Cession de participation substantielle : l’article 244 bis B dans la tourmente.

Par Alexandre Benslima, Avocat.

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Explorer : # fiscalité internationale # plus-values de cession # liberté de circulation des capitaux # restitution d'impôt

Deux décisions récentes, l’une du Conseil d’Etat, l’autre de la Cour Administrative d’appel de Versailles placent dans la tourmente le célèbre article 244 bis B du Code général des Impôts et ouvrent la voie à un remboursement total du prélèvement opéré sur les plus-values de cession de participation substantielles de sociétés françaises réalisées par des sociétés étrangères.

CE 14-10-2020, n°421524 AVM International Holding
CAA Versailles 20-10-2020 n°18VE03012, Sté Runa Capital Fund I LP.

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L’article 244 bis B du CGI prévoit un prélèvement applicable aux sociétés non-résidentes de France sur les plus-values de cession de droits sociaux de sociétés françaises qu’elles réalisent, sous réserve qu’elles aient détenu, à un moment quelconque au cours des 5 dernières années précédant la cession, au moins 25% du capital de la société française.

A cet égard, deux précisions doivent être apportées :
- Le prélèvement prévu n’est applicable qu’aux sociétés autres que celles qui sont à prépondérance immobilière, dont le sort est prévu par l’article 244 bis A du CGI ;
- Ce prélèvement ne s’appliquerait en pratique que si la convention fiscale bilatérale prévue avec la société étrangère qui cède sa participation permet une imposition en France, ce qui est le cas de nombreuses conventions en pratique (Espagne, Italie notamment).

I. La voie ouverte pour un remboursement intégral du prélèvement supporté par les sociétés européennes.

Pour les plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2018, le prélèvement est applicable au taux normal de l’impôt sur les sociétés lorsque le cédant est une personne morale quelle qu’en soit la forme, et n’est pas domicilié dans un Etat ou territoire non coopératif (soit entre 28 et 31% en 2020 selon les caractéristiques de la société cédante).

On sait également que les sociétés européennes peuvent, en vertu des principes de liberté d’établissement et de liberté de circulation des capitaux en vigueur au sein de l’Union Européenne, obtenir par voie de réclamation, pour les plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2006, la restitution de la part du prélèvement qui excède l’impôt théorique sur les sociétés dont elles auraient été redevables si elles avaient été une société résidente de France.

Les sociétés françaises étant imposées à l’impôt sur les sociétés pour les plus-values de cession de titres de participation sur 12% seulement de la plus-value réalisée (sous réserve de détenir 5% du capital de la société dont les titres sont cédés depuis au moins deux ans), soit un taux effectif d’impôt de près de 4%, la restitution du prélèvement pour une société européenne est donc limitée aujourd’hui à environ 27% de la plus-value réalisée (31% de prélèvement au maximum Vs. 4% d’imposition pour les sociétés françaises).

Rappelons que cette possibilité de restitution partielle a été prévue par l’administration dans sa doctrine afin de palier à la non-conformité de l’article 244 bis B aux principes du droit de l’Union Européenne, notamment les principes de liberté d’établissement et de liberté de circulation des capitaux.

C’est sur ce point que l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 octobre 2020 apporte un éclairage nouveau pour les sociétés ayant supporté un tel prélèvement puisqu’il ouvre la voie à une restitution désormais intégrale du prélèvement.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé que l’article 244 bis B n’était pas conforme aux principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux, affirme, de façon classique, que l’administration ne peut fonder une imposition sur sa propre doctrine, à défaut de base légale pour ce faire.

En effet, dès lors que l’article 244 bis B est, en l’état, contraire aux règles européennes, la seule base sur laquelle l’administration refusait la restitution intégrale du prélèvement était sa propre doctrine administrative, ce qu’elle ne peut faire puisqu’elle ne peut fonder une imposition sur sa seule doctrine.

L’article 244 bis B, seule base légale au prélèvement en cause étant contraire au droit de l’Union, l’Etat ne peut palier aux « lacunes européennes » de cet article par voie réglementaire, il est obligé de le faire par la voie législative, en modifiant l’article 244 bis B lui-même.

Dès lors, la société italienne en cause dans cette affaire a pu obtenir la restitution intégrale du prélèvement.

D’un côté, il est permis de s’interroger sur la discrimination à rebours que créé cette décision, vis-à-vis des sociétés résidentes de France qui seraient moins bien traitées que celles de l’Union Européenne puisqu’elles supportent sur ce type de plus-value sur titres de participation un taux effectif d’impôt sur les sociétés de près de 4%.

