Conseil financier : une arme de dissuasion massive ; assurance-vie et fiscalité.

Par Laurent Denis, Juriste.

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Explorer : # protection des consommateurs # conseil financier # fiscalité # assurance-vie

Les fonds investis par l’épargnant se sont transformés -en large part- en contribution fiscale inattendue, quoique prévisible.

Qui est responsable de ce rétrécissement financier, à visées citoyennes, pourtant (...) peu goûtées par la bénéficiaire ?
L’investisseur ? La bénéficiaire de l’assurance-vie ? L’assureur ? Le Conseiller ou l’Intermédiaire ?

-

La protection des consommateurs financiers avance dans le droit positif, tel un tapis roulant. Ses innovations ne cessent pas.

Elle nécessite donc des méthodes et des outils nouveaux de conformité, au bénéfice des professionnels comme des consommateurs.

Le conseil financier devrait parfois prendre l’aspect d’une arme de dissuasion massive, à braquer aux différentes étapes de la vente.

Mais elle réclame de la stabilité. Il est surtout plus que temps de donner de la cohérence à la production normative, afin de doter l’ensemble des acteurs de la consommation financière d’une meilleure sécurité juridique.

Cour de Cass. Civ. 2e 3 octobre 2013, n°12-24.957

Un investisseur âgé de plus de 70 ans souscrit un contrat d’assurance-vie, en 1998.
Quoi de plus courant ? La surprise va suivre.

Après le décès de cet épargnant, en 2006, la bénéficiaire du contrat espère les capitaux assurés.

Lesquels sont amputés d’un prélèvement fiscal, plus copieux qu’imaginé, puisque calculé selon l’article 757 B du Code général des impôts. En effet, les primes versées au-delà de l’âge de 70 ans supportent un taux d’imposition de 60%, après abattement.

C’est la stricte application du tarif, disons du barème, des droits de mutation par décès, en l’absence de toute parenté.

Abattue après l’abattement, la bénéficiaire assigne l’assureur, pour voir condamner la responsabilité de celui-ci au titre de la violation de son obligation d’information et de son obligation de conseil.

Les fondements juridiques de cette obligation sont nombreux et disséminés : art. L. 520-1 du Code des assurances, applicable, ou art. L. 533-12 du Code monétaire, pour les prestataires en services d’investissement, ou encore, art. L. 132-27-1 du Code des assurances, qui oblige à motiver le conseil prodigué pour les contrats d’assurance-vie.

Les juges donnent raison au camp de l’épargne : des documents explicatifs trop généraux ne remplissent pas l’obligation de conseil, nécessairement personnalisée.

Il faut déterminer la réparation , elle est due sur la base de la méthode de la perte de chance, décidément devenue très tendance en matière financière. Elle revient à poser que, informé de la mécanique fiscale, sans doute le souscripteur aurait opté pour une transmission des capitaux fiscalement plus performante.

Pourvoyant sa facture et son dépit en cassation, l’assureur reconnaît le manque de conseil, mais discute avec foi (et arguments) les modalités de la réparation due à ce titre.

En vain. La Cour de cassation confirme les appréciations des premiers juges, en indiquant qu’ils ont déduits des faits, de manière motivée autant que souveraine, la totale évaporation d’une chance de ne pas souscrire l’investissement litigieux.

Le taux de ne pas souscrire est, dans ce litige, évalué à 100 % : de fait, il est clair que la perspective de transformer la grosse majorité d’une épargne en une cotisation fiscale XXL dissuaderait certainement de le faire, à 100 %.

Il n’est évidemment pas du ressort des juges de s’interroger sur le sens profond d’une créativité normative et fiscale qui pénalise les investissements décidés à plus de 70 ans (ou leurs bénéficiaires).

Et qui anéantit surtout les transmissions entre personnes proches, tout en étant privées d’un fort degré de parenté. Une situation que la vie rend très fréquente, y compris pour de "petites" épargnes.

Des lois fiscales plus simples et moins raides seraient -sans doute- un bon outil de protection des épargnants.

Il est donc demandé aux professionnels de compenser cette absence de simplicité fiscale au moyen de conseils dissuasifs.

Donc, de protéger également les consommateurs des grandes marées fiscales.

Peut-être les pouvoirs publics pourraient-ils dédier un site d’informations sur les choix fiscaux à fuir absolument ?

Peut-être les mêmes autorités pourraient-elles, un jour, contribuer à la promotion active du diagnostic patrimonial, pour tous les épargnants (les frais d’une telle démarche valent bien les enjeux) ?

Car il s’agit bien de protection des consommateurs : elle est l’affaire de tous.

Pour les conseillers et intermédiaires, cette dernière passe non seulement par une connaissance très exhaustive du droit, mais aussi par la formulation de conseils personnalisés, que des notices préfabriquées, quoique justes, ne délivrent donc pas.

La nouveauté grandissante, c’est que cet art commercial nouveau nécessite également des talents de voyance : il fallait prévoir, en 1998, comment décideront les juges, en 2013.

Nous sommes résignés à ce mode de fabrication et de renouvellement des normes.

Transformé, le rôle du conseiller, de l’intermédiaire, du courtier, n’est peut-être pas plus ardu pour autant.

Il consiste à bien comprendre comment doivent être anticipées, intégrées et délivrées commercialement des obligations juridiques de plus en plus précises.

Couche après couche, c’est un profond changement de perspective pour les métiers de la finance des particuliers.

Il réclame de renforcer les outils et les méthodes de conformité dans toutes les entités financières : banques, assurances, courtiers et intermédiaires, afin que l’action commerciale puisse s’exercer en toute sécurité.

Il n’est pas illusoire d’espérer y parvenir. Le professionnalisme y gagne forcément.

A condition que les normes applicables soient déterminées de manière un peu plus exhaustive et, dans leurs lignes essentielles, pour des durées connues et fixées.

Les obligations d’information et de conseil mériteraient un travail d’harmonisation et de clarification.

La loi sur la consommation n’a même pas effleuré cette idée.

Gageons pourtant qu’une plus grande précision du droit bancaire et financier procurerait aux clients comme aux professionnels, l’apaisement et la confiance nécessaires à leurs relations.

Laurent Denis
Juriste - Droit bancaire et financier
www.isfi.fr
www.droit-distribution-bancaire.fr

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