Incantations juridiques et métamorphose du CDD en CDI.

Par Vincent Millet, Avocat.

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Ce que vous allez lire ici :

Le juriste doit prêter attention aux mots dans les contrats de travail à durée déterminée (CDD). L'absence de mentions essentielles peut mener à leur requalification en contrats à durée indéterminée (CDI), entraînant des conséquences juridiques importantes. Une rédaction précise est donc cruciale pour éviter des problèmes futurs.
Description rédigée par l'IA du Village

Le juriste, comme le sorcier, investit les mots d’un pouvoir dépassant leur sens.
Aussi sûrement qu’une incantation incomplète vous transformerait en crapaud, l’omission de certaines mentions obligatoires métamorphose le CDD en CDI.
L’enjeu n’est pas mince puisqu’une maladresse, un oubli, une formulation imprécise, et voilà que ce contrat, censé être temporaire, devient un engagement définitif avec toutes conséquences de droit.

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Pour maîtriser ce sortilège, il est nécessaire d’identifier quelles sont précisément les mentions dont l’omission transforme le contrat (I).

Cette opération peut en certaines circonstances s’avérer complexe (II).

Toutefois, le risque de requalification à raison de l’absence ou de l’inexactitude d’une mention obligatoire est circonscrit dans le temps (III).

I. La distinction entre mentions essentielles et mentions informatives.

A. Le motif de recours au CDD : incantation primordiale.

En application de l’article L1242-12 du Code du travail, le CDD doit comporter la définition précise de son motif, c’est-à-dire mentionner l’un des motifs de recours limitativement énumérés à l’article L1242-2 du même code.

À défaut, la jurisprudence a institué de longue date une présomption irréfragable [1] de requalification en CDI [2].

L’administration avait initialement indiqué que cette « définition précise du motif de recours » supposait non seulement d’énoncer l’un des motifs énoncés à l’article L1242-2, mais encore « toutes précisions permettant d’apprécier la réalité du motif mentionné dans le contrat » [3].

Elle n’a cependant pas été suivie par la Cour de cassation qui a jugé, par exemple, que la seule mention d’un « accroissement temporaire d’activité » constituait un motif précis pour justifier le recours à un CDD [4].

En conséquence, seule l’absence de mentions explicitement énoncées par les textes peut justifier la requalification.

B. Les autres mentions essentielles.

Certaines autres des mentions énumérées à l’article L1242-12, par leur seule absence, entraînent avec la même automaticité la requalification du CDD en CDI. En cela, elles peuvent être qualifiées d’essentielles.

Il s’agit des mentions suivantes :

  • Pour un CDD sans terme, la mention de la durée minimale du contrat [5].
  • Lorsque le CDD est conclu afin de remplacer un salarié absent, les mentions du nom et de la qualification du salarié remplacé.

Dans un arrêt confirmant le caractère essentiel de ces mentions, la Cour de cassation a expliqué le principe de leur identification :

« Et attendu, ensuite […] qu’est réputé à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée qui ne comporte pas la définition précise de son motif, et que cette exigence de précision quant à la définition du motif implique nécessairement que le nom et la qualification du salarié remplacé figurent dans le contrat […] » [6].

Les mentions dont l’omission peut à elle seule justifier la requalification en CDI sont donc celles qui participent directement à la définition précise du motif de recours.

C. Les mentions simplement informatives.

Du principe précédemment énoncé découle l’existence d’une seconde catégorie de mentions, plus large, celles dites simplement informatives.

Cette catégorie est constituée de l’ensemble des mentions énumérées à l’article L1242-12 qui n’ont pas été évoquées jusqu’ici, mais également des mentions imposées par des dispositions conventionnelles.

Dès lors qu’elles ne participent pas directement à la définition précise du motif de recours, leur absence ou leur inexactitude ne suppose pas une requalification automatique du CDD en CDI, mais une analyse plus concrète par le juge des circonstances de l’affaire.

Ainsi en a-t-il été jugé s’agissant :

  • De la convention collective applicable [7],
  • De la caisse de retraite et de prévoyance dont dépend le salarié [8],
  • De la rémunération et de ses différentes composantes [9].

II. Une distinction devenue mouvante.

Le cadre jurisprudentiel semblait bien établi, jusqu’à l’arrêt du 21 septembre 2017 (n° 16-17.241), par lequel la chambre sociale de la Cour de cassation a consacré un critère de distinction nouveau.

A. Présentation de la décision.

Un salarié, embauché dans le cadre de nombreux CDD d’usage mentionnant tout le poste de « comédien », avait en réalité exercé les fonctions d’assistant puis de doublure.

Il sollicitait la requalification de la relation contractuelle en CDI depuis son commencement en se fondant sur l’inexactitude du poste de travail désigné, mention rendue obligatoire au titre de l’article L1242-2 du Code du travail.

La Cour de cassation, pour rejeter sa demande, a posé le principe suivant :

« Mais attendu que l’absence ou le caractère erroné, dans le CDD d’usage, de la désignation du poste de travail n’entraîne pas la requalification en CDI lorsque l’emploi réellement occupé est par nature temporaire ».

B. Origines.

La décision peut surprendre. Néanmoins, elle s’inscrit dans une logique qui avait déjà été formulée.

La Cour de cassation avait estimé dans un arrêt du 19 avril 2000 que l’omission de la désignation du poste de travail justifiait la requalification du contrat en CDI,

« dès lors qu’elle empêchait le contrôle par le juge de la réalité du motif de recours » [10].

