Harcèlement moral : pourquoi un employeur doit-il diligenter une enquête interne ?

Par Eric Rocheblave, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # enquête interne # obligation de sécurité # prévention des risques professionnels

L’employeur qui a connaissance de l’existence éventuelle de faits de harcèlement moral ou sexuel doit effectuer les enquêtes et investigations lui permettant d’avoir la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés et de prendre les mesures appropriées.

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Diligenter une enquête interne est obligatoire pour les employeurs en présence d’allégations de harcèlement moral.

L’abstention de l’employeur est fautive [1].

L’absence d’enquête interne, suite à l’allégation d’un harcèlement moral, constitue une violation par l’employeur de son obligation de prévention des risques professionnels, même si aucun agissement répété de harcèlement moral n’a été établi [2].

Des allégations de harcèlement « devaient nécessairement alerter le dirigeant de la société et conduire a minima une enquête interne sur le fonctionnement de l’établissement » [3].

L’enquête interne est destinée à clarifier les allégations de harcèlement moral.

Pour la Cour d’appel de Montpellier, lorsque l’employeur est informé par une salariée de ce qu’elle considérait être victime de harcèlement moral, l’enquête interne est destinée à clarifier les faits [4].

L’enquête interne est destinée à recueillir les témoignages des salariés.

Pour la Cour d’appel de Metz, « un employeur étant informé de faits potentiellement fautifs est tout à fait fondé à effectuer une enquête interne préalablement à l’engagement d’une procédure disciplinaire et, dans ce cadre, à rassembler des attestations de salariés », « Rien ne permet de remettre en cause l’existence d’une enquête interne ayant permis de recueillir les témoignages des salariés » [5].

Le rapport d’enquête interne présente une valeur probante.

A l’instar d’un rapport d’expertise privée, un rapport d’enquête interne présente une valeur probante dès lors qu’il respecte les droits de la défense (c’est-à-dire que le salarié a eu la possibilité d’en prendre connaissance et de présenter ses observations) et qu’il est conforté par un (ou plusieurs) autre(s) élément(s) de preuve [6].

Dans la mesure où le rapport d’enquête interne sur lequel la mesure de licenciement repose en partie, a été porté à la connaissance du salarié de façon contradictoire et exhaustive avec l’ensemble des témoignages recueillis, avant la réunion de la commission disciplinaire devant laquelle il a comparu, l’exigence de transparence et d’information du salarié a été remplie [7].

Ne pas diligenter d’enquête interne ou diligenter tardivement une enquête interne constitue un manquement grave de l’employeur justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.

Pour la Cour d’appel de Douai, lorsque « ce n’est que très tardivement soit après réception du courrier de prise d’acte de la rupture, intervenu pourtant plusieurs semaines après la première dénonciation, que l’employeur a consenti à faire diligenter une enquête interne », ce fait « constitue un manquement grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail à ses torts exclusifs » [8].

L’employeur qui ne diligente pas d’enquête interne manque à son obligation de sécurité.

L’article L4121-1 du Code du travail dispose que les employeurs doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Pour la Cour d’appel de Montpellier, manque à son obligation de sécurité, l’employeur, informé par une salariée de ce qu’elle considérait être victime de harcèlement moral de la part d’une autre salariée, n’a mené aucune enquête interne destinée à clarifier les faits.

Conséquences, dans cette espèce, l’employeur a été condamné à verser à la salariée 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité [9].

De même, pour la Cour d’appel de Paris, lorsqu’aucune enquête n’a été diligentée par l’employeur suite à la dénonciation de faits de harcèlement, il est alloué à la salariée la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du non-respect de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur [10].

Pour la Cour d’appel de Colmar, lorsque « aucune enquête interne n’a été effectuée », « l’employeur ne justifie pas avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail ; » [11].

L’employeur qui diligente une enquête interne « apporte le traitement adéquat ».

Pour la Cour d’appel de Paris « en procédant à une enquête interne qui a abouti à la mise à pied de la personne impliquée en raison du comportement décrit par X. L’employeur a ainsi fait preuve de diligence dans le traitement des difficultés portées à sa connaissance auxquelles il a apporté le traitement adéquat » [12].

