L'incursion des GAFAM dans l'Esport et le Gaming. Par Déborah Aflalo et Nathalie Devillier, Docteurs en Droit.

L’incursion des GAFAM dans l’Esport et le Gaming.

Par Déborah Aflalo et Nathalie Devillier, Docteurs en Droit.

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Explorer : # esport # big tech # données personnelles # concurrence

Les géants du numériques, dont les GAFAM américains et leurs équivalents chinois BATX, investissent en masse dans le secteur des jeux vidéo. Et pour cause, cette industrie juteuse a atteint, en 2020, un chiffre d’affaires mondial de près de 180 milliards de dollars.
Cet investissement s’est intensifié ces dernières années, au point de poser un certain nombre de problématiques et enjeux juridiques de taille.

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Les Big Tech [1] et BATX [2] qui pèsent respectivement 4200 et 950 milliards de dollars, ont orienté leurs stratégies d’investissement vers le marché du jeu vidéo.

Etant observé que ce marché a un poids économique plus important que celui de la musique et du cinéma réunis.

Ainsi, en 2022, Microsoft a offert de racheter pour 69 milliards de dollars, le groupe Activision Blizzard, l’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo au monde avec des licences populaires comme Call of Duty, Overwatch ou [3]. Pour mémoire, l’année précédente, Microsoft avait fait l’acquisition de l’éditeur de jeux ZeniMax Media / Bethesda (Fallout, Doom ou Quake) pour 7,5 milliards de dollars [4].

De son côté, Tencent, déjà actionnaire de Riot Games (League of Legends), Supercell (Clash Royale) ou encore d’Epic Games (Fortnite), a ajouté dans son escarcelle le studio britannique Sumo Digital et le groupe polonais 1C Entertainement.

Face à cette offensive, certains acteurs de l’industrie du jeu vidéo se lancent dans de grandes fusions-acquisitions. Ainsi, l’américain Electronic Arts a acquis Glu Mobile et Playdemic, spécialisés dans le jeu mobile, mais aussi Metalhead (jeux de baseball) et Codemasters (jeux de course automobile). Pour sa part, Take two Interactive, propriétaire de franchises telles que Grand Theft Auto ou NBA 2K, a mis la main sur Zynga, éditeur/développeur de jeux sociaux comme FarmVille ou Harry Potter. On note également l’acquisition de Bungie (créateur de Halo et Destiny) par Sony [5].

Pour consolider leur position, les grands acteurs du jeu vidéo utilisent des stratégies d’intégration horizontale et verticale, en fusionnant avec des concurrents directs ou via des acquisitions croisées, par exemple entre développeurs de jeux et distributeurs/fabricants de consoles.

Nous verrons que la concentration des Big Tech pose des problématiques en termes de droit de la concurrence (I), de données personnelles (II) et a un impact sur les compétitions de jeux vidéo (III).

I/ Des pratiques anti-concurrentielles.

L’arrivée en force des géants du numérique dans le secteur du jeu vidéo pose d’abord des problèmes de nature concurrentielle.

L’Union européenne, avec sa Direction générale de la Concurrence (DG COMP) chargée du respect des règles anti-trust (ententes, abus de position dominante, monopoles, concentrations..), a infligé une série d’amendes record aux GAFAM [6].

De leur côté, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la Chine [7] veillent également à l’application de leur législation anti-trust pour réguler les positions monopolistiques.

Ainsi, la Fédéral Trade Commission (FTC) est en train d’examiner l’offre de rachat de l’éditeur de jeux Activision Blizzard par Microsoft, fabricant de la console Xbox.

L’autorité américaine souhaite s’assurer que l’acquisition projetée ne nuit pas à la concurrence en limitant l’accès aux principaux titres de jeux [8]. Etant rappelé que l’accord de rachat de la société britannique ARM par NVIDIA, jugé anticoncurrentiel, avait été annulé [9].

Concernant ses abonnements gaming (Game Pass et Xbox LIve Gold), Microsoft s’est engagé à modifier différents critères pour se conformer aux exigences de la Competition and Markets Authority (CMA), l’autorité britannique de la concurrence [10].

Par ailleurs, des contentieux ont porté sur le modèle de distribution de jeux vidéo. Ainsi, l’éditeur de jeux Epic Games a déposé plusieurs plaintes y compris devant la Commission européenne pour abus de position dominante à l’encontre d’Apple aux motifs d’avoir « complètement évincé la concurrence dans les processus de distribution et de paiement des applications » [11].

Pour les mêmes motifs, le studio indépendant Wolfire Games (créateur de la vitrine numérique Humble Indie Bundle) a poursuivi Valve, éditeur de la plateforme Steam, pour violation des règles antitrust [12].

Notons également qu’une plainte collective de consommateurs a été déposée devant un Tribunal fédéral californien à l’encontre de Sony, sur le fondement d’un monopole illégal empêchant les utilisateurs de PlayStation d’acheter des jeux via des codes de téléchargement tiers et entraînant une augmentation des prix [13].

II/ Une utilisation commerciale des données personnelles.

Rappelons que les GAFAM sont souvent accusées d’enfreindre les règles de protection des données personnelles. Ainsi, la CNIL a infligé des amendes à Google [14] et Amazon [15] (150 et 35 millions d’euros) pour non-respect des règles sur les cookies.

Les jeux vidéos sont extrêmement « datavores » et les profils des joueurs sont associés aux actions en jeu (obstacles contournés, niveaux), scores, classements, trophées, amis, parties, bibliothèque de jeux, et leurs succès naturellement. Elles s’ajoutent à des données de base telles que identifiant, nom, prénom, adresse, courriel, pays, numéro de téléphone, langue, date de naissance, photo de profil, mot de passe, question de sécurité, intérêts… sans oublier les données de paiement et toutes celles associées à des processus : achat, assistance technique, clientèle et commerciaux (sondages, tests bêta, études de marché).

Cependant, d’autres informations sont également collectées sans que le joueur en ait conscience :
- date et heure d’utilisation,
- jeux ou musique lancés,
- contenu visionné,
- services utilisés et durée de leur utilisation,
- fréquence d’usage des applications de chat et de communication.

De plus, en cas de crash, sont collectées les captures d’écran ou la vidéo capturée au moment du crash.

Sachant que la console permet d’utiliser Netflix, Spotify ou de diffuser les parties sur Twitch et bien d’autres services ; toutes les données liées à ces usages sont aussi collectées.

On comprend mieux l’intérêt de Microsoft à s’engager sur ce secteur pour booster ses profits : elle en tirait 11.5 millions USD en 2019, alors que le chinois Tencent atteint le record de 29 milliards USD en 2021.

Ceci n’est qu’un début. Le développement du métavers, monde immersif où tout est basé sur le sensoriel, sera le lieu de la collecte de données encore inexploitées : celles générées par le corps du joueur. Les équipements qu’il revêtira seront autant de moyens de numériser l’être humain à travers ses interactions lors d’un divertissement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Meta a déposé quantité de brevets sur ces technologies [16].

Or, en France, les gamers de moins de 15 ans doivent fournir un double consentement pour le traitement de leurs données : leur autorisation personnelle ainsi que celle de leurs parents. On conseillera donc de vérifier les paramètres de toutes les interfaces de navigation : téléphone, tablette, ordinateur, TV.

III/ Un marché de l’Esport impacté.

L’organisation de compétitions de jeux vidéo et leur retransmission nécessitent l’autorisation de l’éditeur du jeu concerné puisque ce dernier est titulaire de l’intégralité des droits de propriété intellectuelle.

Bien souvent, l’éditeur se retrouve également organisateur, parfois avec un système de ligues ouvertes ou fermées [17]. Dans ce cadre, il édicte et impose ses propres règles compétitives, comme c’est le cas de Riot Games avec ses ligues officielles sur les jeux League of Legends et Valorant.

Les GAFAM se positionnent également sur le secteur compétitif grâce notamment à la technologie du cloud gaming [18]. On pense notamment à Amazon Luna [19] ou à Facebook Gaming qui permet de streamer mais aussi d’organiser des tournois même d’envergure internationale.
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De son côté, Microsoft a racheté la plateforme Smash.gg spécialisée dans l’organisation de tournois et évènements de jeux compétitifs [20]. La firme de Mountain View a même lancé la Financial Modeling World Cup (FMWC), une compétition sur son logiciel Excel avec un cashprize de 10.000 dollars [21].

On observe donc une vraie mainmise des GAFAM sur le secteur Esport qui peut entraver le développement des éditeurs de jeux vidéo.

En 2020, Epic Games est allé jusqu’à utiliser un tournoi sur son jeu Fortnite, intitulé la coupe #FreeFortnite, pour protester contre le système d’achat in-app d’Apple lui imposant le paiement d’une commission de 30% [22].

Concernant les organisateurs tiers de tournois Esport, ils auront à composer avec la supériorité technologique des GAFAM notamment en matière de serveurs et de connexion très haut débit.

Cependant, il arrive que des alliances improbables naissent entre GAFAM et éditeurs et développeurs de jeux. Ainsi, face à la pénurie de semi-conducteurs, Microsoft a dû faire appel à Nintendo pour obtenir suffisamment de consoles Xbox Series X pour son premier tournoi Halo Championship Series sur le jeu Halo Infinite [23].

Conclusion.

L’intérêt des GAFAM pour l’industrie des jeux vidéo a débuté dans les années 2000 avec la tentative avortée de Microsoft de racheter plusieurs éditeurs de jeux tels que Nintendo, Electronic Arts ou Square Enix [24].

Même si depuis lors, les GAFAM ont opéré une vraie mainmise sur le secteur, leurs ambitions se soldent parfois par des échecs commerciaux comme celui notable de la plateforme Google Stadia, service de jeux vidéo par abonnement [25].

Le monopole numérique général de la Big Tech est régulièrement dénoncé par les autorités américaines et européennes au point qu’elles hésitent entre régulation (notamment avec le Digital Markets Act) et démantèlement (Break up bill) [26].

De son côté, l’Etat chinois a durci sa réglementation avec en ligne de mire les jeux vidéo, notamment le jeu Honor of Kings de Tencent, qualifiés d’opium mental [27]. La Chine a ainsi limité les temps de jeu ​​pour les mineurs [28] et a bloqué la fusion de deux grandes plateformes de streaming de jeux vidéo au profit de Tencent pour éviter une concentration illégale d’opérateurs commerciaux [29].

Contraintes de procéder à un dégraissage de leurs effectifs, les entreprises chinoises pourraient cependant investir ou accroître leurs investissements à l’étranger, notamment en Europe [30].

Déborah Aflalo - Docteur en droit - Juriste Esport - Ceo Game and Rules - deborah.aflalo chez gameandrules.com
et Nathalie Devillier - Docteur en Droit - Professeur Associée - Grenoble EM - nathalie.devillier chez grenoble-em.com

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Notes de l'article:

[1GAFAM est l’acronyme des principales entreprises technologiques de la Silicon Valley : Google, Apple, Facebook devenue Meta, Amazon et Microsoft.

[2BATX est l’acronyme des 4 plus grandes entreprises technologiques chinoises : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami.

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