Le droit à l’enfant, avec la GPA [1] pour les couples gay, fera-t-il avancer la société ? Le chemin va du respect de la différence à l’égalité des droits. Sortir du Droit n’avançant que des interdictions ou des obligations pour aborder un Droit des permissions est le ressort de ce progrès qui sépare la filiation de la procréation. On peut s’interroger pour savoir pourquoi le mariage « pour tous » a mis plus longtemps à naître en Droit français que dans les législations d’autres pays. L’hypocrisie qui consiste dans le choix du terme de mariage « pour tous » est à ce titre évocateur des réticences admises a priori par le législateur soucieux de ne pas créer un trouble sociétal.
La réponse aura certes un intérêt historique et sociologique mais ne fera pas avancer pour autant les mentalités. Mieux que cela, on peut soutenir que le mariage gay ou lesbien est un progrès du Droit visant à tirer les mœurs en avant. Le droit à l’enfant, avec la GPA pour les couples gay, fera-t-il avancer la société ? Le chemin va du respect de la différence à l’égalité des droits. Sortir du Droit n’avançant que des interdictions ou des obligations pour aborder un Droit des permissions est le ressort de ce progrès qui sépare la filiation de la procréation.
Introduction.
Le mariage gay ou lesbien apparaît comme l’expression d’un nouveau droit. Celui-ci ne risque-t-il pas de donner consistance à d’autres droits ? En particulier, le droit à l’enfant et notamment pour les homosexuels-hommes car la GPA est bien moins acceptée par la société que la conception assistée pour les homosexuelles-femmes.
Traditionnellement, la règle juridique suit les mœurs. Parfois, elle les accompagne mais il serait peut être bon qu’elle les précède pour les engager dans un cercle vertueux. Le montage biologique et juridique que propose la GPA se heurte aux conceptions peut être surannées d’une éthique qui se veut universelle mais qui est somme toute immédiate et très marquée par son temps [2]. La décision judiciaire peut en effet tenir lieu d’acte de naissance dans le cas d’un couple gay ayant recours à la GPA.
Le droit au mariage.
Comment peut-on sérieusement s’opposer au mariage homosexuel en ces temps modernes où la France n’est pas au demeurant pionnière en la matière ? Voilà un beau sujet d’interrogation.
Le mariage, avant d’appartenir à une catégorie du droit naturel, du droit civil ou du droit canon paraît être avant tout un usage. Même en droit romain, on connaît d’ailleurs le mariage par usus à côté de la coemptio et de la confarreatio. La solennité ainsi mise en avant, notamment dans les familles aristocratiques de Rome, puis la nécessité d’un sacrement seront peu à peu introduits et le christianisme [3] engagera la société vers l’indissolubilité du mariage. Ce n’est que bien plus tard, avec la loi du 20 septembre 1792 [4] , que la séparation deviendra nette entre le contrat et le sacrement. Mais jusque-là, le problème du sexe dans le mariage ne se conçoit qu’entre un homme et une femme. La sexualité est pourtant au cœur de l’institution. Avec la reconnaissance des droits de l’homosexuel, il fallait bien en arriver au mariage gay ou lesbien [5]. Cette évolution, tracée à grands traits, montre bien que l’institution « mariage » n’a rien de figée au cours du temps. Pourquoi cette évolution [6] devrait-elle donc s’arrêter ? Et ceci d’autant que la Constitution n’était pas respectée en Droit français avant le vote récent de la loi sur le mariage pour tous puisque le refus du mariage homosexuel est une atteinte manifeste à l’égalité des droits et que la discrimination a pu s’installer jusqu’à la violence [7]. Le Conseil Constitutionnel a toutefois estimé qu’il revenait au législateur [8] seul de se prononcer sur l’altérité des sexes dans le mariage. La Cour de Cassation [9] s’est prononcée dans le sens de l’altérité sexuelle pour donner validité au mariage.
