1) Rappel des faits et de la procédure.
La Fédération Crédit Mutuel centre est Europe a diligenté une enquête interne visant M. B. (employé en qualité d’inspecteur fédéral), sans en informer ce dernier, après qu’un client eut signalé au Crédit Mutuel avoir fait l’objet, à l’occasion d’un différend d’ordre privé, de menaces de sa part.
Les menaces proférées auraient été « fondées sur de prétendus mouvements suspects sur ses comptes bancaires ».
Les investigations réalisées par le service chargé du contrôle dans le cadre de cette enquête interne ont porté non seulement sur le point de savoir si M. B. avait consulté les comptes bancaires du client à l’origine du signalement, mais également sur les comptes personnels détenus par le salarié au sein de la banque et sur ceux du syndicat dont il était trésorier.
Il est résulté de ces dernières investigations que M. B. avait commis des détournements de fonds au détriment du syndicat.
L’employeur invoque cette enquête à l’appui de sa demande de licenciement.
L’inspectrice du travail de la 7ème section de l’unité territoriale du Bas-Rhin a refusé d’autoriser la Fédération Crédit Mutuel centre est Europe à licencier M. B.
Par une décision du 21 novembre 2013, le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé cette décision.
La banque a formé alors un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 28 décembre 2017 par lequel la Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel qu’elle a formé contre le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg du 21 avril 2016 ayant annulé la décision du ministre chargé du travail.
Dans son arrêt du 2 mars 2020, le Conseil d’Etat affirme « qu’en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail ».
Il ajoute que « lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale » et que « dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié qui, ne méconnaissant pas les obligations découlant pour lui de son contrat de travail, ne constitue pas une faute, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l’entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l’ensemble des règles applicables au contrat de travail ».
2) Les apports de l’arrêt du Conseil d’Etat du 2 mars 2020.
2.1) Les investigations menées lors d’une enquête interne doivent être justifiées et proportionnées au regard des faits à l’origine de l’enquête.
Le Conseil d’Etat, pour annuler la décision d’autorisation de licenciement, affirme que « lorsqu’un employeur diligente une enquête interne visant un salarié à propos de faits, venus à sa connaissance, mettant en cause ce salarié, les investigations menées dans ce cadre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux faits qui sont à l’origine de l’enquête et ne sauraient porter d’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie privée ».
La Haute juridiction soutient ainsi que « l’employeur de M. B… a procédé, sans l’en informer, à la consultation des comptes bancaires personnels de ce salarié, auquel il n’a pu avoir accès qu’à raison de sa qualité de fédération d’établissements bancaires ».
Il ajoute que « cette consultation n’était pas nécessaire pour établir la matérialité des allégations qui avaient été portées à sa connaissance par un tiers ».
Ainsi, les investigations menées n’étaient pas justifiées et proportionnées au regard des faits à l’origine de l’enquête, elles auraient dû porter sur la seule vérification des allégations portées contre le salarié.
2.2) Les éléments issus de l’enquête portant une atteinte excessive à la vie privée du salarié ne peuvent être invoqués à l’appui d’une demande d’autorisation de licenciement.
Suite à l’enquête interne diligentée, les investigations ont abouti à la découverte du fait que le salarié avait commis des détournements de fonds au détriment de son organisation syndicale.
L’employeur a alors invoqué ces éléments à l’appui de la demande d’autorisation de licenciement, pour trouble causé par le salarié rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
La demande est en premier lieu refusée.
Le Conseil d’Etat, saisi après le rejet de l’appel formé par l’employeur, rend ainsi sa décision le 2 mars 2020, rejetant le pourvoi de la Fédération du crédit mutuel centre est Europe, annulant finalement la décision d’autorisation de licenciement.
Le Conseil d’Etat approuve l’argumentation de la Cour administrative d’appel qui avait considéré que l’employeur « avait porté une atteinte excessive au respect de la vie privée » du salarié, « dans des conditions insusceptibles d’être justifiées par les intérêts qu’elle poursuivait ».
Il affirme ainsi que « le ministre du travail n’avait pu légalement, pour annuler la décision de l’inspectrice du travail, se fonder sur le motif tiré de ce que le détournement de fonds commis par le salarié constituait un trouble manifeste dans le fonctionnement de l’entreprise ».
Ainsi, la décision d’autorisation de licenciement du ministre est annulée.
Néanmoins cette annulation, sans s’intéresser à l’existence d’un trouble objectif, s’est portée sur les conditions de l’enquête ayant permis d’invoquer ce trouble.
Il convient ainsi aux employeurs, lorsqu’ils se fondent sur une enquête interne, de s’interroger sur sa validité.
La Cour de Cassation avait déjà considéré le 4 juillet 2018 que les juges ne pouvaient se fonder sur de seuls témoignages anonymes lors de la contestation d’un licenciement suite à une enquête interne (v. en ce sens Notre Article Licenciement suite à une enquête interne).
Source :
Conseil d’Etat, 4ème, 1ère chambres réunies, 2 mars 2020, n° 418640.