Peut-on employer valablement des intermittents du spectacle en portage salarial ?

Par Frédéric Chhum, Avocat et Camille Colombo, Eleve-Avocat.

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Explorer : # portage salarial # intermittents du spectacle # réglementation # emploi

La loi du 25 juin 2008 a légalisé le portage salarial. Pourtant, les règles juridiques relatives au portage salarial ne sont pas claires. On peut notamment s’interroger sur la légalité de l’emploi de salariés artistes et techniciens, intermittents du spectacle, par des sociétés de portage.

Une clarification législative s’impose.

-

1) Définition du portage salarial

Le portage salarial a été défini par l’article 8 de la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail reprenant les termes de l’article 19 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013.

Il s’agit d’une relation triangulaire entre une société de portage, un salarié, le « porté », et une entreprise cliente.

Le portage salarial se caractérise par :

• La prospection des clients et la négociation de la prestation et de son prix par le porté ;

• La fourniture des prestations par le porté à l’entreprise cliente ;

• La conclusion d’un contrat de prestation de services entre le client et la société de portage ;

• Et la perception du prix de la prestation par la société de portage qui en reverse un salaire au porté dans le cadre d’un contrat de travail.

2) L’accord du 24 juin 2010 et les recommandations de la circulaire UNEDIC du 7 novembre 2011 et de la lettre du Ministère de la Culture du 27 août 2012

Afin de venir préciser les termes de l’article 8 de la loi du 25 juin 2008, un accord relatif à l’activité de portage salarial a ensuite été signé le 24 juin 2010, par le PRISME, organisation employeur du travail temporaire, et quatre des cinq organisations syndicales représentatives au plan national et interprofessionnel.

Cet accord (non étendu et donc non applicable à ce jour) précise, notamment, que la société doit exercer de manière exclusive l’activité de portage salarial.

Cette préconisation a été reprise par une circulaire UNEDIC du 7 novembre 2011, ainsi que dans une lettre du Ministère de la Culture du 29 août 2012.

A cet égard, cette lettre ajoute que dans le cas d’une entreprise qui dispose d’une licence d’entrepreneur de spectacles vivants, au titre d’une réelle activité de production, cette licence ne peut valoir pour autrui, ce qui est le cas si cette entreprise exerce une activité de portage.

Cette lettre précise également qu’ « à cet égard, il […] est demandé [aux préfets de région] d’examiner avec la plus grande attention les dossiers de renouvellement de licence qui feraient apparaître une grande diversité d’activités, une disproportion entre la programmation réalisée et les déclarations sociales présentées, et une programmation incertaine  ».

Il ressort de ces textes qu’une société de production de spectacles ne peut pas, en principe, exercer, parallèlement, une activité de portage salarial.

Cependant, ces textes n’ont pas, pour le moment, force obligatoire.

Aussi, il semble possible pour les sociétés de production de maintenir une activité de portage salarial, tant que l’accord du 24 juin 2010 n’est pas étendu et/ou qu’une loi est votée en ce sens, mais cette solution reste cependant risquée, car la DRAC pourrait refuser aux sociétés de production le renouvellement de leurs licences d’entrepreneur de spectacles.

3) Le portage salarial comme activité exclusive : l’impossibilité d’employer des ouvriers et techniciens du spectacle ?

Il ressort des textes précités que les sociétés de portage salarial doivent désormais avoir pour unique activité le portage salarial, et donc avoir un objet social et un Code NAF correspondant à cette activité.

Par conséquent, les sociétés de portage salarial pourront, désormais, embaucher uniquement des artistes (Annexe 10 à la Convention d’assurance-chômage), mais elles ne peuvent plus embaucher d’ouvriers et de techniciens du spectacle (Annexe 8 à la Convention d’assurance-chômage).

3.1) Incompatibilité entre l’activité de portage salarial et l’embauche d’ouvriers et techniciens du spectacle

En effet, les techniciens du spectacle, pour percevoir leurs allocations chômage, doivent justifier avoir travaillé pour une Société possédant un code NAF spécifique, relevant de la production audiovisuelle, à la radiodiffusion, à l’édition musicale ou audiovisuelle ou encore aux arts du spectacle vivant.

Il s’agit notamment des codes NAF suivants :

- 59.11 B : production de films institutionnels et publicitaires ;

- 59.20 Z : Enregistrement sonore et édition musicale ;

- 60.10 Z : Radiodiffusion ;

- 60.20 A : Édition de chaînes généralistes ;

- 90.02 Z : Activités de soutien au spectacle vivant et détention du label prestataire de services de spectacle vivant ;

- Etc.

