Joueur de foot et liberté d’expression : attention aux abus (Cass. Soc. 28 avril 2011 n° 10-30107).

Par Arnaux Pilloix, Avocat

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Explorer : # liberté d'expression # faute grave # contrat à durée déterminée (cdd) # obligation de loyauté

La qualification de faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifiant une rupture anticipée du CDD dépend de l’appréciation de la frontière existant entre l’obligation de loyauté et la liberté d’expression dont dispose le joueur. Cette frontière déterminera s’il y a abus, ou non.

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Un joueur de football professionnel et son Club sont liés par un CDD.

Sauf accord entre les parties, la rupture anticipée d’un CDD ne peut être fondée que par un cas de force majeure (extrêmement rare) ou par une faute grave (L.1243-1 CT).

La qualification de faute grave est primordiale pour justifier une telle rupture car, dans le cas contraire, cette-dernière sera qualifiée d’abusive par les Juges prud’homaux. A ce titre, le salarié pourra notamment obtenir le versement de dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat (L.1243-4 CT).

La notion de faute grave peut être appréciée au regard de l’obligation de loyauté à laquelle est tenu le salarié envers son employeur. Cette obligation devra alors être mise en balance avec l’étendue de la liberté d’expression dont jouit le salarié.

Cette question de la justification de la rupture anticipée d’un CDD conclu entre un joueur et son Club a été posée à la chambre sociale de la Cour de cassation le 28 avril 2011.

Dans ce cas d’espèce, le joueur (Juan Luis MONTERO) avait conclu un CDD avec l’ ESTAC (club de Troyes évoluant en Ligue 1 au moment des faits), pour une durée d’un an à compter du 1er juillet 2006.

Le Club a notifié au salarié la rupture de son CDD pour faute grave avant le terme du contrat, considérant que l’attitude constante d’opposition du salarié à son entraîneur (Jean Marc FURLAN), manifestée publiquement par le biais des médias, ainsi que la soi-disant inaptitude professionnelle du salarié pour jouer en ligue 1 suffisaient à caractériser une faute grave de sa part. Selon l’employeur, le joueur a manqué à son obligation de loyauté envers l’entraîneur, ce qui rend impossible son maintien au sein du Club et justifie une faute grave.

Les juges du fond ont estimé que la rupture dudit contrat était abusive au regard des griefs reprochés au salarié, insuffisants pour admettre la qualification de faute grave. Ils ont alors condamné le Club à payer 240.000€ de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier.

Le Club a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond (CA de Reims, 25 nov. 2009) en précisant la frontière entre la liberté d’expression dont est titulaire le salarié et son obligation de loyauté au visa de l’article L.1121-1 du Code du travail :

« Attendu que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées »

Et, selon la Cour, « les propos reprochés s’inscrivant dans une polémique médiatique avec l’employeur, la Cour d’appel a pu décider que le salarié n’avait pas abusé de sa liberté d’expression ».

Dès lors, le joueur a légalement usé de sa liberté d’expression dans la limite de son obligation de loyauté. L’entraîneur lui reprochant son inaptitude professionnelle, infondée en l’absence d’un certificat du médecin du travail la constatant, le salarié était en droit de répondre à ces accusations publiques.

La Cour précise ensuite que « sauf mauvaise foi, le dépôt d’une plainte, qui constitue l’exercice d’un droit, ne peut être constitutif d’une faute justifiant la rupture du contrat de travail ».

Cependant, la Cour revoit à la baisse l’indemnisation allouée au salarié car les juges du fond ne peuvent allouer des dommages et intérêts distincts que s’ils caractérisent un comportement fautif de l’employeur causant un préjudice distinct de la rupture, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le salarié ne pourra donc prétendre qu’aux dommages et intérêts prévus par l’article L.1243-4 CT.

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