La Cour de cassation vient ainsi notamment d’écarter l’application de certains pans de la législation française en matière d’acquisition de congés payés durant une absence pour maladie (ou accident) par plusieurs arrêts du 13 septembre 2023, dont les apports méritent d’être scrutés.
Par un arrêt rendu le 17 juillet 2023 [1], la Cour administrative d’appel de Versailles avait ouvert le bal en jugeant l’article L3141-5 du Code du travail (qui exclut de fait les salariés arrêtés pour maladie non professionnelle du droit à l’acquisition de congés payés pendant leur absence, et limite ce droit à une période d’absence d’un an pour les salariés arrêtés pour maladie ou accident d’origine professionnelle) incompatibles avec l’article 7 de la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, et en condamnant l’Etat à ce titre, considérant de fait qu’un salarié absent pour maladie devait avoir le droit d’acquérir des jours de congés payés.
Ce mercredi 13 septembre 2023, la Cour de cassation a retenu une solution similaire dans plusieurs décisions qui constituent non seulement un revirement de jurisprudence, mais aussi et surtout une invitation à mettre en conformité le droit français avec le droit européen.
Par deux arrêts rendus le 13 septembre 2023 [2], la Cour de cassation a en effet jugé le droit du travail français non conforme au droit européen en matière d’acquisition de congés payés, et a logiquement fait prévaloir celui-ci, indiquant « mettre en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congé payé », et jugeant notamment que :
Les salariés absents pour cause de maladie ou accident d’origine non professionnelle ont droit à des congés payés sur leur période d’absence ;
En cas d’accident du travail (ou de maladie professionnelle), le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail.
Retour sur l’état du droit et l’apport de cette décision.
1- L’état du droit français.
En vertu de l’article L3141-1 du Code du travail, « tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur ».
L’article L3141-3 du Code du travail précise quant à lui que : « Le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif ».
Cet article conditionne l’acquisition desdits congés à la réalisation d’un « travail effectif », défini par l’article L3121-1 du même code comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, sous son autorité, et ne peut vaquer librement à des occupations personnelles.
Or, le Code du travail prévoit que certaines absences du salarié sont assimilées à du temps de travail effectif, telle l’absence du salarié pour cause de maladie d’origine professionnelle, mais d’autres non, telle l’absence du salarié pour maladie d’origine NON professionnelle.
En effet, aux termes de l’article L3141-5 du Code du travail :
« Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congé payé ;
2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption ;
3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L3121-30, L3121-33 et L3121-38 ;
4° Les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif conclu en application de l’article L3121-44 ;
5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque ».
Le Code du travail est ainsi catégorique :
- Le salarié absent pour cause de maladie d’origine professionnelle, d’accident du travail, de congé maternité ou paternité acquiert des congés payés.
- En revanche, les arrêts pour cause de maladie ou d’accident d’origine non professionnelle ne sont pas considérés comme des « périodes de travail effectif » et ne donnent donc pas droit à l’acquisition de congés payés.
Concrètement, cela signifie que le salarié absent pour cause de maladie d’origine professionnelle acquiert ses 2,5 jours de congés payés par mois, ce qui n’est pas le cas du salarié absent pour cause de maladie non professionnelle [3].
2- L’état du droit européen.
Ces dispositions ne sont pas conformes avec la législation européenne et notamment la Directive de 2003 sur le temps de travail.
En effet, la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dispose, en son article 7 :
« Congé annuel
1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
Ainsi, aucune distinction n’est opérée par la Directive entre l’origine professionnelle de la maladie ou non.
Tous les salariés doivent donc acquérir des congés payés durant leur absence aux termes du droit européen.
Par conséquent, lorsque le salarié est absent pour cause de maladie d’origine non professionnelle, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congés payés, conformément à la Directive 2003/88/CE.
Il convient toutefois de préciser que la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 n’a pas été intégralement transposée en droit français, ce qui a pour conséquence l’absence d’effet direct « horizontal » de ce texte à l’égard des particuliers (notamment des salariés ou des employeurs du secteur privé).
Toutefois, les particuliers peuvent s’en prévaloir, et il incombe au juge national de trancher la question et d’interpréter le droit national au regard du droit européen.
En 2010, la Cour de cassation a interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne sur le sujet, lui demandant si un Etat avait la possibilité d’opérer une distinction en matière de droit à congés payés, selon le caractère professionnel ou non de la cause de leur absence.
Dans un arrêt du 24 janvier 2012 [4], la CJUE a très clairement répondu à cette question, affirmant que la perte du droit à congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle était contraire au droit de l’Union Européenne, en l’espèce à l’article 7 de la Directive du 4 novembre 2003.
Pourtant, la Cour de cassation a considéré pendant des années que la Directive 2003/88/CE ne pouvait pas permettre, dans un litige entre des particuliers, d’écarter les effets d’une disposition de droit national contraire. La cour a ainsi longtemps refusé d’étendre aux absences pour maladie non professionnelle le droit à l’acquisition de congés payés et d’écarter les dispositions de l’article L3141-5 du Code du travail, pour faire prévaloir le droit européen [5], faisant valoir que la mise en conformité du droit français avec le droit européen ne pourrait s’opérer que par la modification de l’article L3141-5 du Code du travail [6].