Le mariage homosexuel est un progrès parce qu’à l’évidence il est conçu sur la seule base séculaire du mariage, la liberté du consentement [10] . C’est le résultat d’une vocation libre, construite sur l’amour inconditionnel des individus, sans l’habillage du religieux [11] et sans la nécessité sociale de donner naissance à des enfants pour en faire des soldats utiles à l’hégémonie de l’Etat. Le mariage homosexuel permet enfin à l’individu de suivre ses affections temporelles en se débarrassant de la morale chrétienne [12] qui reste comme un fonds de garantie à la morale sociale en général, tant la culture laïque reste imprégnée des idées religieuses. Cela étant, toutes les Eglises n’ont pas le même discours. L’Eglise suédoise par exemple, met en avant « le bien être des gens » pour accepter [13] le mariage religieux des homosexuels. Le mariage homosexuel, comme le mariage hétérosexuel, est fondé sur une théorie consensuelle où l’échange des volontés donne un droit au corps du conjoint dans la mesure où il constitue l’objet même du consentement [14]. Là où il fait peut être peur, c’est que la rumeur communément admise donne foi à l’inconstance des amants alors que la fidélité est synonyme d’exclusivité du corps de l’autre dans le mariage hétérosexuel.
L’évolution des mœurs a conduit à l’acceptation de la « culture gay » puisqu’une majorité [15] des Français était favorable au mariage homosexuel avant les délibérations sur la loi. Il semblerait qu’une minorité de la population en est restée au mariage comme institution alors qu’une majorité se soit tournée - et pas forcément consciemment- vers l’acceptation de la culture gay. Depuis Stonewall [16], il est indéniable que celle-ci a fait des progrès en influençant pas seulement ce que certains présentent comme le ghetto homosexuel mais en investissant des pans entiers de la culture [17] . Il existe un cinéma gay indépendant, des idoles gays en musique, une littérature gay et tout cela va bien au-delà de la pornographie. Le mariage institutionnalisé est considéré comme un engagement créateur d’obligation mais se présente aussi et d’abord comme le partage affectif permettant l’épanouissement des conjoints. L’institution « mariage » est une « idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social » ainsi que le rappelle Hauriou [18]. Il faut bien reconnaître que cette idée se transforme. La procédure du mariage civil ne change pas pour autant. « La communion fondative [19] » que nomme Hauriou reste la communion de deux individus avec l’idée matrimoniale mais les personnes sont de même sexe.
Le mariage homosexuel répond à un besoin de sécurité juridique pour les personnes concernées : succession, gestion des biens, pension de réversion [20] pour exemples. On pourrait reprocher aux tenants de l’opposition au mariage pour tous de s’en tenir à l’essence du droit sans vouloir simplement admettre le droit positif [21] Il y aurait comme une moralité chrétienne sous-jacente qui interdirait toute évolution juridique vers un autre univers tenant simplement en compte des mœurs tels qu’ils évoluent et non comme ils devraient être. Admettre l’évolution des mœurs reviendrait donc à changer de civilisation. Il n’en est rien. Le mariage homosexuel change seulement la norme, le jus objectivum pourrait-on dire. Le réalisme juridique prend en compte les besoins de l’être humain en évolution et continue de soutenir un ordre social juste que la loi élabore. La structure de la famille reste en accord avec le bien commun sociétal. Il y a simplement création d’un nouveau modèle de famille, la famille homosexuelle, directement issue de la volonté, de la liberté et de la raison humaine.
Le mariage est un acte fondateur de la famille qui ne présuppose pas nécessairement la différence des sexes dans leur union. Une famille peut être constituée de deux hommes ou deux femmes. La famille ainsi constituée n’est pas différente d’autres familles qui veulent toutes se constituer en nids pour la naissance des enfants. La doctrine note d’ailleurs que le mariage n’est pas à proprement parler l’institution elle-même mais plutôt l’acte de fondation [22] de l’institution. Celle-ci a un objet qui est la famille puisque la procréation et l’éducation des enfants sont au cœur de l’institution. Avec le couple homosexuel, la finalité de l’objet peut être la procréation mais aussi plus simplement une union de vie. Quant à la procréation, si les moyens modernes de la médecine ou plus anciens [23] de la mère porteuse peuvent être employés, pourquoi ne le seraient-ils pas ? Comme il existe un droit au mariage, il existe un droit à pérenniser le nom et un droit à la famille.
Le droit à l’enfant.
