L'institution d'une procédure européenne d'injonction de payer, par le Cabinet Chamaillard Avocats

L’institution d’une procédure européenne d’injonction de payer, par le Cabinet Chamaillard Avocats

Rédaction du village

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Explorer : # procédure européenne d'injonction de payer # créances transfrontalières # recouvrement de créances # union européenne

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Chaque année, 30 à 40 milliards de factures sont émises en Europe. Un milliard d’entre elles ne sont pas réglées et deviennent ainsi des créances.

La grande majorité des Etats de l’Union Européenne dispose d’une procédure d’injonction de payer spécifique, plus ou moins complexe et performante.

En France, 110.000 entrepreneurs ont recours chaque année à une procédure d’injonction de payer pour un montant moyen de créance de 5500 euros.

Bien souvent, les dépenses à engager pour obtenir une décision judiciaire sur ces créances sont disproportionnées par rapport aux sommes en jeu. Ce problème est d’autant plus présent dans les litiges transfrontaliers pour lesquels les créanciers doivent recourir aux services de deux avocats tout en supportant des coûts de traduction. Ces problèmes inhérents aux litiges transfrontaliers sont intolérables lorsque le défendeur ne conteste même pas la justification de la créance en cause. Afin de remédier à l’ensemble de ces difficultés, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 12 décembre 2006, le Règlement n°1896/2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer ; permettant le recouvrement rapide et économique des créances incontestées.

Le développement qui suit permettra au lecteur de mieux saisir l’enjeu ainsi que le mécanisme d’une telle procédure.

De plus en plus d’entreprises françaises exportent leurs produits et services vers les pays de l’Union Européenne.

En cas d’impayés et partant de litige transfrontalier, ces entreprises devront, après obtention d’une décision judiciaire portant condamnation du débiteur, recourir au préalable à une procédure d’exequatur afin que ladite décision soit exécutable dans d’autres pays. Cette exigence sine qua non rend fort complexe et souvent illusoire le recouvrement des créances transfrontalières.

En effet, la multitude des procédures internes, l’ignorance des systèmes juridiques des autres Etats membres impliquant la nécessité de consulter un avocat, le temps requis pour signifier les documents judiciaires aux parties situées sur le territoire d’un autre Etat membre que celui où a lieu la procédure, les dépenses liées à la traduction sont autant d’obstacles au recouvrement effectif des créances.

Cette situation, favorable aux débiteurs de mauvaise foi peut dissuader les opérateurs économiques d’étendre leurs activités hors de leur état d’origine freinant ainsi les échanges commerciaux et empêchant le développement du marché intérieur.

En outre, les retards de paiement sont une des principales causes d’insolvabilité qui menace la pérennité des entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises, et qui provoquent de nombreuses pertes d’emploi.

Afin de répondre à toutes ces inquiétudes et garantir des conditions identiques aux créanciers et débiteurs dans toute l’Union européenne, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 12 décembre 2006, le Règlement n°1896/2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer. L’objectif de cette nouvelle procédure est double :

➢ simplifier, accélérer et réduire les coûts dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées d’une part,

➢ assurer la libre circulation des injonctions de payer européenne au sein de l’ensemble des états membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’Etat membre d’exécution (notamment l’exequatur) préalablement à la reconnaissance et à l’exécution d’autre part.

Cette procédure offre donc au demandeur un instrument complémentaire et facultatif puisqu’elle ne remplace ni n’harmonise les procédures de recouvrement de créances existantes dans les différents pays.

Après avoir défini le champ d’application de cette nouvelle procédure, il conviendra d’en exposer les mécanismes.

I. CHAMP D’APPLICATION

Le Règlement concerne le recouvrement des créances pécuniaires liquides et exigibles qui ne font l’objet d’aucune contestation juridique. Il s’applique aux litiges transfrontaliers (ce qui implique qu’au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie) survenus en matière civile et commerciale.

Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique.

