En l’espèce, un salarié exerçant les fonctions de directeur des ressources humaines et de la communication interne est licencié. Il saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes, notamment d’une demande de rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires, contestant sa qualité de cadre dirigeant. Il soutient en effet qu’il ne disposait pas d’une délégation de pouvoir générale de la part du conseil d’administration, mais seulement de subdélégations de pouvoirs de la part du directeur général. Il précise notamment qu’il n’avait pas le pouvoir de licencier puisqu’il ne signait ni les convocations à entretien préalable, ni les lettres de licenciement, ces prérogatives relevant du directeur général.
La cour d’appel le déboute de sa demande de rappel de salaire. Elle considère que le DRH avait bien la qualité de cadre dirigeant dans la mesure où il s’était vu confier des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise. Pour la juridiction d’appel, le salarié avait notamment la responsabilité des procédures de licenciement puisque c’est lui qui menait systématiquement les entretiens préalables au licenciement.
La chambre sociale casse l’arrêt, au visa notamment de l’article L3111-2 du Code du travail. Elle relève en premier lieu que le DRH bénéficiait de subdélégations de la part du directeur général, qui était seul titulaire des délégations de la part du conseil d’administration. Elle constate en second lieu qu’il devait, en dépit d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions, en référer au directeur général, qu’il ne signait ni les lettres de convocation à l’entretien préalable, ni les lettres de licenciement. Elle en conclut que le salarié n’avait donc pas la qualité de cadre dirigeant et pouvait bien réclamer à son ancien employeur le paiement d’heures supplémentaires.
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence et s’inscrit dans une jurisprudence constante.
Un tour d’horizon de la jurisprudence rendue à propos du statut du cadre dirigeant s’impose donc.
Tout d’abord, il faut délimiter et préciser les contours du statut de cadre dirigeant.
Ainsi est considéré par la loi [1] comme cadre dirigeant, toute personne remplissant les trois conditions suivantes simultanément :
- avoir des responsabilités importantes impliquant une large indépendance dans l’organisation de son temps de travail ;
- être habilité à prendre des décisions de manière largement autonome ;
- percevoir l’une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise.
La Cour de cassation ajoute une quatrième condition, qui n’est que la conséquence des trois autres : diriger l’entreprise [2].
En effet, ni l’autonomie de décision dans son domaine de responsabilité, ni la liberté de gestion de son temps de travail, ni même le niveau de la rémunération ne sont le privilège exclusif des cadres de direction. Certains commerciaux remplissent ces trois critères sans être cadres dirigeants. C’est donc ce dernier terme, « dirigeant », et lui seul, qui semble faire la différence.
Quel est l’impact de la liberté d’organisation ?
L’indépendance dans la gestion de l’emploi du temps ne constitue qu’un indice parmi d’autres.
Quoi qu’il en soit, le salarié ne doit pas recevoir de consignes dans l’organisation de son travail et de son emploi du temps [3].
Ou alors celles-ci doivent se limiter à leur portion congrue : assignation d’objectifs, la subordination n’étant pas incompatible avec le statut de cadre dirigeant [4] ou bien encore la nécessité d’assurer la bonne organisation du service, par exemple.
Peu importe que l’intéressé ait observé, de sa propre initiative, des horaires réguliers, dès lors que ses fonctions lui permettaient d’organiser son temps de travail comme il l’entendait et qu’il n’était soumis à aucun contrôle de la part de son employeur qui ne lui avait jamais imposé d’horaires [5].
En revanche, le fait d’avoir à informer chaque semaine un supérieur de son planning prévisionnel exclut le statut de cadre dirigeant [6].
Quel est l’impact du montant de la rémunération perçue ?
La rémunération des cadres dirigeants doit se situer dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise.
Il semble impossible de fixer le montant au-delà duquel les cadres peuvent être considérés comme « dirigeants », sachant que, dans une petite entreprise, le chef d’entreprise lui-même n’a pas forcément une très haute rémunération.
À la lettre du texte, ce n’est d’ailleurs pas le montant, mais la position de la rémunération dans l’échelle des salaires de l’entreprise ou de l’établissement qui est envisagée.
