L’identité des projets sous la nouvelle législation de l’urbanisme commercial.

Par Cyrille Tchatat, Avocat.

719 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # urbanisme commercial # autorisation de projet # législation # conseil d'État

Le Conseil d’Etat juge qu’un second projet qui prévoit la création d’un ensemble commercial d’une surface de vente réduite à 2 110 m² (contre 2 500 m²) et comporte des éléments nouveaux en ce qui concerne la qualité environnementale du projet est différent de celui refusé par la CNAC moins d’un an auparavant. (CE 13 février 2013 Sté COVA , req. n° 355954, 356026)

-

Aux termes de l’article L. 752-21 du code de commerce, « en cas de rejet pour un motif de fond de la demande d’autorisation par la commission nationale [...], il ne peut être déposé de nouvelle demande par le même pétitionnaire, pour un même projet, sur le même terrain pendant une période d’un an à compter de la date de la décision de la commission nationale ».

Le projet autorisé par la commission nationale d’aménagement commercial avait bien été présenté par le même pétitionnaire que celui que la commission nationale avait rejeté moins d’un an auparavant (le projet avait été refusé par la CNAC le 20 octobre 2010 et autorisé par celle-ci le 12 octobre 2011), et il se situait sur le même emplacement.

En conséquence, les requérantes soutenaient qu’il s’agissait du même projet, qui ne pouvaient dès lors être autorisé dans le délai d’un an suivant le refus initial de la CNAC.

Par cette décision, qui est la première rendue sous la nouvelle réglementation de l’urbanisme commercial, le Conseil d’Etat écarte ce moyen en jugeant que :

«  Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si, par une décision du 20 octobre 2010, la Commission nationale d’aménagement commercial avait refusé à la société Rhône Alpes Expansion l’autorisation de créer un ensemble commercial de 2 500 m² sur le même site que celui retenu pour le projet autorisé par la décision attaquée, ce projet prévoit la création d’un ensemble commercial d’une surface de vente réduite à 2 110 m² et comporte des éléments nouveaux en ce qui concerne la qualité environnementale du projet ; que, par suite, eu égard aux différences séparant ces deux projets, les dispositions précitées de l’article L. 752-21 du code de commerce concernant le délai minimum à respecter entre deux demandes relatives à un même projet n’étaient pas applicables ; que, pour les mêmes raisons, la société Cova n’est pas fondée à soutenir que la commission nationale aurait statué contradictoirement en autorisant par la décision attaquée du 12 octobre 2011 un projet identique à celui qu’elle avait rejeté par sa décision du 20 octobre 2010 » (CE 13 février 2013 Sté COVA, Sté ABREDIS, req. n° 355954, 356026).

Cette décision vient donc offrir une première grille d’analyse de la notion d’identité du projet au regard des nouveaux critères d’analyse des demandes d’autorisation.

Sous le régime en vigueur antérieurement à la LME, les rares décisions rendues sur ce point ont permis de constater qu’un « même projet » n’est pas nécessairement un projet strictement identique et qu’une « différence significative » est nécessaire pour que cette interdiction de déposer une seconde demande pendant la période d’un an ne soit applicable.

Le juge administratif procédait dès lors à une comparaison minutieuse des projets selon une démarche à la fois qualitative et quantitative.

C’est ainsi qu’un second projet dont la surface de vente totale a été réduite de 11% par rapport au projet initial, dont toutes les surfaces passaient sous le seuil de 300 m2 et dont le nombre de magasins a été réduit de 43 à 38, a été considéré comme différent du projet initial (CE 15 juillet 2004, Secrétaire d’Etat aux Petites et moyennes entreprises, Lebon p. 609 ; AJDA 2004, p. 1949).

La seule réduction des surfaces de vente par rapport au projet n’était donc pas suffisante, encore fallait-il que l’économie du second projet puisse modifier l’appréciation du juge quant au fond par rapport à la législation de l’urbanisme commercial.