En l’occurrence, la réalité du motif de recours supposait à la fois, s’agissant de CDD d’usage :

  • qu’il soit permis de recourir à ce type de contrat dans le secteur d’activité concerné,
  • que l’emploi occupé soit par nature temporaire.

Les emplois réellement occupés répondant à ces 2 exigences, la juridiction suprême a considéré que l’inexactitude du poste de travail désigné ne justifiait pas la requalification.

Cette approche marque le délaissement d’un critère découlant d’une exigence légale - celle de la définition précise du motif de recours - au profit d’un autre critère, centré sur la réalité du motif de recours.

La prééminence du nouveau critère semble justifiée par sa capacité à répondre directement à l’objectif visé par le premier critère.

C. Critiques.

Une sécurité juridique fragilisée.

À un critère unique s’ajoute désormais un nouveau critère centré sur la réalité du motif de recours. L’ancien critère, cependant, n’est pas abandonné. Il continue d’être appliqué, comme l’illustre un arrêt récent [11].

Cette coexistence de deux critères, dont les rapports et l’articulation ne sont pas définis, compromet la logique d’ensemble et la lisibilité de la jurisprudence. Nécessairement, la sécurité juridique s’en trouve fragilisée.

Des implications potentiellement préoccupantes.

Concrètement, la décision rendue permet à l’employeur d’engager un salarié en qualité de comédien tout en lui confiant en réalité des fonctions d’assistant et de doublure, sans que cette irrégularité ne produise de conséquence.

Autrement dit, une insincérité portant sur l’objet même du contrat de travail est tolérée [12].

Cette tolérance pourrait ouvrir la voie à des pratiques de déqualification ou de manipulation des intitulés de poste.

Une lecture contextuelle de la décision.

Il serait difficile de comprendre la solution adoptée par la Cour de cassation dans cette affaire sans préciser le contexte dans lequel elle intervient.

Cet arrêt s’inscrit en effet dans un mouvement plus large de réforme du droit du travail.

En septembre 2017 entrait en vigueur l’ordonnance 2017-1387 relative à la « prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » dite « Macron », dans une dynamique favorisant nettement les intérêts de l’employeur.

III. Les bornes temporelles de l’action fondée sur l’absence ou l’inexactitude d’une mention obligatoire.

Tout enchantement arrive à son terme, au-delà duquel ses effets s’évanouissent irrémédiablement. Il en va de même pour le sortilège de requalification, dont la magie n’opère que s’il est invoqué dans les délais impartis.

En application de l’article L1471-1 du Code du travail, ce délai est de 2 ans.

La Cour de cassation a précisé au fil de sa jurisprudence quel était son point de départ, qui varie selon le fondement de l’action en requalification.

Un arrêt du 15 mars 2023 en offre une synthèse, regroupant les différents régimes applicables à cette question [13].

Fondement de l’action en requalificationPoint de départ du délai
Absence d’établissement d’un écrit Expiration des 2 jours ouvrables impartis à l’employeur pour transmettre le contrat de travail au salarié
Absence d’une mention obligatoire Date de conclusion du contrat de travail
Inexactitude du motif de recours énoncé au contrat Terme du contrat ou, en cas de succession de CDD, terme du dernier contrat

On constatera que le point de départ diffère selon que le motif de recours est omis ou inexact.

Conclusion.

L’élaboration du contrat du travail à durée déterminée, loin de se réduire à l’assemblage de trames standardisées, exige donc une approche méticuleuse des réalités de l’embauche et de leur qualification juridique.

Cette rigueur contractuelle est indispensable pour prévenir les risques de requalification et favoriser une relation de travail plus sereine.

Elle illustre le pouvoir qu’ont les mots, pour le juriste comme pour le sorcier, de transformer le réel.

Vincent Millet, Avocat au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Une présomption irréfragable ne peut pas être contredite par une preuve contraire. Ici, cela signifie que le CDD sera requalifié en CDI sans que l’employeur puisse prouver l’existence d’un CDD. A noter que « seul le salarié peut invoquer la commune intention des parties pour faire reconnaître l’existence d’un CDD en l’absence de contrat de travail écrit », principe très récemment rappelé par le Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 6, 7 février 2024, n° 21/03196).

[2Cour de cassation, chambre sociale, 18 février 1997, n° 93-44.121.

[3Circulaire DRT, n° 90-18, du 30-10-1990.

[4Cour de Cassation, Chambre sociale, du 28 septembre 2005, 04-44.823.

[5Cour de cassation, chambre sociale, 26 octobre 1999, n° 97-40.894.

[6Cour de cassation, Chambre sociale, 30 avril 2003, nº 01-40.937.

[7Cour de Cassation, chambre sociale, 26 octobre 1999, n°97-42.255.

[8Cour de Cassation, chambre sociale, 28 février 2001, n° 98-45.09.

[9Cour de cassation, chambre sociale, 20 mai 2009, n°07-43.245.

[10Cour de cassation, Chambre sociale, du 19 avril 2000, 98-45.696.

[11Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n° 21-14.444.

[12On pourrait objecter que le fait de ne pas sanctionner cette insincérité par une requalification ne signifie pas qu’elle soit tolérée. Il est en effet possible au salarié de formuler une demande en réparation du préjudice découlant de cette inexactitude. Une telle demande, notoirement incertaine en raison de la nécessité de prouver l’existence et l’étendue du préjudice, est dépourvue du pouvoir dissuasif de la requalification.

[13Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 mars 2023, 20-21.774.

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