Or, comme le rappellent l’accord du 24 juin 2010 et la circulaire UNEDIC du 7 novembre 2011, une société de portage salarial doit exercer de manière exclusive une activité de portage salarial. Elle ne peut donc pas avoir un code NAF correspondant aux activités citées ci-dessus.

Il y a donc une incompatibilité entre la qualité d’ouvrier ou de technicien du spectacle (Annexe 8) et leur embauche par des sociétés de portage salarial.

Si certaines sociétés, dont l’activité déclarée est la production, mais dont l’activité effective est le portage salarial, emploient jusqu’à présent des ouvriers et techniciens du spectacle sous un Code NAF relevant des sociétés de production (audiovisuel, spectacle), un tel « montage » semble aujourd’hui risqué, compte tenu des règles en vigueur et dans l’hypothèse de l’extension de l’accord du 24 juin 2010 par le Ministre du travail.

3.2) L’embauche d’artistes du spectacle soumise aux prescriptions de la circulaire UNEDIC du 7 novembre 2011

Dans l’état actuel du droit, les sociétés de portage salarial ne pourront engager que des artistes (Annexe 10) et ne pourront plus « porter » d’ouvriers et techniciens du spectacle (Annexe 8).

En outre, les artistes faisant appel à une société de portage salarial devront être indépendants dans leur activité, notamment ils devront définir eux-mêmes leurs prestations de spectacle et remplir les conditions de rémunération, d’expertise et d’autonomie de négociation de leurs prestations.

De surcroît, afin que les artistes « portés » soient éligibles aux allocations chômage du spectacle, les sociétés de portage salarial devront respecter les critères de la circulaire UNEDIC du 7 novembre 2011 ; les salariés devront notamment bénéficier du statut cadre, ainsi que d’une rémunération minimale de 2.900 euros bruts mensuels sur la base d’un temps plein.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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  • Je vous répondrai en revoyant l’ordre des mots dans votre titre : Peut-on parler de portage salarial lorsqu’on emploie des intermittents du spectacle ? Le principe même du portage salarial dans le spectacle est un non-sens, issu pour une bonne part d’un énorme quiproquo !

    Le terme a été plaqué sur l’émergence de pratiques de productions que l’on n’arrivait pas à définir bien avant la loi du 25 juin 2008 et aux négociations paritaires qui l’ont précédée.

    Cette forme de production - où le producteur est avant tout un partenaire administratif qui n’investit pas dans la création d’un projet artistique - est une nécessité car l’artiste (ou le technicien du spectacle) ne peut exercer son métier que s’il est salarié.

    Le terme de "portage salarial" est donc antérieur à la loi est il est impropre. C’est l’acte 1.

    L’acte 2 est la fameuse loi du 25 juin 2008, qui définit pour une situation sociale tout à fait différente le portage, comme une relation triangulaire imaginer pour garantir une couverture sociale à de vieux cadres licenciés d’entreprises et qui souhaitent reprendre en indépendant une activité professionnelle. Je ne refais pas le schéma du portage, vous l’avez très bien décrit.

    On se retrouve donc avec des entreprises de production qui ont gardé le qualificatif "d’entreprises de portage" dont elles ont hérité d’une part, une définition du portage arrivant à postériori d’autre part.

    Les structures de "portage artistique" sont généralement responsables et leur émergence est le plus souvent le fruit d’une démarche éminemment éthique. Elles font généralement bien leur boulot : les salaires sont versés, la contractualisation est solide (bien plus que dans le cas du GUSO qui est la forme que l’administration veut imposer, j’y reviendrai), les cotisations sont versées, les missions de chacun (artiste producteur et organisateur) sont clairement définies et les responsabilités de chacun sont délimitées et définies. Je ne fais pas d’angélisme : il y a ici comme partout quelques margoulins, mais dans l’ensemble de la production artistique française, ce n’est pas dans nos métiers qu’il sera le plus facile d’en trouver.

    Je suis le responsable d’une telle structure basée à Lille. Elle permet à environ 500 artistes et techniciens de travailler dans un cadre professionnalisé et contractualisé et à environ 200 d’entre eux de vivre de leurs métiers artistiques.