Cette approche est logique dès lors qu’elle consistait à prendre en considération « le ou les motifs de fond » à l’origine du rejet décidé par la commission nationale.

C’est dans ces conditions que le juge administratif a toujours tenu compte des motifs de refus de la première demande d’autorisation pour apprécier le caractère identique ou non d’une seconde demande faite dans le délai d’un an, nonobstant la réduction éventuelle de la surface de vente.

Le tribunal administratif d’Orléans a ainsi jugé, après avoir pris en compte les motifs du refus d’une première demande d’autorisation, qu’une réduction de près de 12% de la surface de vente d’un équipement commercial est insuffisante pour en faire un projet différent de celui initialement refusé (TA d’Orléans 17 janvier 2006, SARL MPH Distri, req. n° 0403930 et 0403931).

Dans ses conclusions éclairantes sous cette affaire, le Rapporteur Public a souligné que :

« Le rejet par la CNEC du premier projet de la SA Expan Menetou était motivé par la stagnation démographique de la zone de chalandise, par la surdensité de l’équipement en supermarchés, ainsi que par la menace qu’aurait fait peser le nouveau supermarché sur le commerce et l’artisanat local. La commission nationale avait écarté l’argument tiré de la lutte contre l’évasion commerciale, dans la mesure où le « Super U » projeté ne serait pas de taille à concurrencer les deux hypermarchés proches.

Si la surface commerciale du second projet est inférieure d’environ 16 % par rapport au projet rejeté par la CNEC, ce n’est pas déterminant par rapport aux motifs de fond adoptés par la commission nationale. En effet, il n’y a pas de changement de nature dans ce second projet par rapport au premier dossier rejeté par la CDEC :

Ainsi est-il contraire à la vérité d’affirmer que ce second projet serait différent en ce qu’il comporterait la fermeture simultanée d’une supérette de centre ville d’une surface de 170 m2. Cet élément figurait déjà dans la première demande. »

En passant de 1 200 m2 à 1 000 m2, le Super U reste dans la catégorie des supermarchés à dominante alimentaire, dont la commission nationale avait relevé la surdensité existante.

L’argument de la lutte contre l’évasion commerciale, c’est-à-dire de la récupération de la clientèle tentée par les hypermarchés extérieurs à la zone, est encore moins pertinent avec un supermarché plus petit.

Pour la station-service, la similitude des projets est encore plus manifeste. Si la surface de cet équipement est diminuée de 7,5 %, le nombre de postes de ravitaillement, fixé à 6, est strictement identique » (Jérôme Francfort « La notion d’identité de demande en matière d’équipement commercial », AJDA 2006, p. 706).

