Dans mon précédent article (« Bon à savoir pour une procédure de divorce d’époux franco-marocains ou marocains ») je vous avais indiqué in fine que la question de la loi applicable au divorce des époux marocains ou franco-marocains ferait l’objet d’un prochain article…
Toutefois, et dans le souci de respecter la chronologie des questions à se poser dans le cadre d’un litige international, je vous propose de faire un rappel de la question de la compétence internationale des tribunaux français avant de voir la question de la loi applicable.
Que disent donc les textes de notre droit interne quand à la compétence internationale de nos juges… !?
Dès à présent et avant toute explication, il est important de savoir qu’il n’existe pas dans le Code de procédure civile de textes généraux qui édictent la compétence internationale des tribunaux français dans les litiges internationaux.
Au travers de cet article, je présenterais autant que faire ce peu, un exposé complet et pratique, des règles générales relatives à la Compétence internationale du Juge français (JAF ou autres) tout en relevant à cet égard, les dispositions de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et de la coopération judiciaire.
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Le principe général veut qu’en application des dispositions de l’article 55 de la Constitution,
• Il faut tout d’abord regarder si une norme internationale est applicable, et dans la négative,
• Il y aura lieu de mettre en œuvre les règles de compétence territoriale interne figurant au Code de procédure civile et,
• Ce n’est que subsidiairement, si et seulement si, ces dernières ne permettent pas de fonder la compétence des tribunaux français que pourront alors être invoqués les privilèges de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil.
Cette hiérarchie doit être scrupuleusement respectée.
1- Compétence des tribunaux français résultant d’une norme internationale…
En droit international privé, il faut toujours regarder s’il existe ou non une norme internationale qui serait susceptible de régler le conflit de juridictions qui se présente.
Aujourd’hui la compétence internationale des tribunaux français est pour l’essentiel dictée par le Règlement communautaire (CE) n°2201/2003 dit Bruxelles II bis du 27 novembre 2003, entré en vigueur le 1er mars 2005. Il détermine la compétence en matière de divorce, séparation de corps, nullité du mariage et de responsabilité parentale.
Cette compétence repose sur une liste de rattachements qui sont à la fois alternatifs et non hiérarchisés. Il faut donc comprendre que chacun de ces rattachements peut être mis en œuvre à la discrétion de chacun des époux et il suffit qu’un seul de ces critères soit localisé en France pour que les tribunaux français soient compétents.
C’est l’article 3 du règlement qui pose les cas de compétence.
Dès lors en application des dispositions de ce texte, on dira que les tribunaux français sont compétents quand :
1) Les époux résident habituellement en France ;
2) Un seul époux réside habituellement en France mais la juridiction française est saisie d’une demande conjointe ;
3) L’époux défendeur réside habituellement en France ;
4) L’époux demandeur réside habituellement en France depuis au moins 1 année avant l’introduction de sa demande ;
5) Ce délai d’une année est réduit à 6 mois quand le demandeur a la nationalité française ou a son domicile en France ;
6) L’époux demandeur réside habituellement en France au lieu de la dernière résidence commune du couple ;
7) Les deux époux sont français ;
Il faut savoir que la compétence des tribunaux français peut aussi résulter d’une Convention Bilatérale…
En matière de divorce, il existe très peu de conventions bilatérales [1] qui contiennent une règle de conflit de lois. Ce présent article sera illustré, à partir essentiellement de la Convention bilatérale du 10 août 1981 entre la République française et le Royaume du Maroc.
Voyons ce qu’elle prévoit …
Si la règle de compétence territoriale qu’elle édicte n’est qu’indirecte, cette convention a néanmoins le mérite de poser de manière claire une règle de conflit de lois en matière de divorce.
Elle dispose en son article 11 le principe selon lequel : « La dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux Etats sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun ».
Et d’ajouter en son alinéa second que « Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l’un des deux Etats, les juridictions de cet Etat peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l’introduction de l’action judiciaire ».
Sur le fondement des dispositions de la Convention franco-marocaine précitée :
> Les tribunaux français sont donc compétents dès lors que les époux ont,
leur domicile commun ou
avaient leur dernier domicile commun en France.> Les tribunaux du pays dont les époux sont tous deux ressortissants (France ou Maroc) peuvent également être saisis peu important leur domiciliation.
A défaut de pouvoir établir la compétence des tribunaux français en application de la norme internationale, le juge appliquera les règles de droit commun.
2- …aussi par une extension dans l’Ordre international des règles de compétence internes
Comme rappelé précédemment, le Code de procédure civile ne contient pas de textes généraux relatifs à la compétence internationale des tribunaux français dans les litiges internationaux.
C’est la jurisprudence [2] qui apporte la solution à ce vide juridique. En principe général, la Cour de Cassation affirme que la compétence des tribunaux français se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne aux litiges internationaux.
A chaque règle de compétence interne correspond nécessairement une règle de compétence internationale.
