La notion d’immeuble difficilement raccordable au réseau public de collecte des eaux usées.

Par Pierre Jean-Meire, Avocat.

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Explorer : # raccordement eaux usées # difficulté excessive # assainissement autonome # travaux de branchement

Le Code de la santé publique impose une obligation de se raccorder au réseau public de collecte des eaux usées (article L. 1331-1 de ce Code). Il existe cependant une dérogation à cette obligation pour les immeubles difficilement raccordables (Article 1er 5° de l’arrêté du 19 juillet 1960). Toutefois, la définition juridique de ce qu’est un « immeuble difficilement raccordable » peut parfois poser certaines difficultés.

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En vertu de l’article L.1331-1 (ancien article L. 33) du Code de la santé publique : « Le raccordement des immeubles aux réseaux publics de collecte disposés pour recevoir les eaux usées domestiques et établis sous la voie publique à laquelle ces immeubles ont accès soit directement, soit par l’intermédiaire de voies privées ou de servitudes de passage, est obligatoire dans le délai de deux ans à compter de la mise en service du réseau public de collecte.
Un arrêté interministériel détermine les catégories d’immeubles pour lesquelles un arrêté du maire, approuvé par le représentant de l’État dans le département, peut accorder soit des prolongations de délais qui ne peuvent excéder une durée de dix ans, soit des exonérations de l’obligation prévue au premier alinéa
 ».

Les travaux de branchement à ce réseau public sont à la charge exclusive des propriétaires des habitations concernées par cette obligation (article L. 1331-4 du Code précité : « Les ouvrages nécessaires pour amener les eaux usées à la partie publique du branchement sont à la charge exclusive des propriétaires et doivent être réalisés dans les conditions fixées à l’article L. 1331-1 »).

Le raccordement se fait généralement par le biais d’une boîte de branchement, aussi appelée tabouret, qui doit permettre le contrôle et l’entretien dudit branchement.

La configuration des lieux peut conduire dans certains cas à ce que ces coûts de branchement ou la nature des travaux à réaliser soient importants.

Par ailleurs, dans certains cas bien souvent pour des raisons économiques, les aménageurs des réseaux d’eaux usées, se bornent à installer les tabourets de raccordement dans des endroits inappropriés, conduisant à rendre plus onéreux et plus compliqué le raccordement pourtant obligatoire.

C’est pourquoi l’article 1er de l’arrêté du 19 juillet 1960 relatif aux raccordements des immeubles aux égouts est venu prévoir que peuvent être exonérés de l’obligation de raccordement aux égouts prévue au premier alinéa de l’article 33 du Code de la santé publique (désormais L. 1331-1 du même Code) : « 5°) Les immeubles difficilement raccordables, dès lors qu’ils sont équipés d’une installation d’assainissement autonome recevant l’ensemble des eaux usées domestiques et conforme aux dispositions de l’arrêté du 3 mars 1982 ».

Faisant application de ces dispositions, le Conseil d’État a eu l’occasion de juger que « Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles L. 1331-1, L. 1331-4 et L. 1331-8 du Code de la santé publique, ainsi que l’a jugé le Tribunal administratif de Grenoble, que seuls peuvent être regardés comme étant soumis à l’obligation de raccordement, les immeubles dont, compte tenu de leur implantation par rapport au réseau public des égouts, le raccordement ne comporte pas de difficultés excessives. » [1]

Afin d’inciter les propriétaires récalcitrants à se raccorder au réseau public, l’article L.1331-8 du Code de la santé publique prévoit que : « Tant que le propriétaire ne s’est pas conformé aux obligations prévues aux articles L. 1331-1 à L. 1331-7-1, il est astreint au paiement d’une somme au moins équivalente à la redevance qu’il aurait payée au service public d’assainissement si son immeuble avait été raccordé au réseau ou équipé d’une installation d’assainissement autonome réglementaire, et qui peut être majorée dans une proportion fixée par le conseil municipal ou le conseil de la métropole de Lyon dans la limite de 100 % ».

L’article L. 1331-6 du Code précité permet quant à lui à la commune, de procéder d’office et au frais des propriétaires aux travaux nécessaires au branchement au réseau public (« Faute par le propriétaire de respecter les obligations édictées aux articles L. 1331-1, L. 1331-1-1, L. 1331-4 et L. 1331-5, la commune peut, après mise en demeure, procéder d’office et aux frais de l’intéressé aux travaux indispensables. »).

La question se pose alors de savoir dans quelles conditions le raccordement d’un immeuble présente une « difficulté excessive » permettant de bénéficier de la dérogation prévue par le 5° de l’article 1er de l’arrêté du 19 juillet 1960 ?

1. Selon le Conseil d’État, constitue une difficulté excessive le fait qu’une maison d’habitation ne puisse être raccordée au réseau d’assainissement collectif en mode gravitaire, compte tenu de la pente, et dont le raccordement nécessite la pose de canalisations d’une longueur totale de 202 mètres et l’installation d’un poste de relevage, pour un coût total estimé à 12.709 euros (CE 12 juin 2013 commune de Beaumont-Monteux [2] :« Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles L. 1331-1, L. 1331-4 et L. 1331-8 du code de la santé publique, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif de Grenoble, que seuls peuvent être regardés comme étant soumis à l’obligation de raccordement, les immeubles dont, compte tenu de leur implantation par rapport au réseau public des égouts, le raccordement ne comporte pas de difficultés excessives ; que ce tribunal a relevé qu’il résultait de l’instruction que la maison d’habitation appartenant à M. D... ne pouvait être raccordée au réseau d’assainissement collectif en mode gravitaire, compte tenu de la pente, et que son raccordement nécessiterait la pose de canalisations d’une longueur totale de 202 mètres et l’installation d’un poste de relevage, pour un coût total estimé à 12 709 euros en 2005 ; qu’en se fondant sur ces motifs pour juger que le raccordement de la maison d’habitation appartenant à M. D... au réseau d’assainissement collectif devait être regardé comme comportant des difficultés excessives, le tribunal n’a pas inexactement qualifié les faits qu’il a souverainement appréciés sans les dénaturer »).