Ce raisonnement a également été adopté par le tribunal administratif de Toulouse pour admettre une identité des projets en jugeant que :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 24 avril 2007, la commission nationale d’équipement commercial a annulé la décision de la commission départementale d’équipement commercial de l’Aveyron ayant autorisé la SCI Les Portes du Rougier à créer à Camarès une station de distribution de carburants de 64,15 m2 de surface de vente, dotée de trois positions de ravitaillement et appelée à être annexée à un supermarché à l’enseigne « Ecomarché » ; que la décision de la commission nationale d’équipement commercial a été motivée par le fait que le projet, de nature à porter atteinte à l’équilibre entre les différentes formes de commerce prévues par le législateur, fragiliserait l’activité des structures artisanales qui assurent la distribution de carburants dans la zone de chalandise, dont certains ont effectué des investissements récents en vue de la modernisation de leurs installations, ne créerait pas d’emploi, les points de vente étant entièrement automatisés, mais serait susceptible de nuire à l’emploi des garages de la zone de chalandise, en raison de l’importance de son chiffre d’affaires et de son taux d’emprises attendus, et ne présenterait pas des avantages suffisants au regard des autres critères posés par la loi du 27 décembre 1973, de sorte que ledit projet n’apparaissait pas compatible avec les dispositions du 3ème alinéa de l’article 1er de cette loi ; que la SCI Les Portes du Rougier fait valoir que le projet examiné par la commission nationale d’équipement commercial est différent du projet autorisé par la décision attaquée, dès lors que le second comporte seulement deux postes de ravitaillement, au lieu des trois prévus dans le projet initial, et porte sur une surface de vente de 50 m², au lieu de 64,15 m² dans le projet précédent ; que toutefois, et outre que les deux projets portent sur le même terrain d’assiette, il ressort du rapport établi par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur le second projet que le demandeur a supprimé, par rapport au premier projet, le poste de ravitaillement destiné aux poids lourds, lequel ne revêtait qu’un caractère accessoire ; qu’il ressort par ailleurs de ce même rapport, ainsi que des procès verbaux des séances de la commission départementale d’équipement commercial du 6 décembre 2006 et du 12 décembre 2007, que le chiffre d’affaires prévisionnel pour les deux projets est identique, à savoir 708 785 euros la première année et 826 916 euros la troisième année, l’objectif du projet demeurant inchangé, s’agissant notamment de « répondre aux attentes de la clientèle et de la population de la zone de chalandise ; qu’ainsi, en l’espèce, les deux projets considérés doivent être regardés comme constituant un seul et même projet, au sens des dispositions précitées de l’article L. 752-21 du code de commerce ; qu’il ressort des pièces du dossier que la demande ayant donné lieu à la délivrance de l’autorisation attaquée a été présentée le 22 juin 2007, soit moins de deux mois après que fut intervenue la décision de la commission nationale d’équipement commercial susmentionnée, de sorte que, à cette date, elle était irrecevable ; qu’il en résulte que M. BOUSQUET et autres sont fondés à solliciter l’annulation de la décision de la commission départementale d’équipement commercial de l’Aveyron en date du 12 septembre 2007 ».
(TA Toulouse 28 juillet 2011 Gaston Bousquet, req. n° 0704956 ; Voir également TA Montpellier SA SETEDIS, req. n° 0505014, 0505017 : Le tribunal considère que l’argument tiré de l’augmentation de la surface de vente par rapport au projet initial refusé «  ne saurait être retenu, les deux projets considérés étant de même nature, chacun ayant la même prédominance alimentaire et celui ayant donné lieu à autorisation méconnaissant par sa dimension même le motif de fond venant au soutien de la décision de la commission nationale d’équipement commercial »).

Dans sa décision commentée du 13 février 2013, le Conseil d’Etat adopte un raisonnement identique en procédant à une comparaison des deux projets et en prenant en considération les motifs de fond retenus par la CNAC pour refuser la demande initiale.

En effet, si dans sa décision le Conseil d’Etat invoque la réduction de la surface de vente (qui passe de 2 500 m2 à 2 110 m2) et l’existence d’éléments nouveaux en ce qui concerne la qualité environnementale du projet, il ressort en outre de la lecture des décisions de refus et d’acceptation de la CNAC, que :

- Lors de l’instruction de la demande initiale, la desserte de l’ensemble commercial par les voies piétonnes, cyclables et en transports en commun n’était pas assurée et de surcroît la desserte routière n’était pas sécurisée ; La CNAC avait également considéré, pour refuser ce projet, qu’il contribuera à un étalement urbain et ne participera pas à l’animation de la vie urbaine et rurale ;

- L’autorisation délivrée pour la seconde demande souligne la sécurisation des accès par des aménagements adaptés validées par la collectivité locale ; une insertion paysagère soignée qui améliorera la perception visuelle de la zone d’activité (contrairement au projet initial) ; l’existence de mesures visant à réduire les consommations énergétiques et surtout que la dimension modérée du projet permettra de compléter et de rééquilibrer l’offre commerciale existante ; enfin la situation du projet à proximité d’une zone d’activités en extension et d’un secteur appelé à se développer par la création de logements.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27886 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs