La fiscalité des cryptoactifs à l’épreuve d’une qualification juridique instable.

Par Laura Jaricot, Avocate* et Mathilde Nolin, Fiscaliste.

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Explorer : # fiscalité des crypto-actifs # réglementation des crypto-monnaies # Évolution législative # non fungible tokens (nfts)

Depuis une dizaine d’années, le marché des crypto-actifs ne cesse d’évoluer et tend à s’inscrire de manière durable dans la vie économique de notre pays et du monde entier, dans les relations entre particuliers et/ou professionnels, personnes physiques et/ou personnes morales.

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A l’instar du Salvador qui a adopté en septembre dernier le bitcoin en tant que monnaie nationale (« Le Ley Bitcoin ») ou encore Lionel Messi en août dernier qui s’est vu attribuer une partie de sa rémunération en « fans tokens », les crypto-actifs lancés en 2018 par un célèbre club de foot parisien.

Le législateur n’a donc de cesse que de faire évoluer son régime juridique et fiscal au regard de la croissance généralisée de ce nouvel outil numérique.

1. Fiscalité des crypto-actifs (currency ou utility tokens).

La définition juridique du bitcoin et de la crypto-monnaie en général n’a pas toujours été aisée et a par ailleurs récemment été mise à mal s’agissant de cette nouvelle législation étrangère précitée.

Cela ne fait qu’illustrer la difficulté pour le législateur de fixer un régime clair et pertinent s’agissant notamment du traitement fiscal des crypto-monnaies en droit français.

C’est en 2014 que les premiers commentaires de l’Administration fiscale commencent à définir le bitcoin comme « une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal ».

De ces dispositions, l’Administration fiscale en déduit deux régimes d’imposition :

- Lorsqu’ils sont occasionnels, les gains tirés de cette activité sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux [1] ;
- Si l’activité est exercée à titre habituel, les gains tirés de cette activité relèvent du régime d’imposition des bénéfices industriels et commerciaux [2].

Par ailleurs, l’Administration fiscale en profite pour préciser que les bitcoins entrent dans l’assiette des transmissions à titre gratuit soumises aux droits de mutation.

Le 26 avril 2018, le Conseil d’Etat (décision n° 417809) va procéder à l’annulation partielle d’une partie des commentaires administratifs et va venir préciser les contours d’un premier régime fiscal propre aux bitcoins et autres crypto-monnaies.

Dans sa décision, la Haute Juridiction qualifie tout d’abord les bitcoins de « biens meubles incorporels ».

Une fois ce nouveau principe posé, le Conseil d’Etat en déduit trois régimes fiscaux distincts :
- Les plus-values réalisées par les particuliers sont alors taxées selon les dispositions de l’article 150-UA du CGI (plus-values sur biens meubles) ;
- Les revenus tirés de la cession de bitcoins obtenus par minage (le minage consiste dans l’activité informatique de maintien de l’intégrité et de fonctionnement du réseau d’une blockchain. Les personnes consacrant leur matériel informatique à cette activité obtiennent en échange des crypto-monnaies) sont imposés selon le régime des BNC ;
- Les gains provenant de « la cession à titre habituel, d’unités de bitcoin acquises en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble, dans des conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale » sont imposés dans la catégorie des BIC.

Toutefois, c’est au travers de la loi de finances 2019 (loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018) et de la loi « PACTE » (loi n°2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 que le législateur va procéder à une avancée majeure en la matière.

Dans un premier temps, la loi « PACTE » va venir créer un nouveau produit d’investissement à part entière, défini en son article 86, à savoir, les « actifs numériques ».

Ces dispositions ont été retranscrites à l’article L54-10-1 du CMF qui dispose que :

« Pour l’application du présent chapitre, les actifs numériques comprennent :
1° Les jetons mentionnés à l’article L552-2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L211-1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L223-1 ;
2° Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement
 ».

En parallèle, la Loi de finances pour 2019 va venir créer un régime fiscal propre à cette nouvelle catégorie des « actifs numériques », à l’article 150-VH bis du CGI.

Cet article prévoit que les plus-values réalisées à compter du 1er janvier 2019 par les personnes physiques lors de la cession occasionnelle à titre onéreux d’actifs numériques sont imposées à la flat-tax au taux global de 30% (12,8% au titre de l’impôt sur les revenus et 17,2% au titre des prélèvements sociaux).

Il est également prévu que les contribuables sont exonérés d’imposition lorsque la somme des prix de cession, hors opérations d’échanges en sursis d’imposition, n’excède pas 305 euros au cours de l’année d’imposition.

