Un employeur peut-il prévoir d’interdire toute consommation d’alcool par le biais du Règlement intérieur de l’entreprise ? Par Gabrielle Fingerhut, Avocat.

Gabrielle FINGERHUT
Avocat à la Cour

Droit du travail - Droit pénal - Droit pénal du travail - Droit de la famille
Ancien secrétaire de la Conférence http://www.cabinetfingerhut-avocat.com/

gf chez cabinetfingerhut-avocat.com

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Explorer : # proportionnalité # sécurité au travail # libertés individuelles # réglement intérieur

Commentaire de l’arrêt CE 8-7-2019 n° 420434 : La question de la limitation des droits des salariés est toujours épineuse. Elle doit être mise en balance avec l’obligation de l’employeur de protéger la santé et de veiller à la sécurité des salariés.
Dès lors, si la question du droit de l’employeur à interdire la consommation d’alcool à ses salariés sur leur lieu de travail peut paraitre simple, en droit social, comme pour toutes les questions paraissant simples… la réponse est souvent compliquée.

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A. Le règlement intérieur de l’entreprise peut, sous certaines conditions, comporter des dispositions limitant ou interdisant la consommation d’alcool.

L’arrêt du Conseil d’Etat en date du 8 juillet 2019 le rappelle, le règlement intérieur de l’entreprise s’il peut comporter des dispositions limitant ou interdisant la consommation d’alcool, ne peut le faire que sous certaines conditions restrictives.

De fait, la notion de proportionnalité de mesures restrictives a toujours été déterminante en cas de restrictions des libertés individuelles.

Ainsi, une « tolérance zéro alcool » d’un règlement intérieur peut-être valable, seulement à la condition que les postes des salariés visés par l’interdiction de consommer de l’alcool soient détaillés et que l’employeur soit en mesure de justifier le caractère proportionné de l’interdiction en se fondant notamment sur le document unique d’évaluation des risques.

B. Rappel des faits et de la procédure.

En l’espèce, une société, spécialisée dans la fabrication d’équipements pour automobile, a révisé son règlement intérieur dont la nouvelle version, entrée en vigueur le 20 novembre 2012, comprenait une « annexe au règlement intérieur concernant les contrôles d’état d’ébriété ».

Cette annexe précisait que les salariés occupant des « postes de sûreté et de sécurité ou à risque », étaient soumis à une « tolérance zéro alcool ». A noter que ces postes étaient précisément décrits par ladite annexe.

L’Inspecteur du travail avait été alerté par des salariés souhaitant le retrait de cette disposition. De fait, l’article L. 1322-1 du Code du travail confère des pouvoirs à l’Inspecteur du travail en matière de retrait des dispositions du règlement intérieur notamment « L’inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 1321-1 à L. 1321-3 et L. 1321-6 ».

A cet égard, l’article L1321-3 du Code du travail prévoit que :
« Le règlement intérieur ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu’aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise ou l’établissement ;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

En application de ce texte, l’Inspecteur du travail avait ne l’espèce exigé le retrait immédiat de la disposition du règlement intérieur relative à l’interdiction de la consommation d’alcool par certains salariés de la société.

En première instance, les juges du fond rejetaient le recours exercé par l’employeur contre cette décision. Toutefois, le Conseil d’Etat sanctionnait l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

C. Une interdiction émanant de l’employeur justifiée par des raisons de sécurité et limitée strictement peut-être licite.

Le raisonnement du Conseil d’État repose sur la notion de proportionnalité préalablement abordée.

De fait, aux termes de l’article L.1321-3 du Code du travail, l’employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Ainsi, en principe et plus précisément, l’employeur ne peut pas insérer dans le règlement intérieur une clause interdisant de façon générale et absolue l’introduction et la consommation de toute boisson alcoolisée dans l’entreprise (CE 12-11-2012 n° 349365).

Toutefois, cette interdiction peut être justifiée par des impératifs de sécurité.

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que « l’employeur, qui est tenu d’une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d’accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il en déduit qu’à ce titre, il « peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail. En cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés ».

Dès lors, lorsqu’une disposition du règlement intérieur comporte une telle restriction, l’employeur doit la justifier et définir les salariés concernés. Toutefois, cela n’est possible qu’en respectant certaines limites fixées dans l’arrêt du Conseil d’état.

De fait, la restriction de l’autorisation de consommer de l’alcool doit être strictement limitée et les salariés concernés doivent identifiés par référence au type de poste qu’ils occupent.

En l’espèce, la liste des postes concernés figurait à l’annexe du règlement intérieur, tels à titre d’exemple, que les conducteurs d’engins de certains types, utilisateurs de plates-formes élévatrices, électriciens ou mécaniciens. Cette précision était satisfaisante.

Le Conseil d’État précise également que le règlement intérieur n’a pas à préciser les motivations de l’interdiction de consommer de l’alcool. De ce fait, il n’est pas nécessaire d’y ajouter les risques encourus par les salariés visés ni de se rapporter au document unique d’évaluation des risques (DUER).

A toutes fins utiles, une dernière précision sur la consommation d’alcool sur le lieu de travail doit être apportée ici.

De fait, l’Article R.4228-20 du Code du travail prévoit déjà qu’« aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail ».

Récemment, cet article a été complété par le décret 2014-754 du 1er juillet 2014, prévoyant que « lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur, en application de l’article L.4121-1 du Code du travail, prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché ».

Si ces dernières dispositions n’étaient pas applicables en l’espèce, les faits datant de 2012, la solution retenue par le Conseil d’Etat s’inscrit parfaitement dans ce mouvement législatif.

Gabrielle FINGERHUT
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