Covid 19 : les décisions à caractère et contenu raisonnable.

Par Ismail Haddar, Juriste.

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Explorer : # mesures préventives # droit administratif # proportionnalité # ordre public

Etant des mesures ayant une dimension « exceptionnelle » et « exorbitante » susceptible d’aliéner l’essence même de certains droits et libertés, dans quelle mesure ces décisions possèdent un caractère qualifié de « raisonnable » ?
Article vérifié par son auteur en septembre 2023.

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Les mesures exceptionnelles préventives et protectrices adoptées par des décrets gouvernementaux [1] , le prolongement de l’état d’urgence [2] et la proclamation du couvre-feu (partie l) par le président de la république [3] et l’interdiction de circulation [4], les arrêtés ministériels et les circulaires [5], les actes et les décisions administratives édictées par les administrations publiques et les collectivités locales [6], constituent l’ensemble de l’arsenal et du dispositif juridique ayant pour objet de lutter, d’une part, contre l’expansion de la sphère du COVID-19 et de prévenir la possibilité d’une augmentation vertigineuse des cas contaminés.

De ce fait, ce décalogue juridique, conformément aux règles du droit administratif en particulier, consiste, donc, à maintenir un ordre public sanitaire afin de remédier à une situation d’insalubrité publique, ce qui dénote les manifestations voire même les concrétisations de la notion des prérogatives de puissance publique.

Toutefois, étant des mesures ayant une dimension « exceptionnelle » et « exorbitante » susceptible d’aliéner l’essence même de certains droits et libertés, dans quelle mesure ces décisions possèdent un caractère qualifié de « raisonnable » ?

L’idée de relier et d’associer la notion des prérogatives ou encore des mesures de police administrative à celle du « raisonnable », semble être, pour une première réflexion et constatation, paradoxale. Mais, malgré ce caractère antagoniste de l’association de ces deux notions susmentionnées, un rapport de complémentarité et d’interaction se noue.

Etant définit comme étant « un standard » [7] , le raisonnable consiste, tout d’abord, à jauger [8] et juger [9], ensuite, l’action administrative ; il referme en substance les idées de « proportionnalité », « raisonnabilité temporelle » [10], la décision à caractère et contenu raisonnable ou encore « décision raisonnable » [11] et « le comportement raisonnable » [12] ; il constitue, également, un instrument susceptible « d’apprécier » [13] l’essence et le bien-fondé de l’agissement et de l’intervention de l’administration notamment à l’instar d’un acte administratif unilatéral.

Cependant, en tenant compte de la particularité de certaines circonstances de l’époque et de lieu, l’autorité administrative dispose d’une certaine liberté en matière de la protection de l’ordre public ; elle cherche, désormais, à instaurer une action administrative plus efficace, plus optimale voire même raisonnable.
« Raisonnable », c’est toujours, par rapport au but et objectif à atteindre [14]. Est, encore, « raisonnable » l’action administrative intervenant dans un moment adéquat [15].

De ce fait, là où le maintien de l’ordre public, tel la salubrité publique, se voit menacé, l’autorité administrative, sous peine d’engager sa responsabilité, est tenue, avant la prise de décision, d’établir « un examen particulier, sérieux et complet » [16] des circonstances du temps, de prendre les mesures nécessaires, opérantes et opportunes et d’agir, par la suite, en temps raisonnable.

S’inscrivant dans cette démarche, compte tenu de l’optique de l’instauration d’un contrôle effectif de l’action administrative, le standard du raisonnable désigne, à ce stade, un véritable sanctuaire où le juge administratif peut, d’une part, « mesurer les comportements et les situations » [17] et il impose à l’autorité administrative d’édicter les mesures de police réputées indispensables et adéquates [18] dans « le délai le plus court possible » [19] pour préserver l’ordre public contre les troubles ou encore face à « un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse » [20]. Il incombe, par conséquent, à l’Administration d’agir avec « rapidité » [21].

Ismail Haddar, Doctorant.