La Cour de cassation a ainsi admis la qualité de cadre dirigeant à un cadre supérieur qui percevait la rémunération la plus élevée de sa compagnie [7], alors qu’elle l’a dénié à un directeur dont le coefficient ne figurait pas parmi ceux des cadres les mieux payés [8].
Quoi qu’il en soit, la référence aux systèmes de rémunération conduit à ne pas s’en tenir au salaire brut mensuel ou annuel, mais à prendre en compte tous les accessoires de salaire quelle qu’en soit la forme ou la périodicité de paiement et qu’ils soient ou non soumis à charges sociales. Cette comparaison doit donc tenir compte, non seulement des avantages en nature accordés (véhicule, logement, etc.), mais aussi des rémunérations complémentaires (stockoptions, retraite chapeau, prévoyance, etc.).
Quant au périmètre à prendre en compte, la rédaction du texte semble privilégier l’établissement sur l’entreprise.
Quel est l’impact de la classification ? La qualité de cadre dirigeant ne nécessite pas, selon la Cour de cassation, que le salarié concerné ait le coefficient le plus élevé de la classification professionnelle [9].
La loi ne fait en effet référence qu’au niveau de rémunération, au niveau de responsabilité et d’autonomie, ce qui n’est pas la même chose, même s’il est rare que ces critères ne soient pas interdépendants.
Quelle est l’incidence de la prise autonome de décision ?
La qualification de cadre dirigeant est réservée aux cadres de direction qui disposent du pouvoir de décider de la politique économique, sociale et financière de l’établissement (secrétaire général, directeur général adjoint, directeur opérationnel cumulant son contrat de travail avec un mandat social...).
La Cour de cassation a ainsi dénié la qualité de cadre dirigeant, au sens de l’article L3111-2 du Code du travail aux collaborateurs suivants :
un directeur général d’agence après avoir constaté qu’il « ne disposait pas d’une délégation générale de l’employeur et n’exerçait pas les prérogatives de ce dernier sans avoir à solliciter d’autorisations préalables [le cadre ne signait en effet pas les contrats de travail, les lettres d’avertissements et de licenciement et ne décidait pas lui-même des promotions et de l’attribution des primes exceptionnelles], qu’il ne résultait pas des éléments du dossier que sa rémunération se situait dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération pratiqué dans l’entreprise ».
Il ne pouvait donc prétendre à la qualité de cadre dirigeant, « peu important qu’il ait disposé d’une grande liberté dans l’organisation de son travail » [10] ;
un salarié, d’abord chef de secteur, puis promu directeur de magasin d’une grande enseigne de bricolage, dont le coefficient ne figurait pas parmi ceux des cadres les mieux payés, dont le pouvoir d’embaucher le personnel était encadré par les directives reçues, qui ne participait pas aux instances définissant la politique stratégique de l’entreprise, et se contentait de mettre en œuvre celle définie en dehors de lui et dont la présence semblait nécessaire pendant les heures d’ouverture du magasin [11] ;
une femme engagée en qualité de « responsable collection homme » avec le statut de cadre et au coefficient le plus élevé de la convention collective [12] ;
un salarié dont le contrat de travail précisait que sa rémunération brute mensuelle était calculée sur la base de 35 heures hebdomadaires et qui ajoutait : « Il pourra vous être demandé d’effectuer des heures supplémentaires dans le respect des dispositions légales.
Celles-ci auront un caractère obligatoire et vous ne pourrez pas refuser de les effectuer » [13] ;
un salarié occupant les fonctions de directeur général, placé sous l’autorité de la vice-présidente du groupe, et dont la fiche de fonctions ne faisait pas apparaître le moindre pouvoir autonome [14] ;
un « vice-président recherche et développement » dans une usine, qui dispose certes d’une grande liberté d’organisation de son temps de travail, d’un niveau très élevé de responsabilité et d’une rémunération parmi les plus importantes, mais qui ne participe pas au comité de direction [15].
un salarié engagé en qualité de directeur qui, dans le cadre de ses fonctions, disposait d’une large délégation de pouvoir lui conférant notamment un véritable pouvoir de direction, ainsi qu’un pouvoir disciplinaire, sur les salariés placés sous sa responsabilité.
De plus, il participait, avec voix consultative, au comité de direction de l’entreprise.
