Harcèlement discriminatoire : précisions de la Cour de cassation sur le régime probatoire.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

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Dans un arrêt du 14 novembre 2024 (cass. soc. 14 nov. 2024 n° 23-17.917) publié au bulletin, la Cour de cassation introduit une avancée notable dans la qualification juridique du harcèlement discriminatoire et renforce les obligations probatoires de l’employeur en cas de discrimination alléguée, tout en censurant une décision de la cour d’appel de Dijon, estimant que celle-ci n’avait pas correctement apprécié les éléments de discrimination présentés.

Un salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de comportements discriminatoires, mais la cour d’appel avait conclu à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans reconnaître la nullité pour discrimination.

La Cour de cassation rappelle ici avec précision la manière dont les juridictions doivent appréhender des faits de discrimination en entreprise, notamment lorsqu’ils sont à l’origine d’une prise d’acte du salarié.

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I. Les faits.

En l’espèce, un salarié, engagé comme agent de sécurité le 19 juin 2019 par la société Luxant Sécurité, devenue ensuite Côté Sécurité, dénonçait des propos racistes répétés émanant de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi qu’une attitude discriminatoire manifeste, fondée sur l’origine.

Dans son courrier, il expose plusieurs éléments factuels : des propos racistes répétés et une mise à l’écart manifeste (absence de salutations).

À cela s’ajoutaient des reproches injustifiés quant à sa vie privée, notamment concernant une relation amoureuse avec une collègue.

Contestant ces faits, l’employeur n’avait pas réagi aux plaintes du salarié, ce qui a conduit ce dernier à prendre acte de la rupture de son contrat et saisir le Conseil de prud’hommes, demandant la requalification de cette rupture en licenciement nul.

La cour d’appel de Dijon a rejeté ses demandes, considérant que sa prise d’acte ne pouvait produire que les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse car le salarié ne présentait pas d’éléments suffisants pour établir l’existence de mesures discriminatoires.

Le salarié s’est pourvu en cassation.

II. Les moyens.

Il soutenait notamment que la discrimination dont il avait été victime justifiait la nullité de la rupture du contrat, conformément aux articles L1132-1 et L1134-1 du Code du travail.

Ces dispositions imposent que, face à des éléments laissant supposer une discrimination, il appartient à l’employeur de prouver qu’ils reposent sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ainsi, l’argument central du pourvoi était que la cour d’appel avait ignoré cette répartition de la charge de la preuve et n’avait pas correctement analysé les faits invoqués par le salarié.

III. La solution.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon en affirmant que les faits exposés par le salarié constituaient des éléments laissant présumer une discrimination au sens de l’article 1er, alinéa 3, de la loi du 27 mai 2008, engageant dès lors l’obligation pour l’employeur de démontrer que ses décisions étaient étrangères à toute discrimination.

Elle rappelle que la discrimination inclut tout agissement lié à un motif prohibé ayant pour objet ou effet de porter atteinte à la dignité d’un salarié ou de créer un environnement intimidant, hostile ou dégradant et qu’il appartient au juge de vérifier si l’employeur peut démontrer que ses agissements sont justifiés par des raisons objectives et non discriminatoires.

En l’absence d’une telle preuve, les faits de discrimination doivent être retenus et dès lors, l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Besançon pour réexamen.

IV. Analyse.

Cet arrêt illustre l’importance du rôle du juge dans les affaires de discrimination au travail.

Les apports principaux de l’arrêt sont, tout d’abord, une clarification du régime probatoire puisque en effet, conformément aux articles L1132-1 et L1134-1 du Code du travail et à la loi n° 2008-496, la charge de la preuve en matière de discrimination est aménagée.

Il incombe au salarié d’apporter des éléments de faits laissant présumer l’existence d’une discrimination.

La charge de la preuve s’en trouve alors allégée, transférant à l’employeur l’obligation de démontrer que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En ne procédant pas à cette vérification, la cour d’appel a violé les règles probatoires.

Cette approche facilite la reconnaissance des discriminations, souvent difficiles à établir en raison de leur caractère insidieux.

Ce cas met également en lumière l’office du juge, qui doit examiner attentivement l’ensemble des faits avancés par le salarié.

La Cour de cassation insiste sur l’importance de ce contrôle rigoureux, particulièrement dans les affaires impliquant des comportements de harcèlement discriminatoire, qui portent atteinte à la dignité et créent un environnement de travail hostile ou offensant.

L’affaire, renvoyée devant une autre juridiction, illustre l’attention accrue portée par les juges aux discriminations systémiques et leur impact dans le cadre professionnel. Cet arrêt, bien que fondé sur des dispositions déjà établies, réaffirme l’importance d’une approche probatoire favorable aux victimes de discrimination, en conformité avec les principes du droit de l’Union européenne.

Cet arrêt renforce également la protection des salariés contre des comportements discriminatoires, en mettant l’accent sur les obligations de l’employeur de démontrer la licéité de ses décisions.

En pratique, cette décision impose aux employeurs une vigilance accrue dans la gestion des comportements internes et des signalements de discrimination.

Elle rappelle également aux juges l’importance de ne pas écarter des faits probants sous prétexte d’une absence de qualification juridique explicite par le salarié.

Cet arrêt illustre l’importance pour les juges du fond de considérer les faits dans leur ensemble, au-delà des mesures discriminatoires traditionnelles (embauche, rémunération, promotion). En l’espèce, les éléments avancés par le salarié auraient dû suffire à déclencher l’examen probatoire, ce qui implique une recherche sur les justifications de l’employeur.

L’apport majeur de cet arrêt réside dans la reconnaissance explicite par la Cour de cassation du harcèlement discriminatoire comme une forme spécifique de discrimination.

Cette qualification, déjà utilisée par certaines juridictions et par le Défenseur des droits, est désormais consacrée au plus haut niveau judiciaire.

Elle offre une meilleure protection aux salariés victimes, en leur permettant de revendiquer la nullité des actes discriminatoires [1] et en assujettissant ces situations au régime probatoire avantageux de la discrimination.

Enfin, cet arrêt s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle visant à renforcer la protection des salariés contre des discriminations indirectes ou insidieuses, notamment en rappelant que le harcèlement discriminatoire est assimilé à une discrimination.

Employeurs et juges doivent être vigilants quant aux indices, même implicites, de comportements contraires aux droits fondamentaux.

Cette jurisprudence s’aligne sur les exigences du droit européen, notamment la directive 2000/43, et renforce l’idée que la dignité et l’égalité de traitement sur le lieu de travail sont des principes fondamentaux à protéger.

Source.

Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 23-17.917

Frédéric Chhum, avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Elise de Langlard, juriste

Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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[1C. trav., art. L1132-4.

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