Les procédures d’urgence à l’égard des manifestants.

Par Anaëlle Althey et Bahie Soukouna, Avocates.

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Explorer : # répression policière # garde à vue # libertés fondamentales # manifestations

Le contexte politique actuel de la France soulève de nombreuses problématiques juridiques. D’aucuns s’accordent à dire que le Gouvernement détourne des moyens juridiques contraignants afin d’entraver la liberté de manifestation.

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La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonçait dans son rapport rendu le 3 mai dernier « une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives ».

Son rapport démontrait entre autres la violence des interpellations ou encore l’existence de conditions d’hygiène indignes…

La CGLPL s’inquiétait notamment d’une « banalisation de l’enfermement ».

Cela soulève de nombreuses questions sur le plan juridique. Notamment s’agissant de l’usage du placement en garde à vue et de la comparution immédiate contre les manifestants contre la réforme des retraites et de l’utilisation par la Première ministre, Elisabeth Borne, de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution française.

Le passage en force de cette réforme a entrainé une grande vague de manifestation sur l’ensemble du territoire français, suivie concomitamment de nombreuses interpellations et placements en garde à vue sur lesquels les avocats s’interrogent.

La tentation de poursuivre les gardés à vue en comparution immédiate, semble particulièrement forte pour l’autorité publique.

Pour rappel, la comparution immédiate est un mode de comparution accéléré devant une juridiction. Mise en place en septembre 1986, elle est très rapidement devenue la première source d’incarcération en France.

A l’origine, le législateur avait imaginé une possibilité pour les juridictions d’épurer le contentieux des flagrants délits les plus simples. Compte tenu de son caractère hautement dérogatoire, le législateur a encadré strictement son utilisation.

L’article 395 du Code de procédure pénale prévoit qu’une personne puisse être jugée immédiatement après sa garde à vue si la peine encourue en cas de flagrant délit est au moins égale à 6 mois ou à 2 ans dans les autres cas.

Comme garde-fou, le législateur a exclu du champ d’application de la comparution immédiate, les infractions qui s’inscrivent dans un contexte particulier. C’est ainsi qu’ont été exclu du champ d’application de la comparution immédiate : les infractions de presse prévue par la loi du 29 juillet 1881 et les infractions politiques.

C’est la raison pour laquelle, on observe majoritairement la levée des gardes à vue et leur classement classées sans suite, lorsque ce moyen est soulevé par la défense.

Toutefois, il convient de relever que la nature même de ces interpellations pose difficultés.

Il semble opportun de rappeler que les gardes à vue privent les personnes visées de leur liberté, il s’agit de mesures extrêmement attentatoires.

La garde à vue est strictement encadrée par l’article 62-2 du Code de procédure pénale qui prévoit que cette mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre uniquement :

« s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».

Or, dans le cadre des manifestations, elles ne semblent pas, pour la majorité, être justifiées par un quelconque motif légitime.

La liberté de manifester étant un droit fondamental.

Ainsi, l’utilisation de cette mesure de sûreté semble abusive, et mise en œuvre afin d’enrayer le mouvement de manifestation actuel.

Ce détournement de procédure contrevient formellement au respect des libertés fondamentales prévues par la Constitution en son article 66 :

« Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

En ce sens, le 19 mai dernier, le Tribunal administratif de Lille a estimé que

« la constitution par le parquet de Lille, en dehors de tout cadre réglementaire, d’un fichier recensant les nom, prénom et date de naissance de chaque manifestant placé en garde à vue à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites, ainsi que les suites pénales données, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée des personnes concernées et ordonne l’effacement des données à caractère personnel qu’il contient ».

Cette décision est l’illustration des abus en la matière que l’autorité judiciaire est venue sanctionner.

Anaëlle Althey et Bahie Soukouna, avocates au Barreau de l’Essonne
https://www.avocats91.com

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