Depuis le 1er avril 2018, la CAF s’impose dans le contentieux familial.

Par Dominique Lopez-Eychenié, Avocate.

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Explorer : # pension alimentaire # médiation familiale # résidence des enfants # automatisation juridique

L’article L 582-2 du Code de la Sécurité sociale permet à la CAF de donner force exécutoire aux accords intervenus entre les parents pour les pensions alimentaires sous certaines conditions qui ont des effets sous-jacents particulièrement dangereux pour les parents en ce qu’ils vont surtout viser à les priver d’un accès naturel et légitime au contrôle d’un juge sous couvert d’ajustement de pension alimentaire.

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Désormais, l’article L 582-2 du code la sécurité sociale modifié par Loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 - art. 41 (V) différé dans son application à avril 2018 permet aux parents qui se séparent, non mariés et sans pacs en cours, sans demande d’allocation de soutien familial ou décision de justice ou autre accord entre eux, de faire une demande conjointe dématérialisée en fixant une pension alimentaire qui doit être supérieure ou égale à un seuil établi en tenant compte notamment des modalités de résidence retenues pour l’enfant mentionné, des ressources du débiteur et du nombre d’enfants de ce dernier lorsqu’ils sont à sa charge.
En clair, cela veut donc dire que les parents qui mettent un terme à un concubinage ou à un pacs peuvent demander à l’organisme débiteur de prestations sociales pour leurs enfants d’avaliser leur accord sur une pension alimentaire en numéraire, basée sur la table de référence indicative qui existe depuis le 12 avril 2010 présenté comme un outil d’aide à la décision purement indicatif, et de lui donner force exécutoire. C’est seulement si l’organisme refuse qu’il faudra saisir le juge aux affaires familiales sur la base de l’article 373-2-7 du code civil qui pourra homologuer la convention s’il considère qu’elle préserve suffisamment l’intérêt de l’enfant et que le consentement des parents a été donné librement.
C’est donc bien une généralisation du recours direct à l’organisme débiteur de prestation alimentaire à laquelle on assiste car l’article L 582-1 du code de sécurité sociale issu de la même loi avait déjà donné pouvoir à l’organisme prestataire depuis le 25 décembre 2016 de poursuivre le débiteur d’aliments par tous moyens pour le parent en demande ou bénéficiaire de l’allocation de soutien familial. Et si le créancier ne bénéficie pas de cette allocation, il peut demander à l’organisme prestataire de poursuivre le parent débiteur.
Et de même, l’article 373-2-2 qui détermine comment fixer une pension alimentaire avait été déjà complété par la même loi de décembre 2016 d’un dernier alinéa qui dispose :
« Lorsque le parent débiteur de la pension alimentaire a fait l’objet d’une plainte déposée à la suite de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l’enfant ou d’une condamnation pour de telles menaces ou violences ou lorsque de telles menaces ou violences sont mentionnées dans une décision de justice, le juge peut prévoir que cette pension est versée au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales. »

Derrière ce nouveau texte à visée essentiellement économique, se cache en réalité tout un système d’automatisation qui va toucher non seulement les problématiques financières mais aussi celles relatives à la résidence des enfants et à l’exercice de l’autorité parentale.
En effet, le barème est totalement impliqué dans le processus de ces choix puisqu’il sert de socle au montant de la pension alimentaire envisagée.

La première difficulté est à l’évidence que cela peut faire penser au justiciable qu’il s’agit là d’un barème impératif alors que légalement il n’en est rien. Les conséquences peuvent être dommageables lorsque cette table de référence indicative ne correspondra pas bien à leurs situations respectives réelles au détriment de l’un d’eux ou de leur (s) enfant(s) et qu’ils ne sauront pas même qu’ils peuvent s’en exonérer.
C’est une manière de contourner l’article 207 du code civil qui dispose que la pension alimentaire doit être fixée dans la proportion du besoin de celui qui la réclame et de la fortune de celui qui les doit. C’est aussi laisser penser que la pension alimentaire n’est versée qu’en numéraire alors qu’elle peut être fixée selon d’autres modalités comme le versement direct à la personne à laquelle l’enfant peut être confié ou sous la forme d’une prise en charge directe de frais exposés au profit de l’enfant ou encore servie sous forme d’un droit d’usage et d’habitation avec des incidences fiscales et/ou sociales complexes.
Plus graves encore sont les conséquences cachées concernant la résidence des enfants. En effet, le barème des pensions alimentaires présente trois possibilités, sous forme de colonnes, en fonction du mode de résidence des enfants : droit de visite réduit, droit de visite normal et résidence alternée. Les pourcentages appliqués au revenu du parent débiteur de la pension sont fonction de ce choix préalable. De facto, il faudra donc avoir trouvé un accord sur le mode de résidence et le type de droit de visite et d’hébergement en amont de l’accord sur la pension.
Or l’article L 585-2 prévoit que le montant de la pension devra impérativement être égal ou supérieur au barème. Cela a pour corollaire que l’organisme devra vérifier les modalités de résidence et de droit de visite pour valider la pension puisque le montant prévu par le barème varie en fonction de cela.
On voit donc que par simple application du texte, l’organisme va se trouver dans la situation de donner force exécutoire à un accord qui, en sous-main, concerne la résidence et le droit de visite et d’hébergement et ce, sans même que les parties en soient conscientes et puissent en plus en interjeter appel !

Avec la généralisation annoncée de la résidence alternée, le risque est de laisser penser comme le public l’exprime souvent à tort que si les parents s’entendent sur une résidence alternée, il n’y aurait plus lieu à pension alimentaire, ce qui est juridiquement faux.
Ces nouveautés, présentées comme un progrès simplificateur sont en réalité simplistes et excluent toute information préalable du justiciable qui va donc envisager un accord alors qu’il ne connait pas les tenants et aboutissants de ses choix.