Pour la Cour d’appel de Pau, « l’employeur n’a commis aucun manquement à l’obligation de sécurité alors qu’il a déclenché, dès qu’il a eu connaissance des faits de harcèlement moral dénoncés par la salariée, une enquête interne et qu’il a invité cette dernière à s’expliquer sur ses accusations dans le cadre de cette enquête » [13].

Pour la Cour d’appel de Versailles, l’employeur qui a « immédiatement diligenté une enquête interne » , n’a pas manqué à « son obligation de sécurité de résultat et ses obligations de prévention » [14].

En l’absence d’enquête interne, les sanctions disciplinaires sont annulées.

Pour la Cour d’appel de Bordeaux, « le doute devant profiter au salarié et l’employeur n’ayant pas vérifié par une enquête interne les justifications circonstanciées du salarié, le jugement sera confirmé en ce qu’il a annulé l’avertissement » [15].

L’enquête interne peut-être secrète suite à des allégations de harcèlement moral.

Selon l’article L1222-4 du Code du travail, « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».

Si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal.

Cependant, une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L1222-4 du Code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié [16].

L’employeur n’a pas l’obligation de communiquer le compte rendu de l’enquête interne préalablement à la procédure de licenciement.

Pour la Cour d’appel de Versailles,

« Si l’article L 1232-3 du Code du travail fait obligation à l’employeur d’indiquer au cours de l’entretien préalable au salarié dont il doit recueillir les explications le motif de la sanction envisagée, il ne lui impose pas de communiquer à ce dernier les pièces susceptibles de justifier de la sanction ;

L’employeur n’a ainsi pas l’obligation de communiquer les pièces et compte rendu d’enquêtes internes préalablement à la procédure de licenciement » [17].

Le délai de prescription disciplinaire commence à courir à la date de la clôture de l’enquête interne.

Aux termes de l’article L1332-4 du Code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Par conséquent, dès que l’employeur a connaissance d’une faute commise par un salarié, il dispose d’un délai de deux mois pour le convoquer à un entretien préalable ou lui adresser un avertissement.

C’est le jour où l’employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, a connaissance du fait fautif qui fixe le point de départ du délai de deux mois.

C’est seulement le jour où l’employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur du fait fautif, qui fixe le point de départ du délai de deux mois.

Ainsi, lorsqu’une enquête interne est diligentée, le délai de prescription commence à courir à la date de la clôture de l’enquête [18].

L’enquête interne menée par l’employeur lui-même ou ses salariés (ex : direction des ressources humaines) peut être jugée impartiale.

Comme le souligne la Cour d’appel de Papeete,

« il n’est pas prévu de règles particulières s’agissant les modalités de l’enquête interne que l’employeur doit diligenter » [19].

Toutefois, la jurisprudence conditionne la validité d’une enquête interne à son impartialité.

Pour la Cour d’appel de Versailles, l’enquête interne établie par la « responsable des relations sociales », « salariée de l’entreprise », « n’a pas été réalisée dans des conditions garantissant son impartialité » [20].

La Cour d’appel de Grenoble a jugé que des

« témoignages recueillis par l’employeur à partir d’un même questionnaire élaboré par ce dernier, constitué de questions très fermées et très orientées, ne laissant aucune place à la spontanéité et la liberté de parole des salariés dont les réponses très similaires alimentent un dossier à charge de la salariée qui avait dénoncé une situation de souffrance au travail, cette enquête interne apparaissant dans ces conditions plutôt comme un dévoiement de ce que l’employeur qualifie, sans en convaincre la cour, d’enquête pour prendre la mesure des faits dont se plaignait la salariée » [21].

Pour la Cour d’appel de Pau, « si aucun formalisme n’est prévu s’agissant du déroulement de l’enquête et si l’employeur a toute liberté dans la composition de la commission d’enquête sauf dispositions conventionnelles contraires, il demeure que l’enquête menée se doit d’être impartiale » [22].

Les droits des salariés entendus dans le cadre d’une enquête interne.

Le respect du principe du contradictoire et plus largement des droits fondamentaux doit être garanti au cours de l’enquête interne.

