Le décompte du salarié de ses heures supplémentaires.

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # heures supplémentaires # preuve # décompte du temps de travail # contentieux prud’homal

Le salarié n’a pas toujours comme autre choix que de produire son propre décompte de ses heures supplémentaires afin d’en obtenir le paiement.

Ce mode de preuve est admis par la jurisprudence en raison du régime probatoire des heures supplémentaires qui est assez particulier.

En la matière, la Cour de cassation fait preuve d’une grande tolérance, laquelle ne doit ni dispenser le salarié d’être rigoureux dans la rédaction du décompte, ni le dispenser de réunir d’autres éléments de preuve de ses heures.

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Dans le cadre d’un contentieux prud’homal, les heures supplémentaires font l’objet d’une charge de la preuve partagée entre le salarié et l’employeur en application de l’article L. 3171-4 du Code du travail.

Cette preuve s’administre en trois temps.

Premièrement, il appartient au salarié d’étayer préalablement sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur d’y répondre.

Deuxièmement, une fois que le salarié aura fourni des éléments précis concernant les heures prétendument effectuées, c’est à l’employeur de démontrer la réalité des horaires effectuées par ses propres éléments.

Troisièmement, le juge doit analyser à la fois les éléments produits par le salarié et par l’employeur afin d’estimer si des heures supplémentaires sont dues.

Il convient de préciser qu’en application des articles D.3171-1 et suivants du Code du travail, l’employeur est tenu d’afficher l’horaire collectif des salariés d’un même service et d’en transmettre un double à l’Inspection du travail.

Lorsque les salariés ne sont pas soumis à un même horaire collectif, l’employeur doit décompter quotidiennement les heures de travail accomplies et décompter chaque semaine le nombre d’heures supplémentaires accomplies [1]. Les documents de l’employeur permettant de comptabiliser le temps de travail sont tenus à la disposition de l’Inspection du travail et du Comité social et économique (si ce dernier existe).

Si l’employeur n’est pas en mesure de démontrer la réalité des heures effectuées, ce dernier peut être condamné au paiement d’heures supplémentaires sur la base des pièces produites par le salarié [2].

Ce régime probatoire est particulièrement favorable car le salarié ne doit pas démontrer l’existence des heures supplémentaires. Il lui est seulement demandé de produire des éléments factuels qui peuvent donner un indice sur la réalité des horaires de travail et des heures supplémentaires non rémunérées.

La seule exigence est que ces éléments doivent être suffisamment précis. L’employeur doit être en mesure, à partir de ces éléments, d’avoir connaissance des horaires invoqués par le salarié afin de pouvoir se défendre, en démontrant par exemple que sur certaines périodes, aucun travail n’a été effectué ou bien que les heures supplémentaire exigées correspondent en réalité à des heures déjà payées.

Depuis longtemps, il est admis que le salarié puisse produire son propre décompte de ses heures de travail [3].

La jurisprudence est particulièrement souple concernant la rédaction de ces décomptes.

Le salarié peut produire un relevé quotidien de son temps de travail, avec les heures de début et de fin de service [4].

Le salarié peut encore produire un tableau mentionnant les heures travaillées chaque jour et chaque semaine avec en commentaire les missions et déplacement effectués [5].

Le décompte peut être effectué en une seule traite et pas forcément au fur et à mesure des heures accomplies [6].

Le décompte peut avoir été établi a posteriori, y compris pendant la procédure prud’homale [7].

Quelques incohérences sont également pardonnables, la mémoire du salarié pouvant l’induire en erreur. Si un décompte comportant quelques erreurs reste suffisamment précis pour se faire une idée des horaires du salarié, le juge saisi ne peut rejeter d’emblée la demande de paiement d’heures supplémentaires. Il se doit de vérifier si l’employeur produit des preuves du temps de travail et de les analyser avant de prendre sa décision [8].

Attention, si certaines décisions admettent la production d’un relevé des heures effectuées sans précision des horaires, la Cour de cassation a pu aussi estimer qu’un simple récapitulatif des heures effectuées sans mention des jours et horaires travaillés était imprécis et ne pouvait fonder un rappel d’heures supplémentaires [9].

Par prudence, mieux vaut éviter la solution de facilité de produire un décompte global ou forfaitaire sans aller dans le détail. Décompter avec précision et transparence des heures de travail est un exercice malheureusement fastidieux. Pourtant, il en vaut la peine lorsqu’il est mené avec sérieux.

Bien que cela puisse paraître étrange aux premiers abords, il est donc tout à fait possible d’établir à la main ou sur ordinateur son propre décompte des heures de travail.

En effet, l’adage « nul ne peut se faire de preuve à soi-même » ne s’applique pas à des faits juridiques, ce qui est le cas du temps de travail réalisé par le salarié [10].

Cette tolérance permet à des salariés de compenser la difficulté de prouver la réalité du temps de travail car en toute logique, si l’employeur n’a pas rémunéré des heures supplémentaires, ces dernières ne figurent pas sur les documents et décomptes dont l’entreprise en est l’auteur.

Cependant, le salarié doit toujours garder en tête que face aux éléments que risque de produire l’employeur, les décomptes devront être le plus précis possible et comporter de préférence aucune erreur ni aucune contradiction avec une autre pièce du dossier.

Lorsque le juge devra statuer sur les heures supplémentaires, il est certain qu’il sera plus enclin à se laisser convaincre par un décompte rigoureux et facilement vérifiable plutôt que par un décompte bâclé et comportant trop d’incohérences.

De plus, mieux vaut compléter le décompte avec d’autres éléments pouvant accréditer les horaires réellement pratiqués, comme un relevé des déplacements ou des attestations [11].

Un décompte établi par soi-même manquera toujours l’objectivité que doit comporter toute preuve solide. Plus le décompte sera renforcé par d’autres éléments extérieurs au salarié, plus sa crédibilité sera importante.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1C. trav. art., D. 3171-8

[2Cass. Soc., 13 octobre 1998, n° 96-42.373

[3Cass. Soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, publié au bulletin

[4Cass. soc., 19 juin 2013, n° 11.27-709

[5Cass. Soc., 22 mars 2012, n° 11-14.466

[6Cass. soc., 24 mai 2018, n° 17-14.490

[7Cass. soc., 12 avril 2012, n° 10-28.090

[8Cass. soc., 18 mars 2020 n° 18-10.919, publié au bulletin

[9Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-26.084

[10Cass. soc., 18 sept. 2013, n° 12-10.025

[11Cass. soc., 16 mai 2012, n° 11-14.268

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