L’action de groupe résultant de la loi du 17 mars 2014 visait à introduire le principe de la « class action » de façon très encadrée afin d’éviter certains excès constatés aux États-Unis pouvant mettre en danger l’industrie.
Les vices dont le texte était affecté n’ont pas permis d’en faire un instrument utile pour la protection juridique des français. La nécessité de transposer la directive européenne numéro 2020/1828 du 25 novembre 2020 au plus tard en 2022 a poussé au dépôt d’une proposition de loi dont l’objectif est de remédier aux insuffisances du texte actuel.
On rappellera que l’action de groupe est l’action en justice exercée par un demandeur pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire et subissant des dommages ou voulant faire cesser un manquement.
Il s’agit donc de permettre de coaliser les intérêts de plusieurs demandeurs afin de rendre accessible à chacun d’entre eux la réparation du préjudice subi ou la cessation du manquement sans les contraindre à porter individuellement le poids d’une action en justice.
1- Insuffisances de la législation en vigueur.
Les textes aujourd’hui applicables résultent de la sédimentation d’initiatives dont la finalité était d’ouvrir l’action de groupe dans des domaines différents tels que le droit de la consommation, le droit de la santé, la lutte contre les discriminations etc... Si l’articulation de la procédure applicable dans chaque cas fait ressortir plus de ressemblances que de différences, les textes actuellement en vigueur créent une inutile complexité source d’inefficacité.
La principale limite de la législation actuelle est la difficulté d’accès à la procédure d’action de groupe. La loi nouvelle unifiera le régime applicable à toutes les actions de groupe et va en élargir l’accès. Il est aujourd’hui nécessaire de s’en remettre au truchement d’une association agréée pour exercer l’action. L’évolution législative proposée, tout en maintenant le recours aux associations agréées, ouvrirait l’exercice du recours :
- à des associations créées depuis plus de deux ans ayant un objet en rapport avec l’intérêt à défendre ;
- à des associations sans antériorité créées ad hoc composées de plus de 50 personnes physiques ou de plus 10 entreprises ou de plus cinq collectivités territoriales dans le but d’entreprendre une action donnée ;
- au ministère public pour les actions en cessation de manquement.
La fin du monopole des associations agréées pourra ouvrir considérablement le recours à l’action de groupe.
2- La procédure.
Le porteur de l’action étant choisi, les diverses phases de la procédure se déroulent comme suit :
a. Le demandeur devra obtenir un jugement sur la responsabilité du défendeur qui définira le groupe de personnes potentiellement intéressées par l’action de groupe, les critères de rattachement à cette action, le préjudice à réparer par catégorie de personnes visées et le délai dont disposeront les personnes lésées pour adhérer au groupe.
b. Il sera possible d’attraire directement à l’action l’assureur du défendeur.
c. Une publicité adéquate sera donnée à ce jugement.
d. Le jugement pourra statuer sur le point de savoir si le préjudice causé sera liquidé de façon collective ou individuelle. Dans le cas d’une liquidation collective les personnes qui se seront agrégées au groupe devront donner mandat afin qu’une négociation s’engage et qu’elles soient liés par le résultat. Si la liquidation est individuelle chaque personne devra rechercher un accord avec le défendeur condamné.
e. Il sera possible de revenir vers le juge dans un second temps si l’accord sur l’indemnisation collectif ou individuel n’a pas abouti. Le juge sera alors amené à reprendre la main. Si en revanche la négociation est couronnée de succès le juge interviendra pour homologuer l’accord trouvé.
f. Dans le cas d’une procédure d’indemnisation collective, si l’accord n’a pas été trouvé dans le délai d’un an la loi restituera à chaque partie lésée la possibilité de rechercher une réparation individuelle du préjudice.
Levant un frein important à l’exercice du droit d’agir en justice la proposition de loi prévoit la possibilité, si l’action est estimée sérieuse, de mettre à la charge d’un tiers (probablement le défendeur) ou de l’État tout ou partie des frais de justice que devront exposer les demandeurs.
Par ailleurs, et afin de répondre aux exigences de la directive européenne, les personnes en conflit d’intérêt avec le défendeur ne pourront financer l’action de l’association.
3- L’indemnisation.
Les fonds versés en réparation du préjudice sont consignés auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Interdiction est faite de mouvementer ces comptes hors la procédure définitive d’indemnisation.
L’État s’arrogera par ailleurs le bénéfice de la procédure anglo-saxonne de dommages punitifs en permettant au juge d’allouer au bénéfice du Trésor public le fruit de l’amende civile visant à réparer le dommage causé à la collectivité par la volonté consciente et délibérée de susciter un gain ou d’éviter une perte en causant un dommage sériel à une catégorie de la population. Pour les personnes morales, le montant de l’amende pourra atteindre 5% du site d’affaires hors taxes réalisé en France.
4- Prescription et ordre public.
Afin de préserver les droits des parties lésées en cas d’échec de l’action de groupe, la loi prévoit de suspension de la prescription pendant le déroulement de la procédure. Ainsi il sera possible d’entamer une action individuelle sans être impacté par l’écoulement du temps nécessaire au déroulement de l’action de groupe.
Il est par ailleurs interdit d’interdire le recours à l’action de groupe. Le droit à l’action de groupe sera d’ordre public et il sera impossible de tenter d’y déroger contractuellement.
5- En droit public.
Le juge administratif devra connaître des actions de groupe intentées contre l’État, les personnes morales de droit public ou les personnes de droit privé exerçant un service public lorsque des dommages sériels ont été causés en appliquant exactement la même procédure que celle prévue devant les juridictions judiciaires.
6- L’influence de l’avis du Conseil d’Etat.
La proposition de loi a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État qui a suggéré quelques modifications au texte, modifications adoptées en commission. Ainsi la sanction civile ne pourra plus être requise par le demandeur mais par le ministère public devant les tribunaux judiciaires ou par le gouvernement devant les juridictions administratives puisque la finalité sera de réparer un trouble causé à la société dans son ensemble.
Le Conseil d’État a suggéré de relever le plancher du nombre de personnes pouvant former une association ad hoc dans le but exercer une action de groupe à 100 personnes physiques lieu de 50. Ce recul est compensé par l’acceptation d’un amendement permettant d’ouvrir le recours à l’action de groupe nouvelle formule aux actions introduites après l’entrée en vigueur de la loi mais dont le fait générateur est antérieur, alors que le texte d’origine ne permettait le recours à l’action de groupe ainsi modifiée que pour des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi.
L’adoption prochaine du régime modifié de l’action de groupe permettra un plus large recours à cette procédure qui reste néanmoins très encadrée. La simplification du régime procédural reste bienvenue. Le texte résultant de la transposition d’une directive européenne ouvre également la voie à la possibilité d’exercer des actions de groupe transfrontières permettant d’élargir à l’ensemble de l’Union européenne la réparation de certains préjudices, rapprochant ainsi le « marché juridique » européen de celui qui existe aux États-Unis.