Précisions sur la notion de détenteur de déchets.

Par Antoine Louche, Avocat.

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Explorer : # déchets # responsabilité environnementale # liquidation judiciaire # directive européenne

Sont responsables des déchets les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets. En leur absence, le propriétaire du terrain sur lequel ces derniers sont déposés peut être regardé comme leur détenteur et ainsi être assujetti à l’obligation de les éliminer.

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En l’espèce, une imprimerie, relevant de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) avait été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Melun.

Une partie des salariés de cette entreprise a toutefois décidé d’occuper le site et de continuer d’exploiter ce dernier, sans autorisation, jusqu’en 1994.

Dès le 16 octobre 1991, le Préfet de Seine-et-Marne avait rappelé à l’exploitant autorisé, représenté par le liquidateur judiciaire, son obligation de remettre le site en état en lui prescrivant diverses mesures à cette fin.

Une mise en demeure de procéder à cette remise en état a été adressée par arrêté préfectoral du 23 janvier 1992.

Par un second arrêté du 19 octobre 1994, ledit Préfet a également mis en demeure la société Unibail-Rodamco, entreprise propriétaire d’une partie du site depuis 1994 et liée à l’exploitant par un contrat de crédit-bail depuis le 1er janvier 1990, de réaliser les opérations de remise en état dans un délai de deux mois et en outre de déterminer l’éventuelle nécessité de procéder à des travaux de dépollution des lieux.

Un troisième arrêté préfectoral en date du 26 juillet 2001, a mis en demeure cette société de respecter ces prescriptions.

Cette société a formé un recours indemnitaire à l’encontre de l’Etat.

La société estimait qu’elle avait subi des préjudices en raison des fautes commises par le Préfet et notamment le fait que ce dernier l’avait mise en demeure de remettre en état le site alors que cette obligation pesait sur le liquidateur judiciaire de l’imprimerie.

Autrement dit, selon la société requérante, l’obligation de procéder à la remise en état de site pesait sur l’ancien exploitant et non sur elle.

Par jugement en date du 16 décembre 2010, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Cette société a interjeté appel de ce jugement qui a été confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 11 mai 2002.

Elle a alors formé un pourvoi en cassation.

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions sur la notion de détenteur de déchets, et notamment en présence d’une liquidation judiciaire.

La Haute Assemblée a rapidement et tout d’abord écarté les moyens tirés de l’erreur de droit et de dénaturation des faits soulevés par la société requérante, ainsi qu’un nouveau moyen soulevé pour la première fois devant elle et qui ne constituait pas un moyen d’ordre public.

Ce dernier n’avait donc pas à être examiné d’office par les juges d’appel.

Il convient toutefois de rappeler l’état et l’évolution du droit en cette matière avant d’étudier plus en détail les apports de cette nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat.

C’est la Directive n° 75/442/CEE du 15/07/75 relative aux déchets qui a institué de telles obligations en matière de police environnementale et de traitement des déchets.

Les dispositions de cette directive ont fait l’objet d’interprétation de la part des juridictions européennes et nationales.

Ainsi, par un arrêt de 2008 la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), les juges luxembourgeois ont notamment indiqué que la directive « déchets » prévoit, conformément au principe du pollueur-payeur, que le coût de remise en état du site doit être supporté par les « détenteurs antérieurs » ou par le « producteur du produit générateur de déchets ». [1].

Le Conseil d’Etat a également donné une interprétation à cette directive en 2009, en indiquant que le responsable, au sens des dispositions de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, tel qu’interprété à la lumière des dispositions de la directive du 15 juillet 1975, s’entend des seuls détenteurs et producteurs des déchets [2].

En application de ce principe, les juges du Palais Royal avaient notamment considéré que la société Total Raffinage Distribution ne pouvait être tenue de procéder aux opérations matérielles de dépollution dans la mesure où au moment du naufrage du pétrolier « l’Erika » le 12 décembre 1999, cette dernière n’était ni possesseur, ni vendeur de la cargaison, ni propriétaire ou affréteur du navire qui la transportait.