    L’acte 3 est l’apparition en France d’une entreprise appelée Smart. Elle est issue d’une structure similaire en Belgique qui y règne en position hégémonique, tout simplement parce que la législation Belge en matière d’emploi artistique est très différente de la nôtre et que Smart Belgique y a apporté une réponse sans équivalent. Le business model de Smart repose sur un outil internet très lourd et un développement rapide de très grosses parts de marchés pour faire vivre cet outil. L’arrivée de Smart fut donc tonitruante et forcément cela a bousculé un secteur et a fait peur à tout le monde, en priorité les pouvoirs publics et les syndicats. Il fallait dès lors détruire Smart coûte que coûte.

    Smart est d’une certaine manière un de mes concurrent qui devrait à moi aussi faire peur car nous n’avons pas les mêmes moyens, mais je suis plutôt enclin à trouver qu’il apporte des possibilités nouvelles d’emploi.

    On en arrive à l’acte 4, celui qui nous vaut votre article : Puisque cette forme de production est appelée portage et que l’on a donné entretemps une autre définition du portage incompatible avec les règles qui régissent la production artistique, il suffit de qualifier le portage en secteur artistique d’une pratique illégale ! Smart n’y survivra pas, pas plus que les autres structures qui pratiquent cette forme de production, mais ce seront de simples dégâts collatéraux.

    C’est d’autant plus facile que le métier de producteur est réglementé et soumis à la détention d’une licence d’entrepreneur de spectacle de catégorie 2 donnée pour une période de 3 ans par le préfet après instruction du dossier de demande par la DRAC. D’où la lettre ministérielle du 27 Août, qui donne instruction (avec un niveau de hiérarchie du droit pour le moins discutable) de ne plus accorder de licence à ceux qui seraient soupçonnés de pratiquer du "portage".

    Je suis assez long pour expliquer le chemin qui nous mène à une situation ubuesque. Cette dernière me mets, et qui met avec moi tous ceux qui ont monté avec une énergie considérable, une volonté inébranlable de bien faire et une éthique qui ne prend en compte que l’intérêt des artistes et techniciens que nous salarions, dans un état d’insécurité et un sentiment d’injustice inouï. Plusieurs structures ont déjà perdu leurs licences et ont dû cesser d’exister, rejetant des salariés dans le travail illégal et plus de précarité. Ma propre demande de renouvellement de licence sera instruite en septembre et d’ici là, je vis dans l’incertitude sur l’avenir d’une structure vitale pour le spectacle vivant dans ma région (je suis basé à Lille), qui a 10 ans d’existence et dont tout le monde (y compris les caisses sociales et le fisc) reconnait le professionnalisme, une structure où je m’investis je tiens à le préciser totalement bénévolement. Au cours d’une rencontre à la DRAC, j’ai eu droit à "ce que vous faites est très utile et vous êtes irréprochables, mais on se demande si vous avez le droit de le faire".

    Vous êtes juriste, je vous pose donc une simple question. Est-ce que le fait d’avoir collé un qualificatif de "portage" par défaut à une pratique légale et réglementaire rend cette activité illégale dès lors que le terme de portage est ensuite utilisé pour définir une pratique totalement différente dans un secteur d’activité différent ? Je comprends très bien qu’il y ait des risques de confusion, dans le mesure où un schéma de production est - tout comme un schéma de portage - une relation triangulaire où l’artiste est prescripteur de son emploi (c’est le nom de l’artiste et non celui du producteur qui va intéresser le public et par là même un organisateur).

    L’exercice de ma responsabilité d’employeur est pleinement assurée. La création d’un lien de subordination avec le salarié est incontestable ni sur le fond ou sur la forme. Mon exercice de producteur qui est "le responsable du spectacle et notamment de la rémunération du plateau artistique" est lui aussi incontestable et conforme aux obligations qui m’incombent du fait que ce métier est réglementé. Est-ce que tout cela n’a aucune valeur dès lors qu’il est dit "vous faites du portage et puisque l’on nomme ainsi ce que vous faites, il n’y a pas de respect du lien de subordination" ?

    Si tel est le cas, il faut aussi changer le vocabulaire pour qualifier le droit. Le terme d’arbitraire me semble parfaitement convenir !

    Je serais très honoré de poursuivre cette discussion et je suis à votre disposition pour cela, ainsi qu’à celle de ceux qui se sont intéressés à votre article.

    Bien cordialement

    Thierry Decocq (TDecocq chez aol.com)

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