Dans cette affaire, les requérants sont des ressortissants autrichiens formant un couple du même sexe qui réclame le droit de se marier.
Ils formulent tout d’abord cette demande devant la mairie de Vienne au mois de septembre 2002.
Face au refus de la mairie, ils saisissent le chef du gouvernement provincial de Vienne qui confirme la position de la mairie (avril 2003).
Les requérants forment alors un recours constitutionnel qu’ils fondent sur la méconnaissance de leur droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le principe de non discrimination tels que consacrés par les articles de la CEDH. La Cour constitutionnelle rejette leur recours en décembre 2003, avec pour motif principal que ni la Constitution autrichienne, ni la Convention européenne des droits de l’homme n’exigent l’extension de la notion de mariage.
Les requérants décident de porter leur affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme au moyen d’une requête introduite le 5 août 2004.
Cette requête est fondée sur l’argumentation suivante :
L’article 12 de la Convention consacre le droit au mariage (I) et les dispositions combinées des articles 8 et 14 prohibent toute forme de discrimination au titre du droit à la vie familiale (II) ; le refus de reconnaître aux personnes de même sexe le droit de se marier doit donc être considéré comme constitutif d’une violation des droits et libertés garantis par la Convention.
Sur l’argumentation tirée du premier moyen :
I) L’article 12 de la Convention EDH :
L’article 12 dispose : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »
1) Argumentation des requérants
Le principal argument des requérants afin de voir reconnaître leur droit de se
marier va être d’affirmer que rien ne s’oppose, dans la lettre de l’article 12, à ce que le mariage soit conclu entre des personnes du même sexe.
Ils rappellent également à la Cour, que la Convention est un instrument vivant qui doit-être lue à la lumière des conditions présentes.
2) Raisonnement de la Cour
Pour les juges européens, on ne peut ignorer le contexte historique dans
lequel la Convention a été adopté dans les années 1950. A cette période le mariage était clairement et exclusivement compris comme une institution visant à l’union d’un homme et d’une femme.
La Cour concède aux requérants que rien dans l’article 12 n’interdit le mariage de personne de même sexe, mais elle souligne avec force que rien n’oblige non plus les États à légiférer dans ce sens. (Absence d’obligation pesant sur les États).
De plus, et surtout aucun consensus parmi les États membres, ne se dégage sur cette question du mariage homosexuel ; c’est ainsi que seuls six pays sur quarante sept États membres reconnaissent le mariage entre personne du même sexe.
La Cour affirme en outre que « les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier les besoins sociaux en la matière et pour y répondre. »
Il échet ainsi de tout d’abord constater que la Cour reconnaît une large marge d’appréciation aux États pour réglementer les matières de nature « sociétale ».
Il échet ensuite et surtout de noter que cette marge d’appréciation est d’autant plus grande que les questions à réglementer par les États membres ne font l’objet d’aucun consensus entre ces derniers.
Cet arrêt - en rappelant ces principes – et en constatant l’absence actuelle de tout consensus sur ces questions de mariage de personne de même sexe invite ainsi in fine toutes les personnes désireuses de défendre un modèle donné de société, à travailler afin de faire prévaloir ou reconnaître ce modèle au sein de son État membre.
Autrement posé, et à prendre la Cour européenne au mot, rien ne pourra contraindre les États à reconnaître le droit des mariages homosexuels tant qu’existera au sein des États membres des courants d’opinion assez ancrés et assez convaincants pour considérer que cette forme d’union doit être réservée aux couples hétérosexuels.
Il résulte de cette méthode d’analyse que la question de l’existence ou de l’absence de consensus s’appuie de manière numérique, c’est-à-dire tout de même de manière assez objective.
Les requérants invoquaient dans le même temps une violation de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux, combiné à l’article 8 du même texte.
II. L’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention EDH
L’article 14 dispose que : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
L’article 8 dispose pour sa part que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Il convient de préciser, afin de mieux saisir la situation d’espèce, qu’une législation est entrée en vigueur en Autriche au 1er janvier 2010 (« loi sur le concubinage officiel ») ; elle vise à offrir aux couples de même sexe un mécanisme formel permettant de reconnaître leurs relations et de donner juridiquement effet à celles-ci, même s’il ne s’agit pas d’un mariage à proprement parler.
