1. Principe : les enregistrements clandestins sont interdits en matière prud’homale.
En matière civile, une preuve n’est pas recevable si elle a été obtenue de manière déloyale ou illicite.
En effet, l’article 9 du Code de procédure civile, impose à chaque partie de produire aux débats des preuves conformes à la loi.
L’article 9 du Code civil dispose encore que chacun a le droit au respect de sa vie privée.
Enfin, l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui protège le droit au procès équitable et le principe d’égalité des armes, implique que les preuves susceptibles d’être produites devant un juge, soient recueillies loyalement.
Naturellement, enregistrer une personne contre son gré n’a rien de très loyal, ni de très légal.
Ainsi, il n’est pas possible d’enregistrer l’employeur à son insu [1].
Régulièrement, les enregistrements clandestins sont écartés des débats. Les juges doivent faire comme si ces enregistrements n’avaient jamais existé [2].
Peu importe si l’enregistrement clandestin a été retranscrit par un huissier de justice (que l’on appelle désormais commissaire de justice) [3].
Le juge peut seulement écouter ou visionner l’enregistrement, afin de vérifier si l’employeur avait conscience du fait qu’il était enregistré [4].
Si l’employeur sait qu’il est enregistré au cours d’une conversation, il doit le faire savoir clairement.
Le fait de dire : « Pourquoi tu enregistres ? », n’est pas suffisant afin de caractériser un refus d’être enregistré [5].
En revanche, les messages vocaux sont parfaitement recevables, car ils ne sont pas des enregistrements clandestins. L’expéditeur ne peut ignorer que son message vocal sera conservé dans le téléphone du destinataire [6].
De même, il est possible de prendre des notes d’une conversation ou un entretien, et de les retranscrire dans un compte-rendu [7].
2. Vers un assouplissement de cette interdiction de produire des enregistrements clandestins en matière prud’homale ?
Ces dernières années, la Cour de cassation semble assouplir sa jurisprudence concernant l’interdiction de produire des preuves obtenues de manière illicite.
En effet concernant des adresses IP non déclarées à la CNIL, la Cour de cassation a pu juger qu’une preuve illicite
« n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » [8].
En clair, une preuve illicite ne serait plus automatiquement écartée des débats.
Si cette preuve illicite est indispensable à la sauvegarde des droits de la partie qui la produit et que les atteintes aux droits de l’autre partie restent raisonnables, ladite preuve ne serait pas irrecevable.
Une décision similaire a été rendue concernant un système de vidéosurveillance illicite, utilisé contre un salarié [9].
En ce qui concerne des enregistrements clandestins, certaines décisions démontrent que cette jurisprudence est parfois appliquée [10].
Pour illustration, la Cour d’appel de Bourges, a pu décider que :
« Dès lors, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Or, il n’apparaît pas en l’espèce que cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur » [11].
Dans d’autres affaires, certaines décisions récentes continuent d’appliquer le rejet automatique des enregistrements clandestins, du fait de leur caractère déloyal et illicite [12].
Il est donc encore trop tôt pour affirmer que les enregistrements clandestins sont désormais admis devant le Conseil de prud’hommes.
En effet, à partir de quand un enregistrement clandestin est-il indispensable dans le cadre d’un contentieux ?
À partir de quand un enregistrement clandestin porte-t-il une atteinte proportionnée aux droits de la partie adverse ?
Existe-t-il des intérêts ou des circonstances qui rendent plus facilement acceptable cette entorse au principe de la loyauté et de la licéité de la preuve ?
Ces questions n’ont pas encore trouvé de réponses certaines.
Dans un proche avenir, il est probable que la Cour de cassation soit amenée à préciser sa jurisprudence sur le sujet.
Cette incertitude jurisprudentielle ne démontre qu’une chose : qu’il ne vaut mieux pas faire reposer l’intégralité de son dossier sur des enregistrements effectués à l’insu de son adversaire.
D’autant plus qu’un enregistrement clandestin peut sérieusement nuire à la crédibilité de la partie qui le produit, cette personne pouvant donner l’image d’un justiciable malhonnête, prêt à tous les coups bas pour gagner.
3. En matière pénale, les enregistrements clandestins sont recevables, mais…
Dans le cadre d’une procédure pénale, si les autorités publiques ou judiciaires sont tenues de respecter un principe de loyauté de la preuve [13], ce n’est pas le cas d’un salarié qui ferait l’objet d’une telle procédure.
Devant une juridiction pénale, une preuve produite par les parties privées, ne peut être écartée au seul motif qu’elle aurait été obtenue de manière illicite ou déloyale [14].
Il est donc parfaitement possible de produire, devant une juridiction pénale, un enregistrement clandestin [15].
Mais si le salarié entend porter plainte, produire ses enregistrements illicites et espérer ensuite se prévaloir de la décision rendue par la juridiction pénale, ce procédé reste très imparfait.