Il convient en outre de souligner sur ce point que les deux ordres de juridiction retiennent désormais une définition analogue de propriétaire de déchets.

En effet, en 2012 la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a notamment indiqué que « (…) on entend par «  (...) détenteur » le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets « en sa possession (…)  ».

Le juge judiciaire a précisé en outre qu’aux termes des dispositions de l’article L. 541-2 du code de l’environnement ledit détenteur de déchet était «  (…) la personne qui a les déchets en sa possession, sans qu’il puisse être dérogé à cette qualification pour une quelconque raison et que le propriétaire d’un terrain sur lequel se trouvent des déchets en est donc le détenteur dès lors qu’il jouit des attributs de son droit de propriété, lesquels lui confèrent la possession desdits déchets (…) » [3].

Notons également que cette même année la Cour administrative d’appel de Lyon a également eu l’occasion d’indiquer que le responsable des déchets s’entend des seuls détenteurs et producteurs des déchets, et non des anciens détenteurs des déchets [4].

Dans l’affaire commentée, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé que sont responsables des déchets, au sens des dispositions de la loi du 15 juillet 1975 et des textes ultérieurs, les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets [5].

La Haute Assemblée a poursuivi en rappelant également qu’en cas d’absence de ces derniers, le propriétaire du terrain sur lequel ont été déposés des déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du Code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets [6].

Les juges du Palais Royal ont toutefois précisé cette hypothèse.

Ainsi, le propriétaire du terrain où sont déposés des déchets peut être tenu d’éliminer ces derniers «  (…) notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ou s’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations (…) ».

Les juges seront donc tenus de porter une analyse objective et in concreto de chaque situation pour déterminer si le propriétaire est de bonne foi d’une part et si la personne qui a exercé l’activité polluante n’est pas en capacité de procéder à l’élimination des déchets qu’elle a produits.

L’office du juge a donc été précisé et affiné.

Le contrôle de ce dernier est donc entier, cela est d’autant plus cohérent qu’en matière d’ICPE, le juge administratif est un juge de plein contentieux, aux pouvoirs étendus et entiers [7].

Tirant les conséquences du principe qu’il venait de dégager, le Conseil d’Etat a censuré pour erreur de droit l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris.

En effet, les juges d’appel s’étaient fondés sur la seule qualité de propriétaire des terrains pollués pour juger que la société Unibail-Rodamco était responsable de l’élimination de ces déchets.

Cet arrêt a donc été annulé et l’affaire renvoyée devant ladite Cour d’appel autrement composée.

Références : CE, 24 octobre 2014, Société Unibail-Rodamco, n°361231 ; CJCE, 24 juin 2008, n°C-188/07 ; CE, 10 avril 2009, Commune de Batz-sur-mer, n°304803 ; Civ3, 11 juillet 2012, n°11-10478 ; CAA Lyon, 19 juin 2012, n° 11LY02236 ; CE, 26 juillet 2011, Commune de palais-sur-vienne, n°328651 ; CE, 25 septembre 2013, n°358923

Antoine Louche,
Avocat associé chez Altius Avocats
www.altiusavocats.fr

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Notes de l'article:

[1CJCE, 24 juin 2008, n°C-188/07

[2CE, 10 avril 2009, Commune de Batz-sur-mer, n°304803

[3Civ3, 11 juillet 2012, n°11-10478

[4CAA Lyon, 19 juin 2012, n°11LY02236

[5voir notamment en ce sens CE, 26 juillet 2011, Commune de palais-sur-vienne, n°328651 également dénommé « Wattelez II »

[6voir notamment en ce sens pour un exemple récent CE, 25 septembre 2013, n°358923

[7voir notamment en ce sens pour un exemple récent CE, 22 septembre 2014, SIETOM, n°367889

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