Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
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  • 1re Parution: 13 octobre 2021

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Rupture anticipée de CDD : indemnisation du préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente d’albums non produits.

Par un arrêt n°19-21.311 du 15 septembre 2021 publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la nature des rémunérations susceptibles d’indemnisation en cas de perte de chance résultant de la rupture anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée.

Sur le fondement de l’article L1243-4 du Code du travail, la Cour de cassation a considéré que les gains liés à la vente et à l’exploitation des albums non produits, dès lors que le préjudice qui résulte de l’inexécution de la convention, est direct et certain, sont indemnisable au titre de la perte de chance.

1) Faits.

Un salarié a signé avec la société Universal Music France, le 19 septembre 2014, un contrat à durée déterminée, d’une durée minimale de 42 mois, suivant lequel, le salarié concédait à son employeur l’exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public, moyennant le versement d’un salaire par enregistrement, et de redevances assises sur le produit de la vente des enregistrements.

Toutefois, suite à la réalisation et à la commercialisation d’un premier album, l’employeur a mis fin au contrat de façon anticipée, le 25 septembre 2015, soit seulement 12 mois après la conclusion du contrat de travail.

En conséquence, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour que soit jugé que le contrat avait été abusivement rompu avant le terme fixé.

Par ailleurs, le salarié demande à la juridiction pénale, l’allocation de plusieurs sommes en réparation de son dommage, dont celle indemnisant la perte de chance.

Par un arrêt du 29 mai 2019, la Cour d’appel de Paris ne fait pas droit aux demandes du salarié quand bien même elle reconnait la perte de chance qui a résulté de « la rupture illicite du contrat à durée déterminée [qui] avait empêché la réalisation de deux des albums faisant l’objet du contrat ».

En effet, la Cour d’appel de Paris a refusé d’indemniser l’existence de cette perte de chance au motif que les gains ainsi perdus n’étaient pas des salaires, mais de simples redevances.

Le salarié se pourvoit donc en cassation sur le fondement de l’article L1243-4 du Code du travail qui dispose que

« la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L1243-8 ».

2) Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de l’avoir débouté de ses demandes en indemnisation d’une perte de chance résultant de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée.

Le salarié soutient à cet égard que en application de l’article L1243-4 du Code du travail, il a le droit de percevoir des « dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçu jusqu’au terme du contrat », et que ces rémunérations ne comprennent pas seulement le salaire, mais aussi les gains produits par l’exécution du contrat de travail.

En effet, le salarié souligne plus précisément que l’application de cet article « lui permet notamment d’être indemnisé également de la perte de chance consécutive à cette rupture et de percevoir des gains qu’ils soient d’ordre salarial ou non ».

3) L’indemnisation d’une perte de chance consécutive à la rupture d’un contrat de travail à durée déterminée, est-elle uniquement d’ordre salarial ? Non, répond la Cour de cassation.

La Cour de cassation répond par la négative et casse l’arrêt de la Cour d’appel sur le fondement de l’article L1243-3 du Code du travail qui dispose que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat.

En effet, tandis que la Cour d’appel n’avait pas considéré les redevances qui étaient dues au salarié relatives à ses droits d’interprètes consécutifs à l’exploitation des albums, en raison du fait que la présence physique de l’artiste n’est plus requise pour exploiter les enregistrements, la Cour de cassation considère néanmoins que toute forme de rémunération est susceptible de réparation.

En d’autres termes, la Haute Cour estime que le salarié

« peut réclamer la réparation d’un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l’exploitation des albums non produits dès lors qu’il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ».

Source :

Cass.soc., 15 septembre 2021, n°19-21.311.

Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Sarah Bouschbacher juriste M1 Propriété intellectuelle artistique et littéraire Paris 2 Assas
Chhum avocats (Paris, Nantes, Lille)
e-mail : chhum chez chhum-avocats.com
Site internet : www.chhum-avocats.fr
Blog : www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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