Les échanges sans soultes entres actifs numériques bénéficient d’un sursis d’imposition et ne sont donc pas imposables l’année de l’échange (ex : obtenir des Ethereum en échange d’un Bitcoin ou encore échanger un Bitcoin contre des stablecoins). Il s’agit d’une méthode assez classique des investisseurs pour échapper à l’impôt, tout en se soustrayant à la volatilité des cours des cryptomonnaies classiques : en échangeant ces dernières contre des stablecoins, ils bénéficient d’un sursis d’imposition (échange de crypto-actifs).

Seules les conversions en monnaie ayant cours légal sont imposables.

Cette même Loi de finances est également venue instaurer une nouvelle obligation déclarative à la charge des contribuables qui détiennent des comptes d’actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger par l’intermédiaire de l’imprimé n°3916-bis sous peine d’une amende de 1.500 euros par compte et par année non déclarée.

Néanmoins, les actifs numériques détenus au travers d’un « hardware wallet » et non pas par l’intermédiaire d’un compte spécifique d’actifs numériques, ne sont pas concernés par cette obligation déclarative (de même, par définition, les actifs détenus au travers d’une plateforme française, telle que Coinhouse ou Paymium, n’ont pas à être déclarés sur un formulaire 3916-BIS).

Ceci étant dit, il semblerait que les crypto-actifs n’aient pas dit leur dernier mot s’agissant de leur qualification comme le démontre une question posée récemment par le député, Monsieur Jean-Michel Mis, sur les conséquences en matière juridiques et fiscales de la reconnaissance du bitcoin en tant que devise par la République du Salvador.

Cette nouvelle la loi adoptée par le Salvador fait renaître le débat sur la qualification juridique qu’il convient de donner au bitcoin et plus généralement aux crypto-actifs.

En effet, dans cette hypothèse, les bitcoins ne correspondraient plus en tant que tel à un « actif numérique » mais plutôt à une « devise étrangère » au regard de la loi française.

La Banque de France avait d’ores et déjà eu à répondre à cette question dans une communication diffusée le 5 mars 2018 dans laquelle elle indiquait que les crypto-actifs ne pouvaient être qualifiés de monnaies dans la mesure où ils ne répondaient pas aux trois fonctions dévolues classiquement à cette dernière, à savoir : être une unité de compte, un intermédiaire des échanges et permettre une réserve de valeur.

En tout état de cause, cette analyse est battue en brèche au regard de cette nouvelle législation.

En outre, si une qualification en tant que « devise » venait à être retenue pour le bitcoin, c’est le régime fiscal actuel tout entier qui viendrait à être remis en cause s’agissant tant des particuliers que des professionnels dans la mesure où il ne s’agirait plus d’appliquer le régime propre aux « actifs numériques », mais le régime propre aux devises étrangères et donc des biens meubles incorporels.

Dans cette hypothèse, il s’agirait de revenir au principe posé initialement par la décision du Conseil d’Etat de 2018 mentionnée supra.

Ainsi, il ne fait aucun doute sur le fait que ce régime est voué à évoluer dans les prochaines années, comme il n’a cessé de le faire jusqu’à aujourd’hui.

A ce sujet, un rapport de l’Assemblée Nationale sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information relative aux crypto-monnaies en date du 1er décembre 2021 fait état des évolutions permanentes des crypto-monnaies et de leurs impacts sur la vie économique française.

Ce document, qui fait suite à la mission d’information relative aux monnaies virtuelles qui avait enregistré un rapport en date du 30 janvier 2019 devant l’Assemblée Nationale a pour objet de donner les clés de compréhension de cette nouvelle technologie, à travers différentes recommandations, permettant à la législation française d’avancer sur ce point tout en ayant à l’esprit les différentes problématiques, actuelles ou à venir, liées aux actifs numériques.

Ce rapport met ici en lumière les recommandations fiscales qui ont été satisfaites, ou pas, à travers notamment le projet de loi de finance pour 2022.

Une partie des propositions qui y sont formulées ont été portées et satisfaites à travers la Loi « PACTE » et la Loi de finances pour 2019.

Inévitablement, les crypto-monnaies se sont donc invitées dans les propositions du projet de Loi de finances pour 2022 à travers le dépôt d’une multitude d’amendements faisant écho aux recommandations listées dans ce rapport.

Même si une majorité de ces amendements n’ont pas été retenus, deux propositions ont tirées leur épingle du jeu devant les députés en première lecture.

Un premier amendement, qui a été adopté par les députés, propose aux particuliers cédants d’actifs numériques de pouvoir opter s’ils le souhaitent à une imposition au barème progressif.

A ce jour, il était seulement prévu une imposition à la flat-tax à un taux global de 30%.

A partir du 1er janvier 2023, les contribuables dont le taux d’imposition est inférieur à 12,8% au titre de l’impôt sur le revenu auront donc l’opportunité d’opter pour le barème progressif de l’impôt.

Par ailleurs, un second amendement a été adopté devant l’Assemblée visant à faciliter l’appréciation des opérations réalisées à titre occasionnel ou professionnel.