Jusqu’à ses arrêts du 13 septembre 2023, dont les apports en matière de droit à acquisition de congés payés durant une absence pour maladie ou accident d’origine professionnelle (4) ou non (3) méritent d’être scrutés.
3- La solution retenue par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 pour les salariés arrêtés pour maladie ou accident non professionnel(le).
Dans le cas d’espèce, des salariés absents pour cause de maladie d’origine non professionnelle avaient calculé leur droit à congé payé en incluant la période au cours de laquelle ils n’avaient pas pu travailler.
Ce que le droit du travail français n’autorise pas (sauf dispositions conventionnelles plus favorables), contrairement au droit européen.
Prenant le contrepied de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation juge pour la première fois dans sa décision du 13 septembre 2023 que le salarié absent pour cause de maladie d’origine non professionnelle acquiert des droits à congés payés durant cette période d’absence [7].
Pour ce faire, se référant non seulement à l’article 7 de la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, mais aussi et surtout à l’article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui affirme le droit de tout travailleur « à une période annuelle de congés payés », la Cour de cassation écarte l’application de l’article L3141-3 du Code du travail, en ce que ce dernier subordonne l’acquisition de droits à congés payés à l’exécution d’un travail effectif :
« Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l’article L3141-3 du Code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union européenne. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail ».
Les salariés absents pour cause de maladie ou accident non professionnels doivent donc désormais pouvoir acquérir des congés payés au titre de leur période d’absence, au même titre que les salariés absents pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
4- La solution retenue par la Cour de cassation pour les salariés arrêtés pour cause de maladie ou accident d’origine professionnelle.
Dans le même temps, la Cour de cassation a jugé, ce même 13 septembre 2023, sur les mêmes fondements, que le calcul des droits à congé payé ne serait plus limité à la première année de l’arrêt de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, écartant l’application de l’article L3141-5 du Code du travail qui limite à un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congés payés [8] :
« Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause d’accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d’une durée ininterrompue d’un an, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l’Union. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail ».
5- Sur les enseignements à tirer de ces décisions.
Par ces deux décisions importantes, la Cour de cassation juge donc que les salariés absents pour cause de maladie ou d’accident, d’origine professionnelle ou non, ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler, sans limiter cette période à une durée d’un an.
La Cour de cassation invite en outre clairement par ces décisions le législateur à mettre en conformité le droit national avec le droit européen, en modifiant notamment les articles L3141-3 et L3141-5 du Code du travail.
Dans cette attente, les salariés pourront saisir la justice en se réclamant de la jurisprudence de la Cour de cassation pour obtenir la reconnaissance de leurs droits à congés payés durant leurs absences pour maladie ou accident, d’origine professionnelle ou non.
En effet, la condamnation de l’Etat qu’avaient obtenue la CGT et FO devant la Cour administrative d’appel de Versailles le 17 juillet 2022 actait un principe, toutefois difficile à mettre œuvre. Les entreprises étant soumises au Code de travail, elle signifiait que les salariés concernés devraient se retourner contre l’Etat pour le mettre en demeure de leur verser des dommages et intérêts pour mauvaise transposition d’une directive.
La jurisprudence de la Cour de cassation s’applique, elle, directement aux employeurs, et permet aux salariés d’invoquer les droits à acquisition de congés payés qu’elle leur reconnaît.
Les décisions rendues par la Cour de cassation ce 13 septembre 2023 garantissent ainsi « une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé », selon la Haute juridiction elle-même, qui précise dans son communiqué relatif à ces décisions que « les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle » et que « en cas d’accident du travail [ou de maladie professionnelle], le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ».
Salariés, veillez donc à faire respecter vos droits à l’acquisition de congés payés durant vos périodes d’absence pour maladie ou accident (d’origine professionnelle ou non) !
Discussions en cours :
Bonjour, est ce que ce droit aux congés payés en arrêt maladie est valable dans une entreprise sous la convention 51. Cette loi s’applique à tous les français peu importe le statut et les conventions de l’entreprise ?
Merci par avance. Bien Cordialement.
Bjr, comment cela se passe si vous avez été licencié début 2023 après 3 ans de maladie professionnelle, c est foutu vous n êtes plus chez l employeur et dans ce cas ce n est pas rétroactif(3 ans) je suppose ?
Bonjour, qu’en est-il des artt lorsque ceux ci sont attribués de façon forfaitaire et notamment dans la Fonction Publique Territorial ?
Cette règle de droit s’y applique-t-elle.?
N.B
En effet, certains employeurs dont des Avocats demande une publication du texte pour l’appliquer.
Pouvez vous nous expliquer ?
Merci par avance.
Comment cela se passe pour les assistantes maternelle puisque nous pouvons remonter 3 ans en arrière mais à priori moins de 6 mois pour un contrat arrêter
Je ne comprend pas de trop
Cordialement
Mme Thierry