De l’autre côté, il est satisfaisant de noter que le Conseil d’Etat, fidèle aux principes du droit fiscal, rappelle que la non-conformité d’une loi au droit communautaire ne peut être corrigée par la voie réglementaire.

Pour l’avenir, le législateur devra certainement modifier l’article 244 bis B afin que celui-ci devienne enfin conforme au droit communautaire, en insérant, par exemple, les dispositions relatives à la restitution partielle du prélèvement au sein-même du texte.

Dans cette attente, les sociétés européennes, dont la convention fiscale permet l’imposition des participations substantielles en France (Italie, Espagne notamment) qui auraient supporté ce prélèvement depuis 2018 ont tout intérêt à introduire une réclamation contentieuse auprès de l’administration fiscale afin de demander le remboursement intégral du prélèvement supporté, et non plus seulement limité à 27% de la plus-value au maximum.

II. Une lueur d’espoir pour les sociétés situées dans un Etat tiers à l’UE ?

Concernant les autres sociétés étrangères, celles situées dans un Etat tiers à l’UE (hors ETNC), la Cour Administrative d’Appel de Versailles vient également de rendre un intéressant arrêt dans lequel elle fait droit à la demande de restitution intégrale du prélèvement de l’article 244 bis B d’une société située aux Iles Caïmans sur le même fondement : une atteinte à la liberté de circulation des capitaux.

En effet, ce principe est le seul qui vaille aussi bien entre Etats membres de l’UE qu’entre les Etats membres et les pays tiers, ce qui signifie qu’une société située dans un Etat tiers pourrait normalement se prévaloir de ce principe afin de demander, à l’instar des sociétés européennes, la restitution intégrale du prélèvement sur les plus-values.

La règle n’est cependant pas si simple concernant la liberté de circulation et les pays tiers.

Une clause de gel prévue à l’article 64 du TFUE autorise l’application des restrictions existantes au 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou de l’UE en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs (comme par exemple une prise de participation dans une société française).

La France peut donc continuer à aujourd’hui appliquer des restrictions qui sont contraires à la liberté de circulation des capitaux si et seulement si ces restrictions existaient déjà au 31 décembre 1993.

Concrètement, l’article 244 bis B du CGI conduit la France à réserver un sort moins favorable aux sociétés résidentes d’Etats tiers à l’UE par rapport aux sociétés françaises. En effet, une société tierce à l’UE qui cède une participation substantielle française supporterait un prélèvement de 31% tandis qu’une société française cédant une participation dans une autre société française ne serait imposée qu’à un taux effectif de 4%.

Toutefois, même s’il est jugé contraire au principe de liberté de circulation des capitaux, le 244 bis B du CGI pourrait donc s’appliquer aux sociétés tierces à l’UE s’il est antérieur au 31 décembre 1993 en vertu de la clause de gel du TFUE.

Qu’en est-il ?

La Cour Administrative d’Appel de Versailles répond par la négative, jugeant la clause de gel inapplicable puisque, selon elle, les dispositions incriminantes de l’article 244 bis B sont postérieures au 31 décembre 1993. Elle donne ainsi gain de cause au contribuable.

La Cour affirme que l’article 244 bis B ne vise un prélèvement sur les sociétés de capitaux que depuis la loi du 30 décembre 1993 de finances rectificative pour 1993, rappelant que celle-ci a été publiée au Journal Officiel de la République le 31 décembre 1993, et que son entrée en vigueur n’est intervenue qu’un jour franc après cette publication, soit le 2 janvier 1994.

La clause de gel permettant à la France de continuer à appliquer aux Etats tiers la discrimination (i.e. le prélèvement) prévue par l’article 244 bis B est donc inapplicable, puisque l’instauration du prélèvement envers les sociétés de capitaux n’est entrée en vigueur qu’après le 31 décembre 1993.

Le prélèvement opéré sur la société basée aux Iles Caïmans dans cette affaire doit donc lui être restitué, pour un montant en l’occurrence non négligeable de 872 762 euros.

Il est probable que l’administration forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision amenant le Conseil d’Etat à trancher définitivement la question.

Dans cette attente, bien que s’agissant « seulement » d’un arrêt de Cour administrative d’appel, les sociétés résidentes d’un Etat tiers à l’UE qui auraient supporté ce prélèvement depuis 2018 à raison de la cession de participation substantielles en France ont tout intérêt à introduire immédiatement une réclamation contentieuse auprès de l’administration afin de préserver leurs droits, et ne pas être prescrits en vue d’une décision future du Conseil d’Etat qui donnerait définitivement gain de cause au contribuable.

Alexandre Benslima
Avocat fiscaliste - Associé chez Luma Avocats

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