En ce début d’année 2023, quelle interrogation commune aux brevetés, auteurs, créateurs, illustrateurs, photographes et sans doute à d’autres titulaires de droits privatifs de propriété industrielle ou intellectuelle ? Un anglicisme l’opt-out finalement préférable à renonciation [1].
1°) Les utilisateurs des brevetés tout d’abord.
En juin 2023 débutera l’activité juridictionnelle de la Juridiction Unifiée du Brevet, dont la division centrale du Tribunal de première instance est installée à Paris.
1-1°) La compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet a vocation à s’appliquer à différentes titres ou demandes de titres [2] :
Aux brevets européens à effet unitaire,
Aux certificats complémentaires de protection,
Aux brevets européens en vigueur,
A toute demande de brevet européen.
Pour ces différents titres de propriété industrielle, la Juridiction Unifiée du brevet disposera d’une compétence exclusive pour certaines actions dont notamment les actions en contrefaçon, et les actions en nullité [3].
1-2°) La dérogation la compétence exclusive : l’opt-out sous réserve peut-être de l’opt-in.
Toutefois les utilisateurs du système des brevets européens hors brevets à effet unitaire bénéficient d’un régime transitoire de sept ans pendant lesquels ils peuvent engager de telles actions devant les juridictions nationales, sous réserve qu’ils notifient à la Juridiction Unifiée du Brevet leur demande de dérogation à sa compétence exclusive [4]. C’est l’opt-out.
Mais les règles de procédures ont prévu que cette dérogation puisse ne pas être définitive [5], par l’opt-in, le titulaire permettrait que son titre de propriété industrielle soit à nouveau soumis à la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du brevet.
1-3°) Quel coût de mise en œuvre de l’opt-out ?
Pour les usagers des brevets, il ne reste que quelque mois pour prendre la décision, d’accepter la compétence exclusive de la Juridiction unifiée du brevet ou d’y renoncer (voir article L’année de la Juridiction Unifiée du Brevet et du brevet européen unitaire).
Et cette décision devra tenir compte en particulier du coût de sa mise en œuvre. En effet, le nombre de titres concernés atteint des chiffres impressionnants.
Rappelons que les annuités peuvent être payées pendant 20 ans. Une entreprise qui dépose chaque année 200 demandes de brevets, et qui maintient les brevets européens correspondants sur 6 Etats (Bien entendu, le brevet européen n’est pas délivré la même année que le dépôt de la demande de base mais il s’agit ici d’une simulation tenant compte des effets cumulés), devrait traiter après 10 ans de ce rythme 12 000 titres. A se reporter au top 10 des entreprises françaises déposantes, toutes dépassent les 200 brevets de base par an, certaines en déposant plus de mille [6] !
En 2021, à l’Office Européen des Brevets ont été déposées 188 600 demandes de brevets, même si pour l’année 2017, il n’y a en avait eu que 166 594, cela donne une idée du nombre de demandes déposées dans les 10 dernières années, auquel sont à ajouter parmi les titres concernés les brevets délivrés, - 138 000 pour la seule année 2019 -, nombre qu’il faut multiplier par autant de pays où les parties nationales sont en vigueur. Sur les 25 Etats membres de l’Union européenne qui ont signé l’accord international sur la Juridiction Unifiée du Brevet, seuls 17 l’ont déjà ratifié, ce qui devrait à la marge minorer le nombre total de parties nationales de brevet européens concernés.
Le vertige des grands nombres saisit les professionnels des brevets à l’idée que la notification de la dérogation devrait être faite au greffe de la Juridiction Unifiée du Brevet manuellement.
De tels coûts méritent-t-il d’être engagés, car la Juridiction Unifiée du Brevet pourra toujours être saisie sur d’autres fondements que son exclusivité ?
L’opt-out se traduira aussi par un désavantage concurrentiel notable puisque le titulaire des brevets européens risque de voir paralysée sa tentative de saisir la Juridiction unifiée du brevet pour obtenir rapidement une seule sanction de la contrefaçon sur les différents pays où il détient les titres correspondants.
Mais ce vertige n’est rien à côté de ce celui qui ébranle le monde de la création littéraire et artistique en ce début d’année 2023.
2°) La création littéraire et artistique confrontée au vertige des nouveaux algorithmes génératifs.
En quelques mois se sont multipliés les applications dites d’intelligence artificielle à la disposition du grand public qui génèrent des textes beaucoup plus élaborés que ce que les machines avaient produites jusqu’ici, et qui produisent des images en quelques secondes à partir d’un texte descriptif en langage usuel rédigé par l’utilisateur depuis son ordinateur. Chacun pense à ChatGPT, le plus connu en quelques semaines. La facilité d’accès à ces nouveaux outils et leurs résultats déconcertent en particulier les titulaires de droits des arts graphiques d’autant que ces outils sont supposés utiliser leurs propres créations.
2-1°) L’opt-out ici : le blocage des fouilles de textes et de données.
Face à leurs œuvres exploités par des fouilles de textes et de données (Text and data Mining), c’est-à-dire « toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations » [7], les titulaires de droits songent aussi à l’opt-out.
2-2°) Une renonciation chimérique.
Or à la différence du système des brevets qui rattache chaque brevet à un office désigné, rien de tel n’existe pour les œuvres, il n’y a donc pas de lieu unique où l’existence d’un tel opt-out puisse être vérifiée.
Si la directive de 2019 prévoit en faveur des titulaires de droit la possibilité d’un renoncement à la fouille de textes et de données « par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne » [8], la multiplicité des supports numériques ne rend-t-elle pas illusoire une telle solution ? En effet l’œuvre peut être reproduite par ailleurs et diffusée sans cette restriction pour être intégrée dans la masse documentaire de ces nouveaux outils.
Quant à envisager que le titulaire de l’œuvre notifie manuellement son opt-out à chaque société exploitante de tels outils, le vertige saisit le praticien au regard du nombre d’œuvres concernées et de la possibilité technique ou non de vérifier par avance si l’œuvre a été effectivement intégrée et sous quelles strates à la masse de données alimentant ces nouveaux algorithmes génératifs.
Notons enfin que rien n’est dit sur les effets d’un tel retrait sur les produits ultérieurement générés par ces nouvelles générations d’IA [9].
Là aussi, le choix de l’opt-out nécessite d’être mûrement réfléchi.
Ne serait-il pas préférable de s’engager dans la maîtrise de ces nouveaux outils dont la généralisation sera encore plus rapide que celle de l’emploi des moteurs de recherche sur Internet comme Google ?