I. Faits.
Un salarié en CDI depuis 1998 au sein de la société Servair, a adressé un courrier en 2016 dénonçant des faits de harcèlement moral, commis par son employeur depuis 2012.
Une enquête a été réalisée, puis, le 18 octobre 2017, l’employeur le licencie pour insubordination et comportement agressif.
Le salarié a ensuite saisi le conseil de prud’hommes en janvier 2020 pour faire annuler le licenciement et obtenir réparation, soutenant qu’il s’agissait en réalité d’une conséquence directe de sa dénonciation de harcèlement moral.
La Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, dans un arrêt du 6 octobre 2022, déclare ses demandes irrecevables comme étant prescrites, estimant que le salarié disposait d’un délai de 12 mois pour agir, correspondant au délai applicable en matière de contestation d’une rupture de contrat pour motifs disciplinaires.
Le salarié s’est pourvu en cassation.
II. Moyens.
Le salarié fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Saint Denis de La Réunion de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites, alors
« que se prescrit par cinq ans l’action en nullité du licenciement que le salarié fonde sur la dénonciation de faits de harcèlement, dont il soutient qu’elle a été le véritable motif de la rupture ».
III. Solution de la Cour de cassation.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion.
Elle reprend en effet les arguments du pourvoi et rappelle que, conformément aux articles L1152-1, L1471-1, L1152-2 du Code du travail et 2224 du Code civil, le délai de prescription de 12 mois ne s’applique pas aux actions fondées sur la dénonciation de faits de harcèlement moral.
Elle retient dès lors que le délai de prescription applicable est de cinq ans.
IV. Analyse.
La décision de la Cour de cassation réaffirme que les actions visant à obtenir réparation du préjudice lié à un harcèlement moral ne sont pas soumises aux délais de prescription habituels, à savoir les douze mois applicables pour contester la rupture du contrat de travail en vertu de l’article L1471-1 du Code du travail, ni les deux ans pour les litiges portant sur l’exécution du contrat.
En effet, le principe de la prescription quinquennale pour les actions liées au harcèlement avait été affirmé en septembre dernier [1].
Dès lors, la chambre sociale clarifie avec cette décision qu’elle considère désormais que ce principe s’applique également lorsque l’action en nullité de la rupture est fondée spécifiquement sur la dénonciation d’un harcèlement.
Elle conclut que
« l’action du salarié en nullité du licenciement reposait sur la dénonciation du harcèlement moral allégué, impliquant qu’elle relève de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil ».
Cet arrêt marque un important apport jurisprudentiel en matière de protection contre le harcèlement moral car la Cour de cassation privilégie une interprétation favorable aux salariés, leur permettant de contester leur licenciement pendant cinq ans si celui-ci repose indirectement sur des faits de harcèlement.
Cette décision rappelle aussi aux employeurs que le motif réel d’un licenciement doit être transparent et distinct de toute dénonciation de pratiques de harcèlement.
Selon nous, ce raisonnement devrait également s’étendre aux cas de harcèlement sexuel, conformément aux dispositions de l’article L1471-1 du Code du travail, assurant ainsi une protection homogène contre toute forme de représailles suite à des dénonciations de harcèlement.
En l’occurrence, il est utile de rappeler que si la lettre de licenciement mentionne une dénonciation d’agissements de harcèlement par le salarié, sans preuve de sa mauvaise foi, cela entraîne automatiquement la nullité du licenciement peu important la présence d’autres griefs dans la lettre de licenciement [2].
Source :
Cour de cassation, Chambre sociale, 9 octobre 2024, n° 23-11.360
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