experts-comptables et commissaires aux comptes ont également été désignés en qualité de commissaires aux apports dans cette fusion simplifiée. Il s’agit d’une fusion simplifiée car, comme l’a exposé le précédent article, Rivolam est d’ores et déjà détenue par Suez : cette circonstance justifie l’absence de commissaires à la fusion puisqu’une dispense est prévue en cas de fusion simplifiée. Les deux commissaires aux apports ont déposé leur rapport le 5 juin 2008 aux termes duquel ils concluent à la non-surévaluation des apports de Rivolam à Suez.
L’information et la consultation des instances représentatives du personnel
Quatrième étape : il faut informer et consulter le personnel. Différentes instances représentatives du personnel au sein de chaque société sont ainsi informées et consultées sur le projet de fusion : le Comité central d’entreprise et le Comité d’entreprise européen au sein de Gaz de France ainsi que le Comité d’entreprise et l’Instance européenne de dialogue (IDE) au sein de Suez. Le projet entre en effet dans le champ des articles L. 432-1 et L. 432-1 bis du Code du travail [1] concernant le Comité central d’entreprise et le Comité d’entreprise. Il entre également dans le champ des deux accords conclus respectivement par Gaz de France et Suez avec leurs organisations syndicales conformément à la loi n° 96-985 du 12 novembre 1996 relative à l’information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d’entreprises de dimension communautaire, ainsi qu’au développement de la négociation collective : celui du 14 novembre 2001 ayant institué le Comité d’entreprise européen au sein de Gaz de France et celui du 31 mai 1995 relatif à la mise en place de l’IDE au sein du Groupe Suez. Même si ces instances ne formulent qu’un avis qui ne lie en aucun cas les dirigeants ou les actionnaires, leur information et leur consultation restent obligatoires : le fait de ne pas suivre régulièrement ces procédures est sanctionné par le délit d’entrave. Ces aspects sont traités par les équipes « droit social » des cabinets d’avocats.
L’information et la consultation de ces instances ont été l’objet de nombreux rebondissements. En 2006, Gaz de France et Suez ont chacune informé et consulté leurs instances représentatives du personnel. Du côté de Suez, l’information et la consultation n’a pas présenté d’obstacles : le Comité d’entreprise de Suez a rendu, le 29 novembre 2007, un avis favorable à la fusion mais défavorable à l’apport-distribution concernant Suez Environnement Company et l’Instance européenne de dialogue de Suez a rendu, le 7 janvier 2008, un avis défavorable. Cette formalité a également été observée auprès du Comité d’entreprise de Suez Environnement qui a rendu, le 10 décembre 2007, un avis favorable à sa mise en bourse.
C’est en revanche du côté de Gaz de France que les embûches ont été nombreuses. Le Comité central d’entreprise et le Comité d’entreprise européen de Gaz de France ont en effet tous deux agi en justice pour entrave. Le 8 novembre 2006, le juge des référés près le Tribunal de grande instance de Paris a décidé de reporter la date de la réunion du Comité central d’entreprise afin de lui accorder le temps nécessaire à la consultation des informations communiquées par la direction avant de donner son avis sur le projet. Plusieurs réunions après et un an plus tard, le Comité central d’entreprise n’a toujours pas rendu son avis. La direction de Gaz de France, suspectant une stratégie de blocage, a alors engagé à son tour une procédure judiciaire contre ledit Comité afin de le contraindre à rendre son avis, certes purement consultatif mais néanmoins obligatoire. Le 22 janvier 2008, le juge des référés près le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que la procédure n’avait pas été régulièrement conduite et ordonné sa poursuite ainsi qu’un complément d’information de la part de la direction. Finalement, le 26 mai 2008, le Comité central d’entreprise de Gaz de France a enfin rendu son avis, un avis défavorable.
La procédure engagée par le Comité d’entreprise européen a été aussi longue. Confirmés par un arrêt du 16 janvier 2008 de la Chambre sociale de la Cour de cassation, le juge des référés près le Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d’appel de Paris ont décidé le 21 novembre 2006 que le Comité n’avait pas été suffisamment informé. En conséquence, il a été ordonné un complément d’information et les réunions du Comité devant donner son avis et du Conseil d’administration devant approuver la fusion ont été reportées. Ces reports ont alors bousculé le calendrier, le retardant d’au moins plusieurs mois. Finalement, le 11 mars 2008, le Comité d’entreprise européen de Gaz de France a enfin rendu son avis, un avis lui aussi défavorable.