La deuxième difficulté est que les parents qui reçoivent des prestations vont clairement être incités à trouver un accord ensemble par l’organisme débiteur de prestations. Et il est fortement probable que ce dernier les envoie chez les médiateurs que la CNAF subventionne issus du champ social pour la plupart. Jusque-là, il y avait un contrôle du juge en final qui garantissait la validité juridique de l’accord, contrôle qui n’existera donc plus.
Or, ces médiateurs mettent souvent en avant le fait qu’ils sont sérieux parce que reconnus et donc subventionnés avec un risque bien réel pour les personnes concernées de craindre les médiateurs favorisés par la CAF et de manquer d’informations juridiques suffisantes. La subvention nationale de la médiation familiale par les CAF était déjà de près de 19 millions d’euros annuels quand elle a démarré et permet de maintenir des postes de médiateurs à plein temps. Comment ne pas penser que le médiateur subventionné par la CAF ne va pas insister sur son rôle pour conclure un accord à présenter à l’organisme débiteur de prestations sociales qui opérera ses propres calculs en conséquence sans qu’à aucun moment les personnes n’aient eu une véritable information sur leurs droits ?
Si la médiation est un outil formidable pour reprendre un dialogue nécessaire surtout quand on a des enfants, elle suppose que bien des conditions soient réunies dont le premier est que cela doit rester une démarche volontaire que l’on doit pouvoir quitter à tout moment sans que cela ne soit reproché ou doive être motivé. En outre, un médiateur digne de ce nom doit rester indépendant, impartial et neutre. Il n’a donc pas à donner de conseils juridiques de sorte que ce n’est pas en médiation qu’il est possible de connaitre les effets des choix effectués.
Il est conseillé de soumettre tous potentiels accords de médiation à des avocats avant de les avaliser ou de les signer afin que le consentement donné soit libre et éclairé sur les conséquences juridiques, fiscales, sociales qu’il implique et qui n’apparaissent pas aux profanes.
Or, la volonté de déjudiciarisation tend à rendre la tentative de médiation obligatoire à la fin de l’expérience actuelle menée dans quelques tribunaux pilotes qui devraient normalement renvoyer aux nouvelles listes de médiateurs agréés par les Cours d’appel. C’est une excellente chose à la double condition que les règles de la médiation soient clairement établies : pas de compte rendu, pas de pression, pas de préférence de médiateur par l’organisme prestataire en amont, pas de médiation dans certains cas, nécessité de faire valider le texte par des avocats car les demandes à l’organisme seront déclaratives de sorte que personne ne vérifiera la validité juridique de l’accord, ni n’informera les parties des conséquences y liées.

La troisième difficulté tient à la faiblesse potentielle (et courante) de l’un des parents face à l’autre, faiblesse qui sans menaces ni violences, pourrait l’amener à accepter des pensions inacceptables. Les professionnels du droit de la famille le savent, les pressions sont légion dans un couple qui se sépare (pression entre les parents, pressions de la famille, pressions enfants) et il faut un interlocuteur capable de faire barrage à cela. A l’évidence, l’intervention d’une administration déshumanisée sans aucun conseil préalable ne peut que favoriser les excès en la matière.
Sous couvert de rendre service aux citoyens par une justice expéditive qui fera l’économie de la saisine d’un juge, donner le pouvoir exécutoire à l’organisme débiteur pour les accords, cela revient concrètement à éviter l’accès au juge pour tous au mépris de l’intérêt des personnes que la Loi a pourtant mission de protéger.
Dans la mesure où la loi prévoit un accord préalable des parties concernées, seuls les avocats ont la compétence juridique nécessaire à leur assurer une parfaite information mais aussi des conseils adaptés à leur situation personnelle et une négociation sans mauvaise surprise. Les avocats ont donc tout intérêt à s’emparer des modes alternatifs de règlement des conflits et à se former notamment pour devenir Professionnel Collaboratif et avoir ainsi les compétences nécessaires pour accompagner leurs clients vers des solutions négociées conformes à leurs besoins et intérêts communs dans le respect de leurs droits pour valider des accords.
A défaut, il ne sera pas possible de contourner la médiation qui tend à devenir obligatoire sachant que certains médiateurs familiaux non rompus à l’exercice du droit viseront eux aussi à simplifier les accords sur la base d’un barème qui risque au final de devenir la règle sous prétexte de base commune et ce, alors même que, les professionnels du droit le savent, cette table de référence dite indicative a de sérieuses limites qui la rendent parfois, souvent même, parfaitement inadaptée.
En ne se formant pas, en n’évoluant pas vers de nouvelles modalités d’exercices plus tournés vers les modes alternatifs, la profession d’avocat risque de participer, à son corps défendant, à une déshumanisation insupportable de la chose judiciaire annoncée, qui deviendra alors une véritable machine à broyer.
Si notre justice est longue, c’est uniquement faute de moyens qui ne profitent pas à ceux qui ont besoin d’aide, d’être défendus dans leurs droits pour conclure des accords pérennes parce que le budget de la justice en 2017, ce n’est que seulement 8, 2 milliards soit 1,2% du budget national qui nous place au 37ème rang sur 43 après l’Arménie et l’Azerbadjian.
C’est dire et redire qu’il n’est pas à la hauteur de la France pour pouvoir être encore trop lourd et se permettre de tailler encore des coupes sombres dans l’œuvre de justice qui ne sera plus rendue avec un risque de dérive évident pour un Etat de droit qui n’est pas acceptable.

Dominique Lopez-Eychenié
Avocate au Barreau de Lille
Médiateure agréée CNMA
Présidente de l’ADPCI
Déléguée régionale ANM
Adr-avocat - Adpci.org

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