En premier lieu, les faits reprochés à l’employeur doivent être constitutifs d’une infraction.
De nombreux faits dans une relation de travail, ne concernent tout simplement pas la matière pénale.
Par exemple, si un salarié a été licencié pour ne pas avoir atteint ses objectifs et qu’un enregistrement de l’employeur démontre le contraire, on ne voit pas sur quel fondement le salarié pourrait déposer plainte.
Au surplus, une procédure pénale est semée d’embûches pour un salarié.
Si le parquet classe la plainte sans suite, décision hautement probable au regard de l’engorgement général des juridictions françaises, le salarié devra effectuer une constitution de partie devant le doyen des juges d’instruction, ou effectuer une citation directe.
Et ce ne sera pas sans conséquences : entre le risque de paiement d’une amende civile et le risque de paiement de dommages et intérêts envers l’employeur en cas d’abus de constitution de partie civile ou de citation directe abusive, le salarié a de quoi avoir des sueurs froides.
De plus, l’employeur peut très bien déposer plainte pour dénonciation calomnieuse.
Sauf si l’enregistrement clandestin permet de démontrer, avec certitude, l’existence de faits graves de la part de l’employeur, comme par exemple, une discrimination ou un harcèlement sexuel, mieux vaut éviter de passer par une procédure pénale.
4. Enregistrer clandestinement un employeur vous expose à un risque de poursuites pénales.
Le fait d’enregistrer clandestinement son employeur est une infraction pénale, sanctionné par l’article 226-1 du Code pénal, lequel dispose que :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci ».
Le salarié qui enregistre son employeur n’est donc pas à l’abri de poursuites pénales de la part de ce dernier.
Certes, dans un domaine similaire, le vol de documents appartenant à l’entreprise, la jurisprudence estime que le salarié n’est pas coupable lorsque les documents ont été obtenus à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et lorsque leur production était strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le cadre d’une procédure prud’homale [16].
Ce fait justificatif, qui s’apparente à l’état de nécessité [17], et qui répond à des conditions strictes, pourrait éventuellement être invoqué, par le salarié, lorsqu’il n’a pas eu d’autre choix que d’enregistrer son employeur de manière clandestine et que l’enregistrement n’est limité qu’à des conversations professionnelles, directement en lien avec des faits pouvant appuyer des prétentions prud’homales.
Néanmoins, en l’absence d’une décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui étendrait aux enregistrements clandestins, sa jurisprudence en matière de vols de documents, le salarié doit rester prudent et bien réfléchir à l’utilisation d’un enregistrement clandestin.
En conclusion.
Devant le Conseil de prud’hommes, un enregistrement clandestin a encore de fortes chances d’être irrecevable.
Il est encore trop incertain d’affirmer que la jurisprudence récente permet d’utiliser ce genre de mode de preuve.
Même en produisant un tel enregistrement dans le cadre d’une procédure pénale, le salarié n’est pas à l’abri d’un retour de flammes.
Discussions en cours :
Bonjour,
Donc quand l’employeur produit un enregistrement fait à l’insu du salarié c’est légal mais pas l’inverse.
Comment faire quand lors d’un entretien dans une salle de réunion le salarié se retrouve seul face à son supérieur et que celui-ci tient des propos soient blessant, humiliant, raciste ou autre, comment fait le salarié pour amener la preuve que son supérieur à tenu ces propos.
Un entraineur est enregistré sans son consentement par un joueur avec son téléphone portable pour prouver qu’il crie dans les vestiaires d’un club et se voit accuser de faire des menaces phychologiques sur ce joueur. Il enregistre, dans le but de prouver qu’il serait "harceler par l’entraineur et aurait un régime de défaveur". Qu’en est-il ? Nous avons dû expulser ce joueur car il a commis une infraction suivant l’article 226-1 du code pénal.
Nous avons aussi une commission de litige dans un district de football qui utilise des vidéos de spectateurs pour montrer la faute d’un joueur afin de le sanctionner, pour une bagarre, sur le parking du stade. Est-ce que ces vidéos ont droit d’être exploitées par cette commission pour établir une sanction de l’auteur ?
Bonjour j ai été enregistrée par un collègue a mon Insu sur mon poste de travail et ma conversation a été envoyée à mon employeur que dois je faire svp ?
Mon employeur , m a convoqué et en fin de période probatoire sur un poste à refuser de m affecter mon poste.
Cf Cass 6.12.2023 Arrêt n° 2148 F-D
En matière prud’homale, la preuve est libre.
https://www.courdecassation.fr/decision/65701db1604055831871b0a9?search_api_fulltext=%22494-9%22%20%22Code%20civil%22&judilibre_juridiction=cc&op=Rechercher%20sur%20judilibre&page=2&previousdecisionpage=2&previousdecisionindex=1&nextdecisionpage=2&nextdecisionindex=3