Pour la Cour d’appel de Versailles, « le salarié accusé doit être entendu lors de l’enquête interne, comme la salariée se plaignant de ses agissements et les membres de son équipe, et être mis à même d’indiquer s’il avait des éléments factuels à fournir afin d’étayer sa propre version des faits » [23].

Aucune obligation légale n’impose à l’employeur d’organiser une confrontation dans le cadre d’une enquête interne.

Pour la Cour d’appel de Versailles, « aucune obligation légale n’imposait à l’employeur d’organiser une confrontation, s’agissant au surplus d’une enquête sur un comportement inappropriée par un supérieur hiérarchique envers une jeune salariée » [24].

Les employeurs peuvent charger un avocat d’une enquête interne.

Comme l’a souligné le Conseil National des Barreaux (CNB), « la discipline des enquêtes internes, est un parfait exemple des nouvelles activités de la profession d’avocat, qui naissent d’une évolution du droit ».

Les employeurs peuvent avoir recours à un avocat « enquêteur », un « collecteur de preuves » et d’informations pour qu’il diligente une investigation interne, soit dans une démarche de prévention ou en réponse à une alerte, soit alors même qu’une enquête sur l’existence potentielle de pratiques illicites en son sein et menée par une autorité administrative ou judiciaire est déjà ouverte.

L’avocat a pour rôle d’établir un rapport d’enquête établissant la matérialité ou l’absence de matérialité des faits allégués, identifiant les personnes impliquées.

Suite à ce rapport d’enquête, l’employeur peut aussi être conseillé par l’avocat sur l’évaluation des risques juridiques et mesures disciplinaires et de protections à prendre.

Éric ROCHEBLAVE
Avocat au Barreau de Montpellier
Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
http://www.rocheblave.com

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc. 29 juin 2011, 09-70.902.

[2Cass. Soc. 27 novembre 2019, 18-10.551.

[3Cour d’appel de Bordeaux - ch. sociale sect. B 29 avril 2021 / n° 18/06120.

[4Cour d’appel de Montpellier - ch. sociale 02 23 juin 2021 / n° 18/00774.

[5Cour d’appel de Metz - ch. sociale sect. 01 20 avril 2021 / n° 21/00350.

[6Cass. Soc. 4 juillet 2018, n° 17-18.241.

[7Cour d’appel de Paris - Pôle 06 ch. 08 24 juin 2020 / n° 17/07179.

[8Cour d’appel de Douai - ch. Sociale 28 mai 2021 / n° 1678/21.

[9Cour d’appel de Montpellier - ch. sociale 02 23 juin 2021 / n° 18/00774.

[10Cour d’appel de Paris - Pôle 06 ch. 11 22 juin 2021 / n° 19/05860.

[11Cour d’appel de Colmar - ch. sociale sect. A 18 mars 2021 / n° 21/362.

[12Cour d’appel de Paris - Pôle 06 ch. 04 17 mars 2021 / n° 18/12334.

[13Cour d’appel de Pau - ch. Sociale 18 mars 2021 / n° 18/02922.

[14Cour d’appel de Versailles - ch. 17 17 février 2021 / n° 18/04457.

[15Cour d’appel de Bordeaux - ch. sociale sect. B 25 mars 2021 / n° 18/04824.

[16Cass. Soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597.

[17Cour d’appel de Versailles - ch. 11 28 janvier 2021 / n° 19/02684.

[18Cour d’appel de Toulouse – ch. 04 sect. 02 18 juin 2021 / n° 2021/464.

[19Cour d’appel de Papeete - ch. Sociale 11 février 2021 / n° 19/00023.

[20Cour d’appel de Versailles - ch. 15 9 juin 2021 / n° 18/03330.

[21Cour d’appel de Grenoble - ch. sociale sect. B 24 juin 2021 / n° 19/01114.

[22Cour d’appel de Pau - ch. Sociale 15 avril 2021 / n° 18/03803.

[23Cour d’appel de Versailles - ch. 11 28 janvier 2021 / n° 19/02684.

[24Cour d’appel de Versailles - ch. 11 28 janvier 2021 / n° 19/02684.

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