La réforme du code du travail de 2017 a considérablement recadré pour ne pas dire restreint la capacité des partenaires sociaux à se faire assister dans le cadre de leurs prérogatives. Si la question du cofinancement de certaines expertises a le plus souvent été évoquée pour illustrer cette capacité restreinte, il convient d’observer que la marge de manœuvre offerte aux comités d’établissements pour se saisir des enjeux économiques, financiers et sociaux sur leur périmètre a également été drastiquement réduite.
Jusqu’au passage obligatoire au CSE, effectif depuis le 1er janvier 2020, la jurisprudence permettant à un comité d’établissement de recourir à un expert-comptable afin de l’assister dans le cadre de l’examen annuel des comptes et de la situation de l’établissement était consistante et instaurait la question de l’autonomie du chef d’établissement comme principal élément clé.
Le passage au CSE a rebattu très sérieusement les cartes en limitant le recours à expert-comptable au seul périmètre de la politique sociale sous certaines conditions et sous réserve que l’accord de fonctionnement du CSE (CSE Central en l’occurrence) ne prévoit pas que la compétence relèverait du seul CSE Central.
En l’absence d’accord (ou si l’accord signé par les OSR ne prévoit rien d’autre que la stricte application des textes prévus par les ordonnances) la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi est conduite chaque année au niveau du CSE Central et au niveau des établissements lorsque sont prévues des mesures d’adaptation spécifiques à ces établissements (L.2312-22). Le droit à expert pour un CSE d’établissement trouverait donc à s’appliquer dans le cadre de cette procédure d’information/consultation.
Il est donc à noter que seule la consultation sur la politique sociale, les conditions travail et l’emploi est concernée par cette « mansuétude » : les ordonnances ont ainsi ôté toute capacité à un CSE d’établissement de se saisir des enjeux économiques et financiers via l’appui d’un expert-comptable (sauf meilleur accord).
Le premier point crucial à identifier est donc le contenu de l’accord de fonctionnement. Un enjeu majeur alors que les prochaines élections sont déjà programmées et que nombre d’accords vont être (re)négociés. Les nouvelles règles permettent aux parties de prévoir que le CSE Central est le seul compétent en matière de consultation sur la politique sociale et donc de recours à expert. Dans une telle configuration, la suprématie de l’accord d’entreprise annihilerait toute possibilité de consultation d’un CSE d’établissement et donc de recours à expert-comptable.
La décision de la cour de cassation dans son rendu du 9 mars 2022 confirme cette analyse : le CSE d’établissement est dans l’incapacité de désigner un expert-comptable si l’accord de fonctionnement réserve les consultations au seul CSE Central (Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-19.974 F-B).
Dans la mesure où l’accord de fonctionnement laisserait (tacitement ou non) aux établissements l’opportunité d’être consultés, l’enseignement de l’arrêt du 16 février 2022 permet de clarifier les conditions selon lesquelles l’instance pourrait invoquer son droit à être consultée et de facto lui accorder la capacité de recourir à l’assistance d’un expert-comptable.
La Cour rappelle, que sauf disposition contraire prévue par accord collectif (le fameux accord de fonctionnement), la consultation portant sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi est conduite à la fois au niveau central et au niveau des établissements lorsque sont prévues des mesures d’adaptation spécifiques au sein de ces établissements et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement.
La Cour de Cassation confirme, si besoin en était, que, dès lors que ces dispositions spécifiques existent, le droit à consultation est mécaniquement générateur de droit de recours à expertise.
Outre la question de l’accord de fonctionnement, et si la question de l’autonomie de gestion du responsable d’établissement a été invoquée, la décision de la Cour retient comme seul critère valable le fait de présenter au sein d’un établissement des mesures d’adaptation spécifiques comme fait générateur de droit à la consultation et à expertise.
A la lecture de cette décision, l’existence d’un ordre spécifique des départs en congés, d’un plan de formation des salariés de l’établissement ou encore le fait de convier à la négociation les délégués syndicaux pour un avenant à l’intéressement propre à l’établissement, sont des éléments caractérisant les mesures d’adaptation spécifiques.
De même et par extension, il apparaitrait logique de considérer que :
l’existence d’éléments spécifiques de rémunération au sein de l’établissement
des NAO menées sur le périmètre d’un établissement
des conditions de travail spécifiques à un établissement nécessitant des adaptations spécifiques du DUERP et du PAPRIPACT
une convention collective spécifiquement applicable au sein d’un établissement.
puissent également être considérées comme des mesures d’adaptation spécifiques légitimant le droit à consultation et donc à expertise sur le périmètre de l’établissement.
A l’inverse en cas de mesures d’adaptation spécifiques communes à plusieurs établissements, seul le CSE Central resterait compétent en matière de consultation.