Le fait que les travaux de raccordement entraînent la destruction des certaines installations ou aménagements permet de faire regarder le raccordement au réseau public comme présentant une difficulté excessive « compte tenu de l’importance de ces travaux ». [3]

La Cour administrative d’appel de Nantes a admis quant à elle que des travaux de raccordement d’une habitation située en contre-bas, nécessitant l’installation de deux pompes de relevage, la destruction d’une partie des fondations d’une terrasse en béton, et dont le coût est évalué à la somme de 15.000 euros, doit faire regarder l’immeuble comme difficilement raccordable au sens du 5° de l’article 1er de l’arrêté du 19 juillet 1960. [4]

2. Toutefois, dès lors que le montant des travaux est plus modeste, il n’est plus possible de bénéficier de cette exonération.

Il en va ainsi pour des travaux évalués entre 4.000 et 6.000 euros, correspondant généralement à l’installation d’une pompe de relevage en raison de l’impossibilité d’évacuer les eaux usées en mode gravitaire (V. par exemple 4.521,22 euros CAA Bordeaux 15 février 2016 n° 14BX00413 ; V ; également 5.887,91 euros CAA Bordeaux 24 novembre 2014 n° 13BX02822 ou encore CAA Nantes 23 décembre 2011 n° 10NT02723 : « Considérant qu’en se bornant à produire un devis d’entreprise d’un montant de 4 589,76 euros TTC correspondant à l’installation d’une pompe de relevage, M. et Mme X n’établissent pas que l’immeuble dont ils sont propriétaires présente des difficultés de raccordement au réseau communal qui exigeraient l’exécution de travaux ou la mise en place d’équipements d’un coût prohibitif et ce, alors même qu’ils ne pourraient pas bénéficier de subventions de l’agence nationale pour l’amélioration de l’habitat »).

3. Pour apprécier l’importance du coût du branchement, la jurisprudence tient compte des potentielles aides et subventions publiques accordées pour aider les particuliers à mettre en œuvre les travaux prévus à l’article L. 1331-4 du Code de la santé publique.

Le Conseil d’État admet par ailleurs que, dès lors que les difficultés de raccordement sont palliées par la commune, l’obligation de raccordement s’impose malgré lesdites difficultés (V. par exemple CE 16 décembre 2010 n° 328006, Inédit : « que seuls peuvent être regardés comme soumis à l’obligation de raccordement, au sens des dispositions de l’article L. 1331-1 précité du code de la santé publique, les immeubles dont, compte tenu de leur implantation par rapport au réseau public des égouts, le raccordement ne comporte pas de difficultés excessives ; qu’il résulte de l’instruction que si la situation de l’immeuble de la société requérante, en contrebas du hameau desservi par le réseau public de collecte des eaux usées domestiques, a pu faire obstacle à son raccordement, la commune a remédié à cette difficulté par l’acquisition d’une pompe de refoulement individuelle, dont elle a en outre décidé de prendre en charge le coût de la consommation électrique par déduction de celui-ci du montant de la redevance d’assainissement »).

4. Il semblerait que la Cour de Cassation ait une conception plus stricte de la notion de difficulté de raccordement puisqu’elle a considéré que des travaux consistant en la pose de 120 mètres de tuyau dont le coût est d’environ 10.000 euros ne permettent pas de s’exonérer de l’obligation prévue par l’article L. 1331-1 du Code de la santé publique. [5]

En conclusion, la question de savoir si le raccordement d’une construction présente des difficultés excessives, permettant ainsi de bénéficier de l’exonération prévu par le 5° de l’article 1er de l’arrêté du 19 juillet 1960 exige une appréciation précise et concrète de chaque situation.

Dans certains cas, il sera nécessaire d’introduire des recours contentieux devant les juridictions administratives afin d’obtenir gain de cause.

Une telle action peut se faire, soit en demandant l’annulation de la décision refusant de reconnaître que la configuration des lieux doit permettre de faire bénéficier de la dérogation prévue par le 5° de l’article 1er de l’arrêté précité, soit concomitamment à la contestation d’un titre exécutoire exigeant le payement de la somme prévue à l’article L.1331-8 du Code de la santé publique, soit enfin lorsque la commune met en œuvre une procédure d’exécution d’office des travaux (L. 1331-6 du Code de la santé publique).

Cabinet d\’avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE
Avocat au Barreau de Nantes
www.olex-avocat.com
https://twitter.com/MeJEANMEIRE

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Notes de l'article:

[1CE 16 décembre 2010 n° 328006, Inédit ; V. également CE 12 juin 2013 commune de Beaumont-Monteux n° 346278, Inédit.

[2n° 346278.

[3V. par exemple CAA Nancy 20 juillet 1995 n° 94NC01652 Commune de Mareuil-en-Brie pour la destruction des fondations d’une terrasse.

[4CAA Nantes 12 novembre 2010 M. OTERO n° 09NT01885.

[5Cass. 9 octobre 2012 pourvoir n° 11-16026.

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