Ceci étant, l’examen des faits a conduit la Cour de cassation à constater que l’intéressé devait consulter la direction générale sur les décisions relatives à la gestion du personnel, qu’il n’avait pas la maîtrise du recrutement des salariés, que ses propositions devaient être validées par la direction des ressources humaines et par la direction générale de la société, qu’il avait également une autonomie limitée dans l’organisation même du travail au sein de l’établissement [16] ;
un directeur qui disposait certes d’une « autonomie indiscutable dans la gestion de l’établissement » , mais devait être présent au sein de la structure dix demi-journées par semaine, ne pouvait signer des chèques que sur autorisation et dans la limite d’un montant imposé, ne pouvait pas fixer les conditions d’emploi et de rémunération des salariés et ne signait pas les contrats de travail [17].
En revanche la Cour de cassation a admis la qualité de cadre dirigeant pour :
un directeur de département financier, relevant de la catégorie des cadres supérieurs, participant aux décisions stratégiques de l’entreprise, qui exerçait le commandement sur d’autres cadres, assistait aux réunions du conseil d’administration, disposait d’une délégation de signature, et dont le niveau de responsabilité impliquait une large indépendance dans l’organisation de son travail et une grande souplesse quant aux horaires [18] ;
un salarié, engagé en qualité d’adjoint au directeur d’exploitation d’un port, d’abord promu comme directeur de port, puis comme directeur régional zone atlantique. Devant la Haute Cour, le salarié contestait l’importance de sa rémunération (bien inférieure à celle du P-DG de la compagnie d’exploitation) et son degré d’autonomie (limitée aux actes de gestion courante, puisqu’il agissait sous son contrôle et devait lui soumettre l’organisation de son temps de travail).
Mais, pour la Haute Cour, il avait bien la qualité de cadre dirigeant dès lors qu’il « exerçait des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son temps de travail, [qu’il] était habilité à prendre des décisions largement autonomes et [qu’il] percevait la rémunération la plus élevée de la compagnie » [19] ;
un directeur des ressources humaines d’une entreprise comprenant 2 500 salariés et membre du comité de direction [20] ;
un directeur d’une concession automobile dont les pouvoirs de management étaient étendus, mais qui recevait des objectifs commerciaux, des budgets à réaliser et des directives commerciales. Selon la Cour de cassation, la seule circonstance qu’un cadre se voie assigner des objectifs budgétaires dans le cadre des orientations commerciales définies par la direction du groupe ne suffit pas à l’exclure de la qualité de cadre dirigeant.
Le juge doit examiner la fonction que le salarié occupe réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par l’article L. 3111-2 du Code du travail (Cass. soc., 23 nov. 2010, n° 09- 41.552, inédit) ;
un salarié, d’une part, directeur d’un garage dont il détenait 25 % du capital et, d’autre part, directeur opérationnel des trois sociétés de taxis, utilisatrices des services du garage, qui n’avait de compte à rendre qu’au gérant et qui percevait le salaire le plus élevé par rapport à ceux versés dans les quatre entités (Cass. soc., 30 nov. 2011, no 09-67.798 et no 10-17.552) ;
un chargé d’affaires dans une petite entreprise du bâtiment, à effectif réduit (moins de 20 salariés) (Cass. soc., 31 janv. 2012, n° 10-23.828) ;
un directeur qui avait sous son autorité les établissements et l’ensemble du personnel, qui disposait du pouvoir de recruter, exception faite des médecins, qui assurait la préparation des travaux du conseil d’administration et du projet d’établissement et qui était chargé de l’exécution des décisions du conseil d’administration et de la mise en œuvre de la politique définie par ce dernier [21].
Enfin s’agissant du sujet de l’organisation et la périodicité de l’entretien annuel des cadres dirigeants, il convient de souligner que la loi n’impose aucune obligation aux employeurs.
En revanche, pour tout entretien individuel, le salarié doit être prévenu à l’avance comme le prévoit l’article L1222-3 du Code du travail :
« Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard.
Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
L’évaluation d’un salarié dans l’entreprise est un dispositif facultatif qui peut prendre la forme d’un entretien individuel mais aussi d’un système de notation ou d’une répartition des salariés en différentes catégories. L’évaluation peut néanmoins être imposée à l’employeur par la convention collective. Il doit alors respecter les dispositions prévues : périodicité, contenu des entretiens.