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Notes de l'article:

[1Décret gouvernemental n° 2020-153 du 17 mars 2020, fixant des dispositions exceptionnelles concernant le travail des personnels de l’Etat, des collectivités locales, des établissements publics à caractère administratif et des instances, établissements et entreprises publiques ; Décret gouvernemental n° 152 du 13 mars 2020 portant assimilation de l’infection par le nouveau Corona virus « COVID-19 » à la catégorie des maladies transmissibles prévues à l’annexe jointe à la loi n° 92-71 du 27 juillet 1992, relative aux maladies transmissibles ;
Décret gouvernemental n° 2020-156 du 22 mars 2020, portant fixation des besoins essentiels et des exigences nécessaires en vue d’assurer la continuité du fonctionnement des services vitaux, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total.

[2Décret présidentiel n° 2020-3 du 30 janvier 2020 portant prorogation d’état d’urgence.

[3Le décret présidentiel n° 2020-24 du 18 mars 2020, relatif à l’instauration du couvre-feu sur tout le territoire de la République.

[4Le décret présidentiel n° 2020-28 du 22 mars 2020, limitant la circulation des personnes et les rassemblements hors horaires du couvre-feu.

[5La circulaire n°04 du 10 mars 2020 portant le renforcement des mesures préventives pour lutter contre la propagation du COVID-19 ; La circulaire n°06 du 16 mars 2020 portant l’application rigoureux des mesures préventives pour lutter contre la propagation du COVID-19.

[6Les décisions adoptées au niveau locale à savoir les arrêtés municipaux portant la fermeture des restaurants et cafés, et ceux relatifs au respect des mesures préventives et protectrices.

[7Xavier Magnon, « Qu’est-ce que le droit peut faire du « raisonnable » ?, Acte de colloque, le raisonnable en droit administratif, Institut Maurice Hauriou, 2015. P2. PP 1-11. (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01725362/document).

[8Ibid.

[9Où le juge administratif intervient en vue de contrôler l’action administrative.

[10Rhita BOUSTA, Essai sur la notion de Bonne administration en droit public, L’Harmattan, 2010, P.301.

[11COUR SUPRÊME DU CANADA, Jurisprudence en bref : La norme de contrôle (tirée de Vavilov, un jugement de la « trilogie d’arrêts en droit administratif », Jugements rendus le 19 décembre 2019 | En appel de la Cour d’appel fédérale Références neutres : 2019 CSC 65 et 2019 CSC 66.

[12Xavier Magnon, « Qu’est-ce que le droit peut faire du « raisonnable » ?, Acte de colloque, le raisonnable en droit administratif, Institut Maurice Hauriou, 2015. P2. PP 1-11. (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01725362/document).

[13Ibid.

[14Cette idée se ressource du mécanisme de la notion de « proportionnalité ».

[15Les applications jurisprudentielles de la notion du délai raisonnable.

[16Guy ISAAC, La procédure administrative Non contentieuse, LGDJ, Paris, 1968, P.444.

[17Stéphane Rials, Le juge administratif et la technique du standard : essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, LGDJ, Bibliothèque de droit public, 1980, P.120 ; cité dans l’article de Mr. Xavier Magnon, « Qu’est-ce que le droit peut faire du « raisonnable » ?, op., cit., p.2.

[18C.E., affaire n°394254, du 12 juillet 2017, Les amis de la Terre : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de la mesure d’instruction diligentée par la sixième chambre, que, pour l’année 2015, dernière année pour lesquelles des données ont été produites, les valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote étaient encore dépassées dans douze des zones citées au point 5 (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, ZUR Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées) ; que, pour cette même année, les valeurs limites en particules fines PM10 demeuraient dépassées dans les trois mêmes zones que celles citées au point 5 (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique) ; que l’annulation prononcée au point précédent implique donc nécessairement que le Premier ministre et le ministre chargé de l’environnement prennent toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux exigences rappelées au point 2 permettant de ramener, dans ces zones, les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à ces autorités d’élaborer ces plans et de les transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ; ». (Voir la partie des annexes)

[19C.E., affaire n°394254, du 12 juillet 2017, Les amis de la Terre (voir la partie des annexes).

[20Jean-Bernard AUBY, « Les délais raisonnables de l’activité réglementaire », Revue de Droit Administratif, Editions du Juris-Classeur, Février 2004, P.14.

[21Georges DUPUIS, Marie-José GUEDON et Patrice CHRETIEN, Droit administratif, Paris, Armand Colin, 9e édition, 2004. P.459.

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