Les démarches auprès des autorités boursières
Cinquième étape : il faut obtenir le feu vert du gendarme de la bourse. De la fusion de Gaz de France et Suez, résulte GDF Suez. Les actions Gaz de France et les actions Suez doivent donc disparaître de la cote boursière et être remplacées par des actions GDF Suez. Cette opération requiert le feu vert du gendarme de la bourse, l’Autorité des marchés financiers (AMF). Pour ce faire, Gaz de France et Suez ont établi un prospectus et l’ont déposé à l’AMF conformément aux articles L. 412-1 et L. 621-8 et suivants du Code monétaire et financier et 211-1 à 216-1 du Règlement général de l’AMF. Ce document de plus de 300 pages résume le contenu et les modalités de la fusion-absorption et a reçu 13 juin 2008 le visa n° 08-126 de l’AMF. Ces aspects sont traités par les équipes « droit boursier » des cabinets d’avocats.
Pour que les actions GDF Suez et les actions Suez Environnement Company soient effectivement cotées, leur admission doit être désormais sollicitée auprès des marchés financiers. NYSE Euronext, la société gérant notamment la bourse de Paris, a ainsi rendu plusieurs avis détaillant les modalités et caractéristiques techniques de cette admission : un premier avis préparant l’opération le 23 juin 2008 et un second avis entérinant celle-ci le 17 juillet 2008.
Ces formalités ont également été observées en vue de la mise en bourse de Suez Environnement Company : un prospectus a été déposé à l’AMF. Par ailleurs, Gaz de France a procédé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’équivalent américain de l’AMF, à une déclaration d’enregistrement sur formulaire F-4 concernant ses propres actions et à une déclaration d’enregistrement sur formulaire F-6 concernant les actions de Suez conformément au Securities Act 1933.
Les aménagements particuliers en matière d’actionnariat
Sixième étape : il faut aménager la situation de certains actionnaires spécifiques. Le premier aménagement concerne Suez Environnement Company : un pacte d’actionnaires. A l’issue de l’opération d’apport-distribution, GDF Suez ne détient que 35% de Suez Environnement Company, ce qui ne lui permet pas de conserver le contrôle. Ce pacte a donc été conclu avec les principaux actionnaires afin de conserver ce contrôle et assurer un actionnariat stable : la Caisse des dépôts et consignations, Sofina, Areva, CNP
Assurances et Groupe Bruxelles Lambert. Ces aspects sont traités par les équipes « droit des sociétés » ou « corporate » en Franglais des cabinets d’avocats.
Le second concerne l’Etat français lui-même : les actions spécifiques ou golden shares en Franglais. L’article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations permet en effet à l’Etat d’obtenir la transformation des actions ordinaires qu’il détient dans une entreprise nouvellement privatisée en des actions spécifiques lui conférant des prérogatives plus fortes que celles d’un actionnaire quelconque. C’est dans ces conditions qu’a été pris le décret n° 2007-1790 du 20 décembre 2007 instituant une action spécifique de l’Etat au capital de Gaz de France SA : l’Etat français peut ainsi s’opposer à toute décision de GDF Suez ayant un impact sur les infrastructures gazières dont elle est propriétaire.
Les aménagements fiscaux
Septième étape : il faut obtenir différents agréments de l’Administration fiscale. Le premier concerne le transfert des déficits de Suez à Gaz de France en vertu de l’article 223 I, 5 et 6, du Code général des impôts. Le deuxième concerne le transfert des déficits de Suez à Suez Environnement Company en vertu de l’article 223 I, 5 et 7, dudit Code. Le troisième et dernier concerne l’application du régime de faveur prévu aux articles 210 B et 115 2 dudit Code à l’opération d’apport-distribution afin qu’elle soit exonérée d’impôt sur les sociétés au bénéfice de Suez et d’impôt sur le revenu au bénéfice des actionnaires de Suez. Le 3 juin 2008, la délivrance de tous ces agréments a fait l’objet d’un accord de principe par la Direction générale des impôts (DGI). Ces aspects sont traités par les équipes fiscalistes des cabinets d’avocats.
Les approbations des Conseils d’administration et le Traité de fusion
Huitième étape : il faut que les hautes sphères de deux sociétés approuvent le projet de fusion. Les Conseils d’administration de Gaz de France et Suez se sont donc prononcés une première fois en faveur du projet les 25 et 26 février 2006 afin de pouvoir lancer le processus. Les Conseils se sont réunis à d’autres reprises afin de valider les différentes évolutions du projet, telle la réunion du 3 septembre 2007. Puis ayant enfin obtenu les avis des instances représentatives de leur personnel, ils ont définitivement approuvé le projet de fusion le 4 juin 2008 conformément à l’article R. 236-1 du Code de commerce. Les PDG habilités par leur Conseil d’administration ont alors signé le 5 juin 2008 le Traité de fusion. Ces aspects sont traités par les équipes « droit des sociétés » ou « corporate » en Franglais des cabinets d’avocats.
