Responsabilité du fait des médicaments défecteux.

Par Victoire de Bary, Avocat

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Explorer : # responsabilité des produits # médicament défectueux # dommages et indemnisation # exonération de responsabilité

Les laboratoires pharmaceutiques sont mis en cause en raison des médicaments qu’ils mettent sur le marché, malgré les autorisations de mise sur le marché, de plus en plus fréquemment. Le régime de responsabilité du fait des produits défectueux, par son existence même, exclut l’application d’autres régimes de responsabilité.

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En effet, toute responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondée sur le défaut de sécurité d’un produit est exclue, à l’exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés (Com. 26 mai 2010, Bulletin 2010, IV, n°99).

Par conséquent, la responsabilité délictuelle fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil reste privilégiée, mais en l’absence de faute, la responsabilité du laboratoire pharmaceutique ne pourra être recherchée. La responsabilité pourra alors être recherchée, uniquement, sur le fondement de ce régime applicable aux produits défectueux.

L’article 1386-1 dispose que « le producteur est responsable du dommage résultant d’une atteinte à la personne, causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».

L’article 1386-6 indique que sont assimilées au producteur : le fabricant du produit ou de l’un de ses composants, celui qui appose sa marque sur le produit, ou l’importateur.

Il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Il n’est possible de s’en exonérer qu’en prouvant l’existence d’une des causes prévue par le code civil, et ce dès lors que la victime aura prouvé le défaut, le dommage et le lien entre les deux.

a- Sur la recevabilité de l’action

En l’absence de faute, la responsabilité du producteur se prescrit en 10 ans à compter de la mise en circulation du produit qui a causé le dommage, c’est-à-dire à compter de la première vente.

Il est également prévu que l’action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur.

Il faut donc être attentif aux délais et engager une action avant l’expiration de ce délai de 3 ans ou user d’une cause d’interruption ou de suspension de la prescription.

b- Sur l’existence d’un défaut du produit

Pour établir le défaut d’un produit, le code civil prévoit qu’est considéré comme défectueux le produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.

Pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

A propos d’un médicament, on pourra rappeler que le principe même du médicament est de soigner telle ou telle pathologie dont souffre le patient auquel il est prescrit.

A cet égard, la lecture de la définition du médicament, telle qu’elle résulte de l’article L5111-1 du code de la santé publique est indiscutable :

« On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ».

Si le médicament prescrit a moins de propriétés curatives que d’effets secondaires ou si son principe d’action est méconnu, le défaut du produit sera difficilement contestable.

c- Sur le dommage et le lien de causalité :

Le régime de responsabilité du fait des produits défectueux prévoit que toutes les atteintes à la personne peuvent être réparées.

En effet, l’article 1386-2 du code civil dispose que :

« Les dispositions du présent titre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ».

D’après Philippe Le Tourneau, dans le régime de responsabilité du fait des produits défectueux, tout préjudice est indemnisable « qu’il soit patrimonial ou extrapatrimonial, économique ou moral ; et encore qu’il soit direct comme indirect, tels le préjudice d’affection ou la perte de subsides » (voir Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2010/2011, n°8423).

Par conséquent, une atteinte à l’intégrité psychologique et psychique est indemnisable sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Les victimes par ricochet peuvent également, en principe, être indemnisées.

Pour ce qui est du lien de causalité, la jurisprudence se contente qu’il résulte de « présomptions graves, précises et concordantes » (voir Civ. 1ère, 22 mai 2008, Bull. I, n°149).

d- Sur les causes exonératoires

Les articles 1386-10 et 1386-14 du code civil prévoient que le fabricant ne peut pas invoquer – pour diminuer ou dégager sa responsabilité – le fait que le produit a été fabriqué dans le respect des normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative, ni le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.

En revanche, l’article 1386-11 du code civil prévoit un certain nombre de causes exonératoires pour le producteur qui peut ainsi être dégagé de toute responsabilité s’il prouve :

1. Qu’il n’a pas mis le produit en circulation ;

2. Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3. Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;

4. Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ;

5. Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.

Pour sa part, le producteur d’une partie composante sera exonéré s’il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. Cette exonération pour le fabricant d’une partie composante reconnaît aux instructions du producteur du produit global la valeur des règles impératives qui dédouanerait ce producteur de sa responsabilité.

La cause exonératoire qui a fait couler le plus d’encre est celle qui tient à l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, et qui n’aurait pas permis de déceler l’existence du défaut.

Face aux multiples mises en cause des laboratoires pharmaceutiques pour la mise sur le marché de médicaments aux effets secondaires dangereux, qu’en est-il précisément de l’interprétation de ce point.

L’interprétation de ce que recouvre la notion de "connaissances scientifiques et techniques" résulte d’un arrêt de la CJCE du 29 mai 1997 (n°C300-95, §26 et suivants) dont il ressort – à propos des dispositions de la directive transposées par les articles 1386-1 et suivants du code civil – que :

« D’abord, ainsi que l’observe à juste titre l’avocat général au point 20 de ses conclusions, cette disposition, en se référant aux « connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit », ne vise pas spécifiquement la pratique et les normes de sécurité en usage dans le secteur industriel dans lequel opère le producteur, mais, sans aucune restriction, l’état des connaissances scientifiques et techniques, en ce compris son niveau le plus avancé, tel qu’il existait au moment de la mise en circulation du produit en cause.

Ensuite, la clause exonératoire litigieuse ne prend pas en considération l’état des connaissances dont le producteur en cause était ou pouvait être concrètement ou subjectivement informé, mais l’état objectif des connaissances scientifiques et techniques dont le producteur est présumé être informé.

Toutefois, le libellé de l’article 7, sous e), implique nécessairement que les connaissances scientifiques et techniques pertinentes aient été accessibles au moment de la mise en circulation du produit en cause.
Il découle de ce qui précède que, pour pouvoir se libérer de sa responsabilité, (…), le producteur d’un produit défectueux doit établir que l’état objectif des connaissances techniques et scientifiques en ce compris son niveau le plus avancé, au moment de la mise en circulation du produit en cause, ne permettait pas de déceler le défaut de celui-ci. Encore faut-il, pour pouvoir être valablement être opposées au producteur, que les connaissances scientifiques et techniques pertinentes aient été accessibles au moment de la mise en circulation du produit en cause ».

Dans ses conclusions, l’avocat général avait en effet relevé avec pertinence que « il est sans importance, aux fins de l’exclusion de la responsabilité du fabricant, que dans un secteur de production déterminé personne ne prenne les mesures nécessaires pour éliminer le défaut ou pour en prévenir l’apparition, lorsque cela est possible sur la base des connaissances disponibles. Sont également à considérer comme étrangers au domaine d’application de l’article 7, sous e), les éléments liés aux aspects pratiques et économiques des mesures propres à éliminer le défaut du produit. ».

Il sera donc difficile pour le Laboratoire de s’exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière l’état des connaissances scientifiques au moment de la mise en circulation d’autant que chaque vente d’une boite de médicament est considérée comme une mise en circulation.

Il reste toutefois important de consulter les comptes rendus de pharmacovigilance, de se renseigner sur les propriétés pharmacologiques du médicament et de tous ceux qui en sont proches et sur l’état des connaissances scientifiques à l’époque de la vente du médicament en cause lorsque celle-ci est ancienne.

Au total, et bien que la responsabilité du fait des produits défectueux soit une responsabilité de plein droit, les conditions de sa mise en œuvre sont très précises. En témoignent les 18 articles du code consacrés à ce régime.

Victoire de BARY
Avocat Associé
www.sherpa-avocats.com

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