1) Argumentation des requérants
Les requérants développent sur ce point leur argument principal ; à savoir que les couples autrichiens de même sexe sont victimes d’une discrimination à double tenant :
en ce qu’ils n’ont pas accès au mariage ;
en ce qu’il n’y a pas de moyen légal d’être reconnu juridiquement ; situation qui a toutefois changé depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2010 de la loi sur le « concubinage officiel » ; ce dernier grief étant ainsi devenu sans objet en cours de procédure en l’état de l’adoption de la loi précitée.
2) Raisonnement de la Cour
En premier lieu, la Cour reconnaît sans surprise que la demande des requérants entre bien dans le champ d’application des dispositions combinées des articles 14 et 8 de la Convention ; la situation des couples de même sexe relevant de la notion de « vie familiale » (Jurisprudence constante de la Cour depuis un arrêt de décembre 2001 Mata Estevez v. Spain).
La Cour réaffirme ensuite les conditions requises pour que soit reconnue l’existence d’une discrimination :
Il faut une différence de traitement entre personnes relevant d’une situation similaire.
Cette différence ne doit pouvoir être justifiée par des considérations objectives et raisonnables, visant la poursuite d’un but légitime.
La Cour rappelle également sa position en matière de discriminations afférentes à l’orientation sexuelle des personnes ; cette position étant comprise dans les deux limites suivantes :
D’une première part une très grande attention portée sur d’éventuelles différences ainsi que sur leurs justifications s’il s’agit de traitements individuels.
D’une seconde part, une marge d’appréciation et d’action plus importante est reconnue aux États s’agissant de règles d’ordre général ; cette marge d’appréciation varie selon, les circonstances, le sujet du problème et le contexte de l’affaire en cause. (§ 97 et 98)
La Cour insiste sur l’importance de considérer la Convention comme un ensemble ; il existe une véritable harmonie entre ses articles.
Il s’agit là d’une position habituelle de la Cour.
Ainsi, et en conséquence de ce principe, dès lors que, comme précédemment indiqué l’article 12 de la Convention EDH n’impose pas l’obligation aux États d’avoir à garantir aux couples de même sexe l’accès au mariage, les articles 14 et 8 ne peuvent pas être raisonnablement lus comme imposant cette obligation.
Nonobstant ceci, la Cour appuie quand même le bien fondé du grief tiré de l’appréciation combinée des articles 8 et 14 de la Convention au cas d’espèce.
C’est ainsi, une nouvelle fois, que la juridiction européenne se rapporte à ce qui se fait dans les autres États membres, en matière de législation, pour apprécier de la situation de l’Autriche ; preuve s’il en est, que la juridiction européenne tient bien compte des règlementations nationales.
En l’état de cette absence de consensus, l’État membre en cause n’a donc pas outrepassé la marge d’appréciation qui lui est reconnue en cette matière par le texte de la Convention.
On ne peut donc absolument pas affirmer que la Cour s’oppose au mariage entre personne du même sexe, il est plus juste de dire que la Cour, en l’état actuel des choses - faute de consensus sur ce point au sein des États membres - n’impose pas cette obligation aux États qui ne l’ont pas encore reconnu.
Au final, cet arrêt qui – s’il constitue un échec des partisans du mariage entre personnes de même sexe, ne constitue pas pour autant une victoire de ceux pour qui le mariage doit être réservé à une union entre un homme et une femme - prend simplement acte de l’absence de consensus dans une matière et sur un sujet pour lesquels les États membres disposent d’une large marge d’appréciation.
Ceux qui pensent que le mariage ne peut être consacré qu’entre un homme et une femme, comme ceux qui pensent que le mariage doit pouvoir être souscrit entre deux personnes du même sexe, doivent donc travailler, chacun en ce qui les concerne, à rendre plus visible le consensus qu’ils aspirent à promouvoir en répondant notamment aux questions essentielles suivantes :
1° La sexualité est-elle exclusivement une affaire de choix sans que la nature n’intervienne dans celle-ci ?
2° La vie familiale peut-elle de manière raisonnable s’affranchir de toute notion de conjugalité entre féminin et masculin ?
3° À quoi doit ressembler la société qu’ils veulent promouvoir ?
Trois questions fondamentalement politiques !