Le droit d’avoir un enfant n’est pas forcément un corollaire du droit au mariage mais il est bien clair que le mariage gay pose la question comme si c’en était un. Le droit à l’enfant est un concept symbolique fort qui risque de devenir une question d’actualité. Toute personne a bien le droit de vouloir engendrer une descendance, quelles que soient les raisons et même sans raison particulière. Empêcher ce droit, c’est créer un eugénisme intolérable, digne des méthodes sélectives réservées aux sociétés fanatisées idéologiquement. Le droit à l’enfant pour l’homosexuel(le) mérite donc d’être reconnu, accepté et même approuvé dans une société respectueuse des droits de l’individu. Le droit de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme en âge nubile par l’article 12 de la convention européenne des droits de l’homme [24] et par l’article 23 du pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques.
Là où les mentalités « coincent », c’est dans le domaine de la GPA [25] . Or, la GPA n’est jamais qu’un contrat dont les termes sont clairs et les obligations respectives des parties bien organisées. Juridiquement parlant, la GPA est un contrat possible. La difficulté est de savoir si c’est un contrat souhaitable. Le problème est avant tout moral. La convention GPA [26] n’est pourtant illicite dans son objet que si la loi la déclare comme telle. Et pourquoi le ferait-elle sinon pour des raisons morales et philosophiques ? L’argument du non asservissement de la femme ne supporte pas longtemps l’analyse puisqu’il est entendu que la femme porteuse exerce un consentement plein. La naissance d’un enfant n’est pas objet de commerce, le « ventre » d’une mère ne saurait être loué, le don de la vie ne saurait avoir un prix. Et certes, on se réjouit que la tradition soit forte sur l’illégalité du trafic d’organes, l’impossibilité de monnayer le sang ou les organes qui restent ainsi dans le domaine du don. De même, la GPA peut très bien être organisée dans le cadre du don et n’absolument pas entrer dans le cadre du commerce. Elle existe d’ailleurs déjà sous cette forme lorsqu’un couple gay demande ce service à une femme de leurs amies. Mais la GPA ne peut pas être entendue uniquement dans le cadre de l’acte gratuit car l’enfant ne naît pas de la rencontre d’un homme et d’une femme mais de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. On passe du don au dû par le biais de la rencontre et du contrat. La question est donc celle de la généralisation et de la visibilité sociale de la pratique.
Mais, là où les mœurs ont évolué jusqu’à permettre cette licence, rencontre-t-on des problèmes particuliers ? Il faut se transporter dans les pays qui ont autorisé la GPA pour avoir une idée des difficultés que cela suppose et encore faudra-t-il les comprendre et les mesurer à l’aune des caractères spécifiques de la société française [27] d’aujourd’hui.
La loi 94-653 du 29 juillet 1994 a inscrit dans le code civil l’article 16-7 portant interdiction de la GPA. L’article 227-12 du Code pénal sanctionne l’interdiction en doublant les peines lorsque le processus est réalisé dans un cadre lucratif ou commercial. La jurisprudence a évidemment appliqué ces textes mais les a même anticipé ; ainsi dans le cadre de l’annulation de l’Association Alma Mater [28] ou du détournement de la procédure d’adoption avec un arrêt du 31 mai 1991 [29]. La Cour de Cassation par un arrêt du 17 décembre 2008 a maintenu sa position et les enfants nés à l’étranger sont privés de filiation. Seule, la récente circulaire [30] du Ministère de la Justice atténue un peu les effets de l’intransigeance juridique et sociale. Le Conseil d’État avait toutefois rendu en mai 2009 [31] , un avis préconisant le maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui en France, tout en proposant que « la situation juridique des enfants nés à l’étranger par recours à cette pratique soit aménagée, de façon que ceux-ci ne soient pas pénalisés par le fait que leurs parents d’intention ont eu recours à une pratique interdite en France ».
