Un salarié peut obtenir sa réintégration en référé, en cas de licenciement suite à dénonciation d’un harcèlement moral.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # licenciement abusif # réintégration # droit du travail

L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 25 novembre 2015 ouvre la porte à une action du salarié qui est licencié suite à une dénonciation de harcèlement moral, en réintégration dans l’entreprise et en référé.

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1) Les faits

Madame X, engagée le 12 octobre 1998 par la société Orange Caraïbes, exerçant en dernier lieu les fonctions de Directrice Juridique, a été licenciée le 5 avril 2013 pour faute.

Soutenant que son licenciement est illicite pour être consécutif à la dénonciation des faits de harcèlement moral qu’elle a subis, elle a saisi la juridiction prud’homale en référé pour faire juger son licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du Code du travail, ordonner sa réintégration et prononcer la condamnation de l’employeur au paiement de ses salaires et accessoires jusqu’à celle-ci.

Dans un arrêt du 17 mars 2014, la Cour d’appel de Basse Terre a rejeté les demandes de la salariée et dit n’y avoir lieu à référé ; la Cour d’appel a constaté que la salariée avait été licenciée pour avoir porté des accusations de harcèlement moral à l’encontre d’un cadre dirigeant de la société, retient que le trouble manifestement illicite n’était pas caractérisé.

La Cour d’appel a relevé que l’appréciation de la bonne ou mauvaise foi de la salariée lors de sa relation des faits échappant à la compétence du juge des référés et relevant de l’appréciation du juge du fond.

Toutefois, au visa de l’article R. 1455-6 du Code du travail, dans un arrêt du 25 novembre 2015 (n°14-17551) publié au bulletin, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Basse Terre.

Elle considère qu’il appartenait à la Cour d’appel « de se prononcer, comme il le lui était demandé, sur la mauvaise foi de la salariée lorsqu’elle avait dénoncé les faits de harcèlement moral, pour déterminer si son licenciement constituait un trouble manifestement illicite ».

2) Analyse

Cet arrêt permet donc au salarié, le cas échéant, d’obtenir sa réintégration en référé si son licenciement est consécutif à une dénonciation de harcèlement moral.

Pour ce faire, le salarié devra apporter des éléments laissant présumer un harcèlement moral qu’il a subi et les faits dénoncés ne doivent pas l’être de « mauvaise foi ».

Il faut rappeler qu’aux termes de l’article L. 1152-1, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Par ailleurs, l’article L. 1152-3 précise que « toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ».

Le harcèlement est réservé aux actes très graves.

Le salarié doit verser des éléments laissant présumer le harcèlement. A cet égard, le juge devra examiner chacun des faits allégués par le salarié ; l’accumulation de plusieurs faits peut, le cas échéant, justifier un harcèlement moral.

De son coté, l’employeur devra prouver que son comportement est étranger à tout harcèlement moral.

Les juges doivent examiner si le salarié a dénoncé, de bonne foi (ou non) les faits de harcèlement moral. En réalité, le juge devra apprécier la mauvaise foi (ou non) du salarié.

Comment prouver la mauvaise foi ? Ceci ne sera pas aisé, il ne peut y avoir mauvaise foi du salarié dans la dénonciation du harcèlement que si la dénonciation est manifestement infondée.

Cet arrêt ouvre la porte à une action du salarié qui est licencié suite à une dénonciation de harcèlement moral, en réintégration dans l’entreprise et en référé.

Toutefois, en pratique, la réintégration est toujours difficile à vivre tant pour le salarié (qui devra revenir dans une entreprise où il a subi un harcèlement) que pour l’employeur.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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  • Dernière réponse : 26 février 2016 à 22:01
    par Jerome MAZOYER , Le 1er février 2016 à 22:00

    Bonjour,

    Merci pour votre article, mais je suis désolé de ne partager que partiellement votre analyse.

    Vous dites au 2eme paragraphe de votre analyse :
    "Pour ce faire, le salarié devra apporter des éléments laissant présumer un harcèlement moral qu’il a subi et les faits dénoncés ne doivent pas l’être de « mauvaise foi »."

    Je ne sais pas d’où vous tirez cela, mais je suppose que vous citez en partie l’article L. 1154-1, qui débute par :
    "Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. ..."

    Je suis complètement d’accord que cet article L. 1154-1 permet donc de résoudre les litiges relatif à l’article L. 1152-2 (interdiction de sanction pour avoir subi ou refusé de subir du harcèlement moral ou pour l’avoir dénoncé), mais pour moi en pratique ce n’est jamais le cas quand justement on utilise l’article 1152-2 relativement à la dénonciation de harcèlement, puisque justement dans ce cas le débat va se porter sur la bonne ou mauvaise foi du salarié, ce qui est beaucoup plus simple que de démontrer que la situation "ressentie" était effectivement du harcèlement moral.

    Je vous invite à relire cet arrêt du 25 novembre 2015, et vous verrez bien que la Cour de Cassation demande à la Cour d’Appel de se prononcer sur la mauvaise foi ou non de la salariée pour accorder ou non l’annulation du licenciement, et non pas de définir si la salariée a effectivement été victime de harcèlement moral.
    Votre conclusion est donc inexacte selon moi : L’employé ne devra donc pas revenir dans une entreprise où il a "subi" du harcèlement moral, mais dans une entreprise où il a "eu l’impression de subir" du harcèlement moral.

    En ce qui concerne la définition de la mauvaise foi du salarié, je vous invite à utiliser la définition de la Cour de Cassation, à savoir "la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce" (Cass. soc., 7 févr. 2012, no 10-18035).

    En vous remerciant encore pour votre article, et au plaisir de faire avancer le débat

    • par Jérôme MAZOYER , Le 26 février 2016 à 22:01

      Petite précision sur mon commentaire ci-dessus :

      La phrase
      "...quand justement on utilise l’article 1152-2 relativement à la dénonciation de harcèlement, puisque justement dans ce cas le débat va se porter sur la bonne ou mauvaise foi du salarié, ce qui est beaucoup plus simple que de démontrer que la situation "ressentie" était effectivement du harcèlement moral."
      devrait plutôt être lue :
      " ...quand justement on utilise l’article 1152-2 relativement à la dénonciation de harcèlement, il appartient à l’employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié."

      Tout ça pour dire que dans ce cas, ce n’est pas au salarié de présenter des faits, mais à l’employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié dans ses accusations de harcèlement moral, ce qui est pour moi complètement différent en terme d’approche.

      Bien à vous

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