Suite à une maladie ou un accident de travail ou non, un salarié peut se trouver dans une situation d’inaptitude au poste qu’il occupait. Concrètement, cela veut dire que cette personne n’est plus en capacité d’occuper ses fonctions précédente, qu’elle est inapte au travail.
Seule la médecine du travail peut juger de la situation exacte. L’inaptitude au poste est le plus souvent détectée lors de visite médicale, soit dans le cadre d’une surveillance médicale régulière, soit au moment de la visite médicale de reprise de travail qui a lieu suite à un arrêt maladie. C’est à ce moment que la médecine du travail inapte décèle l’inaptitude au poste.
Si le salarié est conscient de cette inaptitude au poste de travail, lui-même, son médecin traitant ou la CPAM peuvent demander à ce que soit pratiqué un examen médical mettant en évidence l’inaptitude au poste.
Cette demande peut être bénéfique puisqu’une fois l’inaptitude au poste de travail constatée, l’employeur et le salarié peuvent chercher ensemble une solution adéquate.
Attention ! L’inaptitude au poste de travail peut être d’ordre psychique ou physique.
Après avoir validé le fait qu’un salarié est inapte au travail par la médecine du travail, l’employeur a l’obligation d’envisager un reclassement du salarié en question si celui-ci a été jugé apte à reprendre d’autres fonctions.
Si ce n’est pas le cas, un licenciement pour inaptitude peut être envisagé sous certaines conditions.
Lorsqu’un contentieux surgit faisant suite à des demandes d’imputation de l’accident de travail à l’employeur par le salarié, ont pu se poser un certain nombre de difficultés procédurales, du fait de la compétence matérielle de deux juridictions, dont les sphères de compétences exactes, ont pu parfois se trouver être source d’incertitudes.
Il ressort qu’en application des articles R. 142-17 à R. 142-27 du code de la sécurité sociale, le principe est le suivant : le TGI Pôle Social statue sur les différends auxquels donne lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale qui ne relèvent pas, par leur nature, d’un autre contentieux (CSS, art. L. 142-1).
Aussi, dans l’hypothèse d’une faute inexcusable, l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale prévoit que la victime a le droit de demander à l’employeur, devant la juridiction de la sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales [1].
En outre, selon l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes est compétent pour tous les « différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient ». Toutefois, la simple lecture de ces textes ne permet pas de résoudre l’équation de la compétence juridictionnelle avec certitude. Il convient dès lors de s’en remettre à l’étude de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Si l’indemnisation des dommages résultant d’un AT/MP, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du TGI, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Lorsqu’un salarié est licencié pour inaptitude suite à un accident du travail (AT) résultant d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, se posent les questions, en cas de demande de dommages-intérêts, du tribunal compétent et de la validité du licenciement.
Deux arrêts du 3 mai 2018 ainsi que la note explicative de la Cour de cassation ont apporté un éclairage sur ces deux questions.
Visiblement, la chambre sociale ne s’y est pas trompée au vu des cafouillages des Cours d’appel sur ces questions qui génèrent chaque année un abondant contentieux.
Les jurisprudences antérieures étaient franchement de nature à créer une confusion préjudiciable.
Par l’arrêt du 30 septembre 2010 [2], la Cour de cassation jugeait que, sous couvert d’une action en responsabilité à l’encontre de l’employeur pour avoir manqué à son obligation de sécurité, la salariée demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l’accident du travail dont elle avait été victime, de sorte que la juridiction de la sécurité sociale était seule compétente pour en connaître.
Ainsi, la victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de son employeur ne pouvait pas saisir le conseil des prud’hommes d’une demande de réparation intégrale des préjudices qu’elle a subis. Cette décision n’était pas très claire. Fallait-il comprendre que le TASS se saisissait aussi des demandes de réparation liées à la rupture du contrat de travail ?
