Preuve des heures supplémentaires : « un poids, deux mesures »...

Par Nadia Rakib.

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Explorer : # heures supplémentaires # preuve # temps de travail

Décompter le temps de travail peut se résumer dans l’adage « un poids, deux mesures ». Cette expression désigne alors simplement deux manières différentes de mesurer ou juger, dans une expression qui aurait alors pu s’écrire « avoir deux poids et deux mesures »...

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Lorsque des heures supplémentaires sont impayées, il faut d’abord prouver leur existence avant de faire une réclamation. C’est seulement dans un second temps que le refus de l’employeur de payer des heures supplémentaires de travail, dont l’existence est incontestable, constitue un fait fautif dont le salarié peut prendre acte pour rompre le contrat de travail et réclamer au conseil des prud’hommes l’indemnisation du préjudice subi.

Les heures supplémentaires sont toutes les heures de travail effectif réalisées au-delà de la durée légale du travail (35 heures) ou de la durée considérée dans certaines professions comme équivalente. Toutefois, il doit s’agir de celles effectuées à la demande de l’employeur ou au moins avec son accord implicite.
A l’appui de sa demande en paiement d’heures supplémentaires, il faut déjà que le salarié puisse administrer la preuve de leur existence, ce qui est loin d’être facile. Pour se faire, lui et son employeur doivent donc concourir à l’établissement de la réalité des faits, si bien que la preuve de l’existence ou de l’inexistence d’heures supplémentaires repose sur l’un comme sur l’autre.

Dans cette affaire, une salariée avait été engagée par la patronne d’un fonds de commerce de bar-tabac-restauration en qualité d’employée polyvalente. Elle avait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur et avait saisi la juridiction prud’homale pour réclamer le versement d’une indemnité pour travail dissimulé.
La salariée faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence de l’avoir déboutée de sa demande de rappel d’heures supplémentaires.
Pour sa défense, elle arguait que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties.
Par conséquent, s’il lui appartenait au préalable de fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande de rappel d’heures supplémentaires, sa patronne devait également produire des éléments de nature à justifier les horaires qu’elle avait effectivement réalisés. En l’occurrence, des décomptes du temps de travail prévus par le statut collectif applicable à la relation de travail auraient dû être établis.
D’après la salariée, l’arrêt rendu par la Cour d’appel ne pouvait rejeter une demande de rappel d’heures supplémentaires au seul motif que les éléments qu’elle avait produits ne prouvaient pas le bien-fondé de sa demande.
En l’espèce, la salariée faisait valoir qu’il appartenait à son employeur, en application de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants, de décompter son temps de travail sur un document établi quotidiennement. Si tel avait été le cas alors, elle n’aurait pas eu besoin de rapporter la preuve des heures supplémentaires.

Quid juris : les juges aixois devaient-ils rechercher si les demandes de la salariée pouvaient être utilement contredites par les documents quotidiens de décompte du temps de travail que l’employeuse était conventionnellement tenue de réaliser ?

La chambre sociale de la Cour de Cassation n’a pas suivi l’argumentation de la salariée aux motifs que cette dernière ne produisait à l’appui de sa demande que des relevés incomplets, et pour certains inexploitables, des horaires prétendument réalisés et des attestations n’apportant aucun élément précis susceptible d’établir qu’elle travaillait au-delà des horaires fixés.
Aussi, elle confirma l’arrêt de la cour d’appel qui avait estimé que la demande n’était pas étayée et qu’aucune indemnité pour travail dissimulé n’était due par l’employeur.

Cette jurisprudence rappelle l’importance d’établir un relevé précis qui permettra au salarié de demander des dommages-intérêts pour le nombre d’heures supplémentaires effectuées en cas d’absence d’éléments de justification venant de l’employeur. A fortiori lorsqu’on sait que l’absence de production des relevés obligatoires par ce dernier ne cause pas nécessairement un préjudice pour le salarié... De plus, ce relevé conditionne l’existence d’un débat contradictoire entre les parties.

Quid juris : la règle de la preuve devait-elle s’appliquer également aux temps de pause ?

En l’espèce, pour débouter la salariée de sa demande de rappel de salaire au titre des temps de pause, les juges aixois avaient retenu que face à la contestation de l’employeur qui soutenait qu’elle bénéficiait bien de cette pause, l’intéressée n’apportait aucun élément pouvant établir ce grief.

La Haute Cour infirma partiellement l’arrêt en soulignant le fait qu’en ce qui concernait la preuve du respect des temps de pause celle-ci incombe à l’employeur.

Ce litige permet de souligner la différence entre la preuve des heures supplémentaires réalisées qui repose essentiellement sur le salarié et la preuve des temps de pause que supporte l’employeur.
Pour conclure, en matière de calcul du temps de travail, c’est un peu la règle du « un poids, deux mesures ».

Sources :
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 juin 2015, n°13-26.503, Inédit.
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, arrêt du 11 décembre 2012.
Articles L. 3171-4 et L. 3121-33 du code du travail ; article 1315 du code civil.
Article 8 de l’avenant n° 2 du 5 février 2007 relatif à l’aménagement du temps de travail à la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997.

Nadia RAKIB

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  • par czarniak denis , Le 27 juillet 2015 à 10:57

    A mon avis le salarié s’est mal défendu :

    Depuis le décret du 18 décembre 1992, les articles L 3171-2 et D 3171-8 du Code du travail disposent que lorsque les salariés d’un atelier, d’un service ou d’une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, l’employeur enregistre quotidiennement les heures de début et de fin des périodes de travail, ainsi que la récapitulation du nombre d’heures effectuées par chaque salarié dans la semaine.

    Par ailleurs, l’article 4 du décret n° 99-256 du 31 mars 1999 prévoit :

    "Dans chaque établissement ou partie d’établissement, le personnel dont les heures supplémentaires sont compensées en tout ou partie sous la forme du repos compensateur visé par l’article L. 212-5 du code du travail est occupé sur la base d’un horaire nominatif et individuel dont un exemplaire est remis au salarié.

    Les chefs d’établissement consignent sur un registre ou tout autre document l’horaire nominatif et individuel de chaque salarié ainsi que les périodes de travail qu’il a réellement effectuées pour chacun des jours où il n’est pas fait une stricte application de celui-ci.

    Ce document est émargé par le salarié au moins une fois par semaine et tenu à la disposition de l’inspecteur du travail.

    Le salarié est tenu régulièrement informé de ses droits acquis en matière de repos compensateur sur SUR SON BULLETIN DE PAIE OU SUR UNE FICHE ANNEXEE qui indique pour le mois considéré :

    - LE NOMBRE D’HEURES SUPPLEMENTAIRES EFFECTUEES ;

    - le nombre d’heures de repos compensateur auxquelles elles ouvrent droit en application de l’article L. 212-5 ;

    - le nombre des heures de repos attribuées dans le cadre de ce dispositif."

    Sans parler évidemment du fait que ces obligations sont très clairement rappelées dans la convention collectives des HCR article 21 paragraphe 6 ainsi que dans l’avenant 2 du 5 février 2007.

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