Exemple : le tribunal compétent est en principe celui du domicile du défendeur (article 42 alinéa 1er du Code de procédure civile). Par extension, nous dirons donc que les tribunaux français sont compétents dès lors que le défendeur est domicilié en France, et ce quelle que soit sa nationalité (Cet unique exemple suffit. On pourrait en effet, les multiplier puisque tous les textes du Code de procédure civile sont transposables… mais là n’est pas l’objectif premier de cet article).
Cela étant, il est important de souligner et de garder à l’esprit que les règles de compétence internationale sont unilatérales : elles ne peuvent et elles ne déterminent que la compétence des tribunaux français et en aucun cas celle des tribunaux étrangers.
Si le juge français n’est pas compétent en vertu de ces textes, il peut encore l’être en vertu des articles 14 et 15 du Code civil qui constituent des règles de compétence du juge français, exorbitantes de droit commun.
3- …la Compétence des tribunaux français peut, enfin, résulter des privilèges de juridictions : Articles 14 et 15 du code civil.
Nul n’ignore que les articles 14 et 15 du Code civil prévoient un privilège de juridiction pour les tribunaux français. Ces derniers permettant à un français d’attraire un étranger devant les juridictions françaises et au français ou étranger d’y attraire un Français. Le but n’étant autre, que de ramener le litige en France ! pour parler très simplement…
Ces articles ont une portée générale et s’étendent à toutes les actions en justice qu’elles soient patrimoniales ou extrapatrimoniales [3].
La Haute juridiction par deux récents [4] arrêts, est revenue à une interprétation plus stricte de ces textes en matière de compétence indirecte : aujourd’hui, si le litige se rattache de manière caractérisé au pays dont les juridictions ont été saisies et que cette saisine s’est faite sans fraude, le Jugement qui sera rendu ne saurait être méconnu en France, au seul motif que la nationalité française de l’une des parties pourrait y faire échec.
En conséquence, si les articles 14 et 15 du Code civil restent des privilèges de juridictions, ce n’est que le caractère exclusif de la compétence qui a été abandonné depuis le revirement de jurisprudence (voir en ce sens Cass.1er civ. 26 mai 2006).
Les articles 14 et 15 n’ont plus qu’une compétence facultative et subsidiaire.
Cela veut dire :
qu’on peut toujours renoncer à s’en prévaloir, et
on ne pourra les invoquer que si la compétence des tribunaux français n’est pas autrement fondée c’est-à-dire sur le fondement soit d’une norme internationale soit des normes internes.
Dès lors et en application des privilèges de juridictions le juge français peut être saisi dans les cas ci-après énoncés :
Le demandeur de nationalité française agit sur le fondement de l’article 14 du Code civil contre son époux qui n’est ni ressortissant communautaire ni résidant communautaire ; ou
Le demandeur qui n’est pas français mais qui est ressortissant communautaire et qui réside habituellement en France ; agissant sur le fondement de l’article 14 du Code civil contre son époux qui n’est ni résidant ni ressortissant communautaire.
Les règles essentielles à retenir pour déterminer la compétence internationale des tribunaux français venant d’être mises en évidence, il me semble utile de terminer ce présent article par un « tableau synthèse » sous la forme d’une énumération des questions indispensables à se poser lorsque l’on se trouve face à une situation présentant un élément d’extranéité et susceptible donc de relever du droit international privé et de la compétence des tribunaux français :
En résumé donc sur les questions à se poser face à une situation internationale.
1- La situation relève-t-elle du droit international privé ? = relever les éléments d’extranéité
2- Le juge français est-il compétent pour connaitre de ce litige ? = compétence internationale des tribunaux français
3- Existe-t-il une Convention internationale / bilatérale ou un Règlement communautaire applicable au litige ?
A défaut,
4- Les règles internes donnent-elle compétence au juge français ?
A défaut,
5- Les privilèges de juridictions – articles 14 et 15 du Code civil - donnent ils compétences au juge français ?
Si la compétence du juge français est établie en application d’un Règlement ou d’une Convention, il n’y a pas lieu de continuer et d’aller jusqu’à la mise en œuvre des privilèges de juridictions ; qui sont subsidiaires.
Si à l’issu de ce travail, la compétence du juge français a été établie, il faut ensuite déterminer suivant quelle loi il devra prononcer le divorce.
Le Juge mais en amont l’Avocat devra adapter son étude selon qu’il se situe :
dans un cas relevant des conventions bilatérales et donc avec le Maroc, la Pologne, la Yougoslavie (convention qui prévoient une règle de conflits de lois en matière de divorce), et
dans tous les autres cas il se référera à l’article 309 du code civil français.
Si une convention bilatérale conduit généralement à l’application d’une loi étrangère… (La loi nationale des époux) il n’en va pas autrement des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 309, qui peuvent conduire à rechercher le contenu de la règle de conflit de la loi étrangère et donc à l’application de cette loi étrangère sous réserve de la contrariété à l’ordre public français… (Le prochain article portera sur la loi applicable au divorce franco-marocain / marocain).
Nisrine EZ-ZAHOUD
Avocat au Barreau de Lille
nisrine.ezz chez gmail.com