Par sa décision du 29 mai 2013 (Soc. 29 mai 2013, n° 11-20.074, Dalloz actualité, 17 juin 2013, obs. W. Fraisse ; D. 2013. 1417 ; ibid. 1768, chron. P. Flores et al. ; Dr. soc. 2013. 764, obs. V. Orif ), la haute juridiction posait sa position en considérant que seul le tribunal des affaires de sécurité sociale est compétent pour indemniser les dommages résultant d’un accident du travail, même s’il est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Dans cette affaire, la chambre sociale a censuré la cour d’appel qui a reconnu la juridiction prud’homale compétente alors que, sous couvert d’une action en responsabilité contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, l’intéressé demandait en réalité la réparation du préjudice né de son accident du travail. Les questions de compétences d’attribution impliquent dès lors d’identifier exactement l’objet de la demande.
En principe, lorsqu’un salarié est victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, l’action en réparation du préjudice est de la compétence exclusive du TGI et relève des règles spécifiques du code de la Sécurité sociale [3].
Mais la compétence exclusive du TGI dans ce domaine interdit-elle au salarié de demander au conseil de prud’hommes (CPH) une réparation complémentaire lorsque l’employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité ?
La réponse est non mais dépend du fondement de l’action en indemnisation du préjudice (validité de la rupture ou accident du travail). C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation, plus explicitement qu’en 2013.
C’est en effet un exercice de qualification qu’a mené la Cour de cassation dans ses arrêts du 3 mai 2018 pour ensuite rappeler, d’une part, que l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale ; et que, d’autre part, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour délimiter les compétences respectives des juridictions prud’homales et de sécurité sociale, la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 29 mai 2013, dégagé le principe suivant : « si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du TGI l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité » [4].
Mais la délimitation des compétences respectives des juridictions prud’homales et de sécurité sociale résultant du principe dégagé par la Cour de cassation n’est pas toujours aisée à appliquer.
C’est ce que révèlent les deux pourvois ayant donné lieu aux deux arrêts du 3 mai 2018.
Dans les deux espèces, les salariés, victimes d’un accident du travail avaient été licenciés pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Ils ont contesté la validité de leur licenciement au motif que leur inaptitude découlait d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et avaient demandé en conséquence l’indemnisation du préjudice consécutif à la rupture.
Dans la première espèce, les juges du fond avaient rejeté la demande du salarié au motif qu’elle tendait à la réparation née de l’accident du travail [5].
Dans la seconde espèce, les juges du fond ont écarté l’exception d’incompétence du conseil de prud’hommes soulevé par l’employeur qui estimait que la demande du salarié relevait de la compétence exclusive du TGI car, pour lui, il s’agissait qu’une demande d’indemnisation de la perte de son emploi consécutive à l’accident du travail.
Les juges prud’homaux ont ensuite alloué des dommages-intérêts au salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse [6].
La divergence de point de vue des juges du fond montrait la nécessité pour la Cour de cassation de rappeler le principe posé par l’arrêt du 29 mai 2013 mais avec plus de clarté : « Si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ». [7].
La Cour de cassation a reformulé le principe dégagé par la jurisprudence de 2013 selon lequel « la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur les litiges relatifs à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail » pour le remplacer par une nouvelle formulation plus claire : « la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail ».
Autrement dit, lorsque le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître de l’application des règles relatives à la rupture du contrat de travail, à savoir ici, ce qui est relatif à la validité du licenciement pour inaptitude et, le cas échéant, à l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
si le salarié réclame des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice résultant de son accident du travail ou du manquement de son employeur à son obligation de sécurité c’est le TASS qui est seul compétent ;
si le salarié réclame des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que par son manquement à l’obligation de sécurité, l’employeur était à l’origine de son licenciement pour inaptitude, c’est le conseil de prud’hommes qui est seul compétent.
A titre d’exemple, le juge prud’homal ne peut indemniser la perte des droits à la retraite consécutive à un accident du travail, laquelle est réparée par la rente versée par la sécurité sociale au titre de du livre IV du code de sécurité sociale [8]. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un troisième arrêt du 3 mai 2018 [9].
A noter que la réparation du préjudice résultant d’un licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse en raison d’une violation de l’obligation de sécurité par l’employeur n’est pas subordonnée à la caractérisation préalable d’une faute inexcusable [10].