Le Traité de fusion est l’acte juridique qui, à la manière d’un contrat de vente, fixe contractuellement les modalités de la fusion : méthodes d’évaluation de Gaz de France et Suez, modalités comptables et financières de l’apport de Suez à Gaz de France, engagements restant à la charge de chaque société, conditions suspensives etc. Son établissement marque l’aboutissement de tout le processus et intervient à l’issue des opérations de due diligence. Ce document fondamental d’une trentaine de pages sans les annexes a été déposé, le 6 juin 2008, au Greffe du Tribunal de commerce de Paris conformément à l’article L. 236-6 du Code de commerce et publié au Bulletin des annonces légales obligatoires (BALO) sous la forme d’un avis de projet de fusion conformément à l’article R. 236-2 dudit Code. Ces mesures de publicité sont destinées à assurer l’information des tiers et tout particulièrement des créanciers et actionnaires des sociétés.
Ces formalités ont également été observées dans le cadre de la fusion de Suez et Rivolam et l’apport à Suez Environnement Company. Un Traité de fusion et un Traité d’apport ont été conclus, tous deux déposés au Greffe du Tribunal de commerce de Paris et publiés au BALO sous la forme d’un avis de projet de fusion et d’un avis de projet d’apport.
Les approbations des assemblées générales
Neuvième étape : il faut que les actionnaires approuvent la fusion. Lors de leur séance du 4 juin 2008, les Conseils d’administration de Gaz de France et Suez ont procédé à leur convocation, un avis de convocation de l’assemblée des actionnaires de Gaz de France et un avis de convocation de l’assemblée des actionnaires de Suez ayant à cet effet été publiés au BALO. Le rapport du Conseil d’administration de Gaz de France et celui de Suez concernant la fusion ont en outre été établis et laissés à la disposition des actionnaires.
Le 16 juillet 2008, les actionnaires de Gaz de France réunis au Palais des congrès de Paris et les actionnaires de Suez réunis à la Grande arche de La Défense ont définitivement approuvé la fusion. Un avis de fusion reprenant le détail des résolutions adoptées a été publié consécutivement au BALO.
Ces formalités ont été également observées auprès des actionnaires de Suez Environnement Company. Le Conseil d’administration a procédé à la convocation de l’assemblée générale de ses actionnaires afin d’approuver l’apport que lui a consenti Suez et, comme en témoigne l’avis publié au BALO, cette opération a été approuvée par ces derniers le 15 juillet 2008. Par ailleurs, Gaz de France a procédé aux convocations de ses différents obligataires, telle la convocation des porteurs des obligations Gaz de France émises le 19 février 2003 au taux de 5, 125% et à échéance en 2018, afin qu’ils approuvent la modification de ses statuts conformément à l’article L. 228-65 du Code de commerce.
Les finalisations réglementaires et juridiques
Dixième et dernière étape : il faut finaliser la privatisation de Gaz de France et sa fusion avec Suez. La privatisation de Gaz de France est tout d’abord finalisée par un arrêté : la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Christine LAGARDE, a en effet pris, le 16 juillet 2008, un arrêté fixant les modalités du transfert du secteur public au secteur privé d’une majorité du capital de la société Gaz de France SA. Préalablement, elle a dû saisir la Commission des participations et des transferts conformément à l’article 3 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations qui a rendu, le 2 juillet 2008, son avis n° 2008-AC-2 relatif au transfert au secteur privé du contrôle de Gaz de France.
La fusion est enfin finalisée. Toutes les conditions suspensives stipulées dans le Traité de fusion sont en effet levées. La fusion peut donc être officialisée. Cette phase ultime suscitant généralement l’agitation de tous les intervenants, à commencer par les cabinets d’avocats, correspond au closing dans le jargon. C’est officiel : le 22 juillet à minuit, Rivolam est absorbée par Suez qui apporte sa participation à Suez Environnement Company, est absorbée par Gaz de France et dissoute comme en témoigne l’avis de dissolution sans liquidation de Suez publié au BALO puis à 9 heures, la cotation en bourse débute.
2 ans et demi : c’est le temps qu’il aura fallu pour que naisse GDF Suez, le nouveau leader mondial de l’énergie. Tous ces démarches et formalités ont représenté un coût de 20 millions d’euros répartis entre les cabinets d’avocats d’affaires, les banques d’affaires, les conseils financiers et comptables, les commissaires à la fusion et les commissaires aux apports.
Bertrand BAHEU-DERRAS
Elève-avocat au barreau de Paris