Dès lors, le délai de prescription pour agir en nullité du licenciement en raison d’agissements de harcèlement moral, court à compter de la date de notification du licenciement, considéré en lui-même comme un acte de harcèlement moral, conformément à l’article 2224 du Code civil qui dispose que
« les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
1) Faits.
Une salariée a été recrutée le 19 avril 2 000 par une société, en qualité d’employée caisse, et a été licenciée le 17 novembre 2009 pour inaptitude et impossibilité de reclassement après avoir été placée en arrêt maladie à compter du 7 avril 2009 pour être finalement déclarée inapte à son poste par le médecin de travail le 9 octobre 2009.
C’est alors que la salariée a saisi le 17 novembre 2014 la juridiction prud’homale en vue de faire constater la nullité de son licenciement et condamner en conséquence la société à lui verser différentes sommes, notamment au titre du harcèlement moral.
La Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 28 juin 2019, a fait droit à la demande de la salariée, prononçant la nullité du licenciement et en reconnaissant par-là, la caractérisation du harcèlement moral dont elle a été victime.
En conséquence, l’employeur s’est pourvu en cassation pour contester l’action en réparation de harcèlement moral et la nullité du licenciement, sur le fondement de l’article 2224 du Code civil qui dispose en particulier que
« les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
2) Moyen.
L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que l’action en réparation du harcèlement moral n’était pas prescrite, et par-là, de dire le licenciement nul.
L’employeur soutient au contraire qu’en application de l’article 2224 du Code civil cité ci-dessus,
« l’action en réparation du préjudice résultant d’un harcèlement moral se prescrit par cinq ans à compter de la révélation du harcèlement, cette révélation étant constituée par la connaissance de tous les éléments permettant au salarié de s’estimer victime de harcèlement moral ».
Pour l’employeur à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, donc au 10 novembre 2014, les faits de harcèlement moral qui lui étaient imputés, étaient alors prescrits et ne pouvaient donc pas être invoqués.
A cet effet, l’employeur avance que dans les faits, et selon le rapport de l’inspecteur du travail du 15 octobre 2010, la salariée s’était présentée à l’inspection du travail le 9 septembre 2009 pour indiquer être en arrêt de travail pour dépression depuis avril 2009 et avoir fait l’objet d’une forme de harcèlement moral sur son lieu de travail.
Dès lors, conformément aux arguments présentés par l’employeur, il était donc établi que le 9 septembre 2009, date de déclaration d’inaptitude à son poste et non de licenciement qui a été notifié le 17 novembre 2009, la salariée connaissait d’ores et déjà les faits qui aurait pu lui permettre de faire reconnaître le harcèlement moral dont elle s’estimait victime.
En conséquence, selon l’employeur, le délai de prescription pour agir en justice courrait donc à partir du 9 septembre 2009 et non à compter du licenciement.
Par-là, l’employeur a conclu que la prescription de l’action en nullité du licenciement pour harcèlement moral était acquise le 10 septembre 2014, soit deux mois avant la date de saisine de la juridiction prud’homale le 10 novembre 2014, alors même que la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil interdit la prise en compte de faits de harcèlement moral couverts par elle.
3) Le délai de prescription de cinq ans pour agir en justice court à compter de la notification du licenciement.
La Cour de cassation répond que le délai de prescription pour agir en justice court à compter de la date de notification du licenciement, en précisant sur le fondement de l’article 2224 du Code civil que
« le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Dans les faits, la salariée qui avait subi de multiples agissements de harcèlement moral au-delà de sa mise en arrêt de travail pour maladie, avait donc bien jusqu’au 17 novembre 2014 pour saisir la juridiction prud’homale, au regard de la date de notification de son licenciement, le 17 novembre 2009, et non au regard du prononcé de son arrêt maladie le 7 avril 2009.
De cette manière, non seulement l’action engagée par la salariée n’était pas prescrite car le licenciement est en soi, considéré comme un acte de harcèlement, mais plus encore, les juges sont fondés à analyser
« l’ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission ».
Autrement dit, le juge peut prendre en considération tous les faits et actes qui lui sont soumis pour caractériser le harcèlement moral, quand bien mêmes ils ont été commis cinq ans auparavant, soit avant le délai de prescription.
C’est pourquoi l’argument de l’employeur selon lequel l’arrêt de travail ne peut pas être pris en compte par le juge est alors rejeté.
Cette solution se démarque en ce qu’elle est particulièrement favorable pour les salariés, leur délai pour agir en nullité du licenciement étant particulièrement rallongé, le licenciement étant considéré en lui-même, mais de manière toute implicite, comme un acte de harcèlement et enfin par le fait qu’un plus grand nombre de faits s’étant prolongés pendant plus de cinq ans, peuvent être ainsi pris en compte pour présumer l’existence d’un harcèlement moral.
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