Au Royaume‐Uni, la loi autorise la GPA mais à titre gratuit uniquement. En admettant la GPA en droit français, un des problèmes du contrat serait la sanction de sa non-exécution. On ne saurait forcer la gestatrice à l’exécution si elle renonçait finalement à la mise en œuvre du projet avant insémination. Le cas est différent si elle renonçait à se séparer de l’enfant au bénéfice des pères d’intention après la naissance. La gestatrice redeviendrait alors la mère légale de l’enfant avec une compensation financière à prévoir puisqu’il y aurait manifestement préjudice causé aux pères.
Le problème peut donc se poser de savoir si la filiation doit être établie dès la naissance ou après un délai de réflexion laissé à la mère. Mais laisser s’ouvrir un délai, c’est présumer que le contrat ne sera pas rempli dès sa conclusion ou au moins, pour le législateur, penser que la mère porteuse doit avoir un droit au « remords ». C’est également organiser un transfert de parenté avec toute l’organisation juridique que cela suppose et notamment la traçabilité de la modification d’état civil. Un accouchement sous X, suivi de la reconnaissance de parentalité, n’est-il pas préférable ? Le lien de filiation dans le cadre d’un couple gay passe par l’effet de la reconnaissance souscrite par les pères ou au moins l’un d’entre eux. Il s’agit finalement d’une adoption plénière par un couple homosexuel. L’Etat est mal venu à interdire ou sanctionner un contrat entre personnes consentantes qui ne vise nullement à causer un tort à la société ni à l’enfant à naître. En fait, l’Etat se mêle de la dissociation de la sexualité et de la procréation à une époque où l’individualisme a pris le pas sur le sens du collectif. Dans le domaine de la sphère privée, l’Etat n’a rien à faire ou peu de choses.
L’accord écrit de gestation pour autrui en Grèce suppose un contrôle du juge préalablement à l’implantation de l’embryon afin de vérifier que le contrat est gratuit. S’il doit y avoir encadrement du contrat sur ce point, c’est incontestablement une limite au consensualisme et ceci, d’autant plus que l’encadrement doit sans doute s’élargir à la question de l’intermédiaire dans la transaction. Au demeurant, celui-ci doit-il également proposer une prestation gratuite et l’intermédiaire sera-t-il alors une association 1901 ? Le rôle de l’avocat, comme en Californie, ne sera pas admis, rôle pourtant bien utile comme conseil et organisateur. Le devoir de conseil va jusqu’à l’assurance d’un consentement éclairé pour la mère porteuse et d’une acceptation avertie pour les parents. Une association peut aussi jouer ce rôle mais sans la responsabilité personnelle de ses actes.
Le principe « Mater semper certa est », qui est parfois invoqué pour interdire [32] la GPA n’a rien d’un principe de base naturel puisque certes, il garantit à l’enfant l’évidence de sa filiation maternelle mais rappelons, qu’historiquement parlant, le droit romain dont est largement issu notre législation, préférait les agnats [33] aux cognats [34] . C’est la puissance paternelle qui conférait le droit à succéder et déterminait l’appartenance au clan. Certes la procréation assistée n’existait pas à Rome mais c’est par une mauvaise traduction de l’adage que l’on comprend « la mère est celle qui accouche » alors que cela signifie seulement que« la mère est toujours certaine » au sens de « identifiable ». Vérité première qui ne va pas au-delà de ce qu’elle dit. Les pères qui auront désiré et, dans les couples gay, ceux qui auront, tous les deux ainsi été à l’origine de l’enfant, ont bien le droit d’être parents.
L’équilibre de l’enfant est aussi souvent mis en avant pour écarter le principe de la GPA. Mais peut-on vraiment assurer que tout est parfait dans un couple fait d’un homme et d’une femme ? Plus sérieusement, le trouble paraît plus grand pour les enfants sans état civil à cause de la loi actuelle pénalisante que dans le cadre d’une GPA où le couple gay aura souhaité, désiré et organisé la naissance. L’aboutissement d’un projet de couple est bien une assurance de bien être [35] pour l’enfant à venir.
* * *
La réalité matrimoniale est maintenant devenue une réalité où les sexes ne sont plus complémentaires et le pouvoir sur le corps de l’autre est limité à l’amour sans la nécessité de la procréation. Lorsque celle-ci réapparaît, il appartient au juriste de rendre techniquement possible la filiation avec l’adoption, la procréation assistée et la gestation pour autrui.