Preuve en droit du travail : une vidéosurveillance illicite est-elle recevable ?

Par Camille Bonhoure, Avocat.

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Explorer : # vidéosurveillance # preuve illicite # droit du travail # licenciement

Dans trois arrêts rendus le 8 mars 2023, dont deux publiés au Bulletin, la Cour de cassation est revenue sur la recevabilité des images de vidéosurveillance dans le cadre d’un litige prud’homal, notamment lorsque les images en question sont utilisées par l’employeur afin de justifier un licenciement.

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1) Irrecevabilité de la preuve obtenue en violation de l’article R156, alinéa 1, du Code de procédure pénale (Cass. soc., 8 mars 2023, n°20-21.848).

Un salarié, conducteur de bus, avait été licencié pour faute grave pour avoir téléphoné au volant et fumé dans le bus.

Le salarié avait déposé plainte suite à la disparition d’un bloc de tickets. Son employeur avait alors transmis à la police les images de vidéoprotection du véhicule.

Suite à cela, la police avait remis à la société un procès-verbal, sur la base des images de vidéosurveillance, indiquant que le salarié avait téléphoné au volant et fumé dans le bus.

L’employeur ne justifiait de la faute grave du salarié que sur la base de ce procès-verbal.

Contestant son licenciement pour faute grave, le salarié a obtenu de la Cour d’appel de Colmar la reconnaissance du caractère illicite et irrecevable du procès-verbal.

L’employeur a par la suite formé un pourvoi en cassation, estimant que la cour d’appel aurait dû apprécier si l’utilisation de cette preuve, obtenue illicitement, n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve.

Dans son arrêt du 8 mars 2023 (n°0-21.848) publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que l’employeur n’avait obtenu communication du procès-verbal que « dans le cadre informel des relations qu’il entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police » et sans autorisation du procureur de la République, en violation des dispositions de l’article R156, alinéa 1, du Code de procédure pénale.

La délivrance du procès-verbal, et partant son utilisation comme mode de preuve, était donc illicite.

Ensuite, la Cour de cassation relève que l’employeur s’était engagé, dans le cadre de la Charte de la vidéoprotection de l’entreprise, à :

- Ne pas communiquer les images de vidéoprotection à la police, hors cas « d’infraction ou perturbation afférente à la sécurité des personnes » ;

- Ne pas utiliser le système de vidéoprotection pour « apporter la preuve d’une faute du salarié lors d’affaires disciplinaires internes ».

Sur la base de ces deux éléments, la Haute juridiction a ainsi estimé que le procès-verbal avait été obtenu de manière illicite et était, de fait irrecevable.

Cette décision a l’intérêt d’écarter l’application du régime classique de la preuve illicite.

En effet, dans les deux autres arrêts rendus le même jour sur le même thème, la Cour de cassation rappelle qu’une preuve, certes illicite, n’est pas nécessairement écartée des débats dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée au respect de la vie personnelle du salarié est strictement proportionnée au but recherché.

Ce régime dérogatoire n’est toutefois pas applicable lorsque la preuve a été obtenue en violation des dispositions du Code de procédure pénale et que l’employeur s’était engagé à ne pas utiliser ce dispositif dans un but disciplinaire.

2) La vidéosurveillance considérée comme un mode de preuve illicite n’est pas indispensable au droit de la preuve si l’employeur dispose d’autres moyens de preuve (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-17.802).

Une salariée, prothésiste ongulaire, avait été licenciée pour faute grave du fait de détournements de fonds et de soustractions frauduleuses reprochés par son employeur.

Pour démontrer la réalité de la faute grave, l’employeur s’appuyait sur des images de vidéo-surveillance, constatées par huissier, éléments qu’il produisait dans le cadre du contentieux.

La Cour d’appel de Paris avait considéré ces éléments de preuves comme inopposables à la salariée, faute pour l’employeur d’avoir informé la salariée des finalités du dispositif et de la base juridique qui le justifiait.

En outre, la cour d’appel considérait que la production de ces éléments n’étaient pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve.

Contestant cette appréciation, l’employeur avait formé un pourvoi en cassation.

Il soulevait notamment comme argument le fait que la vidéosurveillance était le seul moyen permettant de démontrer les détournements de fonds et les soustractions frauduleuses commises par la salariée, la cour d’appel ayant écarté les « autres éléments de preuve de l’employeur en soulignant leur insuffisance à démontrer la prétention de l’employeur ».

La Cour de cassation n’a toutefois pas retenu cet argument.

Dans sa décision du 8 mars 2023 (n°21-17.802), publiée au Bulletin, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que « l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats ».

Ensuite, la Cour de cassation rappelle que

« En présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ».

Dans le cas d’espèce, l’illicéité de la vidéosurveillance ne faisait guère débat. La salariée n’avait jamais été informée des finalités du dispositif et de la base juridique qui le justifiait. De plus, l’employeur n’avait pas sollicité d’autorisation préfectorale préalable.

Il appartenait donc aux juges du fonds d’apprécier si, malgré l’illicéité constatée, la production de cet élément de preuve était indispensable à l’exercice du droit de la preuve de l’employeur.

En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que la production de la vidéosurveillance n’était pas indispensable dès lors que l’employeur se prévalait, sans pour autant le produire, d’un audit qui aurait mis en évidence de nombreuses irrégularités dans l’enregistrement et l’encaissement des prestations de la salariée.

De fait, les images de vidéosurveillance et toute pièce en découlant devaient être considérées comme irrecevables.

Ainsi, dès lors que l’employeur dispose d’autres moyens pour démontrer la faute grave d’un salarié, les images de vidéosurveillance ne peuvent être considérées comme indispensable à l’exercice du droit à la preuve, entraînant de fait leur irrecevabilité.

3) Nécessaire appréciation du caractère indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-20.798).

Un salarié, analyste métier, avait été licencié pour faute grave en raison d’une fraude « par déclarations erronées du temps de travail ».

Pour justifier de cette faute grave, l’employeur s’appuyait sur le système de badgeage situé à l’entrée des bâtiments et permettant le contrôle des accès aux locaux et aux parkings.

Dans le cadre de la contestation de son licenciement, le salarié faisait valoir que l’employeur n’avait jamais déclaré à la CNIL que ce dispositif avait également pour finalité le contrôle individuel de l’activité des salariés (l’arrêt étant rendu sous l’égide des dispositions antérieures à 2018).

La Cour d’appel de Paris a suivi l’argumentation du salarié, estimant en outre que l’employeur ne pouvait invoquer une atteinte à son droit à la preuve

« dans la mesure où il aurait suffi de déclarer de manière simplifiée au correspondant CNIL la finalité de contrôle du temps de travail du système de badgeage lors de l’accès aux locaux et d’en informer les salariés ».

Se fondant sur les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

La Haute Juridiction estime en effet que, malgré l’illicéité de ce moyen de preuve, il appartenait aux juges du fond de vérifier si la

« preuve litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte au respect de la vie personnelle de la salariée n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi ».

Plus précisément, les juges du fond auraient dû vérifier si l’employeur ne « pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ».

Concrètement, l’utilisation d’un mode de preuve illicite doit être le seul et unique moyen de parvenir à apprécier l’existence d’une faute du salarié.

A titre d’exemple, si l’employeur peut atteindre un résultat identique par le biais d’attestations de collègues, le recours à un mode de preuve illicite ne serait pas à notre sens indispensable.

Camille Bonhoure
Avocat à la Cour
Selarl Frédéric Chhum Avocats
www.chhum-avocats.com

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