Dénonciation des agissements de harcèlement par le salarié : la protection pénale n'est pas absolue. Par Guillaume Talneau, Avocat et Alicia Moiroux, Etudiante.

Dénonciation des agissements de harcèlement par le salarié : la protection pénale n’est pas absolue.

Par Guillaume Talneau, Avocat et Alicia Moiroux, Etudiante.

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Explorer : # harcèlement # protection des salariés # diffamation # responsabilité pénale

Le salarié qui dénonce des agissements de harcèlement moral et/ou sexuel doit veiller à ne porter ses accusations qu’auprès de certaines personnes qualifiées. A défaut, il ne saurait s’exonérer de sa responsabilité pénale énonce la Cour de cassation dans son arrêt du 26 novembre 2019.

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Afin que le salarié ne soit pas dissuadé de dénoncer des faits de harcèlements moral et/ou sexuel, dont il serait témoin ou victime dans le cadre de la relation de travail, le législateur a adopté certaines dispositions lui garantissant une protection de deux ordres.

En premier lieu, tout salarié qui porte de telles accusations bénéficie d’une immunité disciplinaire. Il ressort des articles L.1153-2 et L.1153-3 du Code du travail qu’un salarié qui prétend être victime de ces agissements condamnables ne peut "être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte” pour avoir subi, refusé de subir, témoigné ou relaté des faits constitutifs de harcèlement moral et/ou sexuel.

En second lieu, cette dénonciation constitue une cause d’exonération de sa responsabilité pénale. A ce titre, l’article 122-4 alinéa 1 du Code pénal dispose que “n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires”.

Par ce fondement, le salarié peut espérer échapper aux délits de presse régis par la loi du 29 juillet 1881. Rappelons que cette loi incrimine en particulier la diffamation [1]caractérisée lorsqu’une personne, déterminée ou identifiable, est visée par une allégation ou l’imputation d’un fait précis portant atteinte à son honneur ou à sa considération, quelle que soit sa véracité. On parlera de diffamation publique lorsque cette allégation fait l’objet d’une publicité, c’est-à-dire qu’elle est énoncée, écrite ou transmise en public selon les moyens de communication prévus par la loi [2]. La dénonciation calomnieuse est encourue en cas d’atteinte à l’honneur de la personne visée à la différence que ce délit n’est constitué que si la personne a invoqué un fait mensonger ou inexistant auprès d’une personne qui a compétence pour notifier des sanctions disciplinaires, administratives ou judiciaires [3].

Toutefois, l’irresponsabilité pénale du salarié qui dénonce des agissements de harcèlement n’est pas absolue.

La première limite est celle de la bonne foi, appréciée au moment de la dénonciation des faits. Comme l’avait déjà indiqué la Première chambre civile de la Cour de cassation en 2016, dès lors qu’un salarié a connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi est caractérisée et peut justifier sa poursuite pour dénonciation calomnieuse [4].

En l’occurrence, il s’agissait d’une employée polyvalente qui soutenait avoir été victime de harcèlement moral de son chef de cuisine et de son chef de section. Elle avait adressé au DRH de la société une lettre, dénonçant ces faits, dont elle a adressé une copie au CHSCT et à l’inspecteur du travail. Les salariés visés estimaient que les propos contenus dans cette lettre leur portaient préjudice. Les juges du fond avaient fait droit à leurs demandes considérant que la salariée qui rapporte des faits de harcèlement ne bénéficie pas d’une immunité pénale. La Cour de cassation avait cassé l’arrêt en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé la mauvaise foi au moment où la salariée avait porté ses accusations [5].

Outre la mauvaise foi, dont l’appréciation tient à un critère temporel, ce même arrêt avait également suggéré une autre limite à l’irresponsabilité pénale : celle tenant à la qualité des personnes destinataires des accusations En effet, le salarié est autorisé par la loi à dénoncer ces agissements auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail. On peut ainsi citer les instances représentatives de l’entreprise (CSE, délégué syndical) mais également l’inspection du travail, le médecin du travail et bien entendu, les services de police et le parquet.

A contrario, l’arrêt du 26 novembre 2019 [6] rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme que, si le salarié qui se prétend victime ou témoin de faits de harcèlement fait part de sa dénonciation à des personnes non qualifiées, il peut être poursuivi.

En l’espèce, la salariée d’une association prétendait être victime d’agissements pouvant être qualifiés, selon ses propos, “d’agression sexuelle, de harcèlement sexuel et moral”. Elle avait dénoncé ces agissements en adressant un courriel à plusieurs destinataires. Outre le directeur général de l’association et l’inspection du travail, la salariée avait également pris l’initiative d’ajouter à la liste des destinataires de son courriel d’autres personnes, tel le fils de celui qu’elle mettait en cause.

En faisant citer l’auteure du courriel du chef de diffamation publique envers un particulier, la personne accusée avait obtenu sa condamnation du tribunal correctionnel. La Cour de cassation a également considéré que la salariée s’était rendue coupable de diffamation publique tout en relevant qu’elle ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité pénale dans la mesure où elle avait adressé son courriel à des personnes étrangères à l’employeur et aux organes précités. En outre, la Cour de cassation avait relevé, que par manque de preuve sur ses accusations, l’excuse de la bonne foi de la salariée ne pouvait, non plus, être invoquée.

La Cour de cassation confirme, dès lors, que le statut protecteur dont bénéficie le salarié qui s’estime victime d’agissements de harcèlement moral et/ou sexuel ne lui confère pas une immunité pénale générale et absolue. Si le risque que lui soit reprochée sa mauvaise foi, difficile à caractériser au moment de la dénonciation des faits, ne constitue pas une menace réelle susceptible d’engager sa responsabilité pénale, le salarié doit prendre garde à ne dénoncer ces faits qu’auprès de certaines personnes qualifiées pour recueillir son signalement. A défaut, il s’exposerait à des poursuites pour diffamation publique.

Guillaume Talneau, Avocat au Barreau de Paris
Alicia Moiroux, Etudiante Master 2 Droit social - Université Lumière Lyon II

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Notes de l'article:

[1Art. 29, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[2Art. 23, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[3Art. 226-10 du Code pénal

[4Cass. Civ. 1, 28 septembre 2016, n°15-21.823

[5Contrairement à la Chambre criminelle, la Première chambre civile de la Cour de cassation semblait alors écarter la possibilité de poursuivre au titre de la diffamation le salarié qui dénonce les faits de harcèlement.

[6Cass. Crim. 26 novembre 2019, n°19-80.360

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Discussion en cours :

  • par Farick Reyneld , Le 1er juillet 2020 à 11:50

    Suite à votre article, je constate que les limites de la protection contre le harcelement sexuel envers le salarié, serait d’une part tenue avec l’irresponsablité pénale du salarié qui dénonce le harcelement, par la mauvaise foi de la dénonciation des agissements de harcelement et la qualité des personnes destinataire des accusations.
    A partir de là, ma préoccupation est de savoir si ce sont les seules limites à la protection du salarié ?? En existerait-il d’autres ?
    Bien à vous, dans l’espoir d’avoir une suite favorable à ma demande.

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