A ce jour, aucune disposition législative ne permet de distinguer clairement s’il s’agit d’une opération réalisée à titre occasionnel ou professionnel.

La doctrine administrative fonde jusqu’à maintenant son analyse sur la base de critères plutôt quantitatifs liés à la fréquence des opérations caractérisant l’habitude, le montant des opérations et les conditions d’exercice de l’activité.

Néanmoins, ces critères, notamment celui de la fréquence, posent un certain nombre de problèmes d’appréciation au regard de la nature même de ces opérations qui sont de facto des opérations réalisées avec une fréquence importante de par la forte volatilité qui caractérise ces actifs numériques et le marché qui les supporte.

Un particulier pouvait donc être amené à réaliser de nombreuses transactions sur un court laps de temps sans pour autant que l’on puisse considérer qu’il agissait dans le cadre d’une activité professionnelle.

Afin de lever le doute sur cette incertitude, ce nouvel amendement propose donc que les bénéfices réalisés par des particuliers issus des opérations sur des actifs numériques relèvent du même régime d’imposition que les opérations en bourse (CGI., art.92).

Il est donc prévu d’une part que le caractère professionnel des activités d’achat-vente d’actifs numériques soit apprécié dans des conditions similaires aux opérations de bourse, c’est-à-dire au regard de critères cette-fois-ci qualitatifs liés à la supériorité de la somme annuelle globale perçue au titre de cette activité par rapport aux autres revenus du foyer fiscal, ou par le recours à des outils professionnels particuliers.

Par ailleurs, ce même amendement prévoit que les revenus tirés de cette activité, et dans les mêmes conditions que des opérations de bourse, relèvent non plus de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) mais de la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).

Dans ces conditions, il conviendra pour l’Administration fiscale d’apprécier cette activité non plus au regard de critères quantitatifs mais de privilégier des critères qualitatifs afin d’adapter son analyse à la nature tout à fait particulière et complexe des crypto-monnaies.

Le Sénat a rejeté en seconde lecture l’ensemble du projet de loi de finances pour 2022 qui a cependant été adopté en lecture définitive par l’Assemblée le 15 décembre dernier.

Le 16 décembre, le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés.

Le 28 décembre, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision et a jugé partiellement conforme la Loi de finances pour 2022, toutefois sans incidence en matière de crypto-actifs.

La loi a définitivement été promulguée puis publiée au JORF le 31 décembre 2021 (Loi n°2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022).

Une chose est néanmoins certaine, ce régime n’a pas terminé d’évoluer au regard de la conjoncture actuelle des crypto-monnaies qui promet de prochaines années riches en rebondissements.

2. La fiscalité des Non Fungible Tokens (« NFT »).

Les NFT sont des actifs numériques émis par une blockchain, à la manière des crypto-monnaies.

Contrairement à n’importe quelle autre monnaie, les NFT sont uniques et non substituables. Ils sont assimilables à des certificats de propriété rattachés à un objet numérique.

Leur utilisation est exponentielle dans le domaine du sport ou de l’art notamment.

Du fait de leur difficile qualification juridique, la fiscalité des NFT est incertaine.

Ainsi, un amendement au PLF 2022 visait à assujettir les NFT au régime fiscal de l’actif sous-jacent qu’ils représentent (les NFT ayant vocation à garantir l’authenticité de biens dans tous les secteurs).

S’agissant par exemple d’une œuvre d’art numérique, la plus-value dégagée lors de la cession de ce NFT aurait été déterminée et taxée comme en matière de cession d’objets et métaux précieux, à savoir 6% du prix de cession (si > 5.000 euros) ou option pour la taxation selon le régime des plus-values sur biens meubles (PV imposable à 19% après abattement de 5% par année de détention au-delà de la 2ème, + 17,2% de prélèvements sociaux).

Cet amendement a cependant été rejeté, au motif qu’il serait trop tôt pour légiférer sur le régime fiscal des NFT sans en avoir une définition juridique claire.

Cette ébauche de régime fiscal aurait pourtant permis de faire la distinction entre un actif numérique interchangeable et un actif numérique non fongible représentant une nouvelle illustration d’un titre de propriété privée.

En conséquence, à ce jour, les NFT sont soumis à la même fiscalité que les crypto-monnaies, faisant pour l’instant partie de la grande famille des « actifs numériques ».

Gageons que leur sort devrait évoluer rapidement, au vu de leur utilisation croissante ; à cet égard, une mission sur les NFT, abordant notamment la question de leur fiscalité, a été confiée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique à M° Jean Martin, qui devrait rendre ses conclusions d’ici juin 2022.

Laura Jaricot / Mathilde Nolin
Avocate associée / Fiscaliste
Mossé & Associés

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[1(BNC - art. 92 du CGI) (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40).

[2(BIC - art. 34 du CGI. (BOI-BIC-CHAMP-60-50).

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