Sont également expressément exclus : les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions ; les faillites, concordats et autres procédures analogues ; la sécurité sociale et les créances découlant d’obligations non contractuelles, à moins qu’elles aient fait l’objet d’un accord entre les parties ou qu’il y ait eu une reconnaissance de dette ou qu’elles concernent des dettes liquides découlant de la propriété conjointe d’un bien.

II. PROCEDURE EN DEMANDE

Afin de faciliter le recours à cette nouvelle procédure, le Règlement fournit en annexes divers formulaires types multilingues destinés à la communication entre les parties et la juridiction concernée. Une note explicative, également jointe en annexe permet d’en comprendre le fonctionnement.

1. Introduction de la demande

La demande est introduite au moyen du formulaire A ou sur support papier ou bien encore par tout autre moyen de communication accepté par l’Etat membre d’origine (l’Etat membre dans lequel une injonction de payer européenne est délivrée) et utilisable par la juridiction d’origine (la juridiction qui délivre une injonction de payer européenne), y compris par voie électronique.

La demande doit comprendre les éléments suivants :

- le nom et l’adresse des parties, et le cas échéant de leurs représentants, ainsi que de la juridiction saisie de la demande ;
- le montant de la créance, le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais ;
- si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine ;
- la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés ;
- une description des éléments de preuve à l’appui de la créance ;
- les chefs de compétence ;
- le caractère transfrontalier du litige

La demande doit enfin être revêtue de la signature du demandeur ou de son représentant ; étant précisé que la représentation par un avocat ou un autre professionnel du droit n’est pas obligatoire.

2. Examen de la demande

La juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer européenne (en France, la compétence est partagée entre le tribunal d’instance et le tribunal de commerce) doit examiner dans les meilleurs délais si les conditions de recevabilité sont réunies et si la demande semble être fondée.

Quatre possibilités sont alors envisageables.

2.1 : La demande peut être complétée et rectifiée

Si l’introduction de la demande ne répond pas aux exigences précitées, la juridiction met le demandeur en mesure de compléter ou de rectifier sa demande.
La juridiction impartit alors au demandeur un délai qu’elle estime approprié au vu des circonstances. Ce délai peut être prorogé par la juridiction.

2.2 : La demande peut être modifiée

Si la demande ne répond qu’en partie aux exigences, la juridiction en informe le demandeur qui est alors invité à accepter ou à refuser une proposition d’injonction de payer européenne portant sur le montant que la juridiction a fixé.

Le demandeur répond dans le délai fixé par la juridiction.

Si le demandeur accepte la proposition de la juridiction, la juridiction délivre une injonction de payer européenne pour la partie de la demande qui a été acceptée par le demandeur. Les conséquences qui en résultent pour le reliquat de la demande initiale sont régies par le droit national.

Si le demandeur n’envoie pas sa réponse dans le délai fixé par la juridiction ou s’il refuse la proposition faite par celle-ci, la juridiction rejette l’intégralité de la demande d’injonction de payer européenne.

2.3 La demande peut être rejetée

La juridiction rejette la demande si :

- les conditions requises ne sont pas réunies,
- elle n’est pas fondée,
- le demandeur n’envoie pas la demande complémentée et /ou rectifiée dans le délai fixé,
- le demandeur n’envoit pas sa réponse dans le délai fixé ou s’il refuse la proposition de la juridiction.

La juridiction informe le demandeur sur les motifs du rejet.

Le rejet de la demande n’est pas susceptible de recours ; néanmoins, il n’empêche pas le demandeur de faire valoir la créance au moyen d’une nouvelle demande d’injonction de payer européenne ou de toute autre procédure prévue par le droit d’un État membre.

2.4 L’injonction de payer est délivrée

Lorsque la demande répond aux conditions, la juridiction délivre l’injonction de payer européenne dans les meilleurs délais et en principe dans un délai de trente jours à compter de l’introduction de la demande.

Le calcul du délai de trente jours ne comprend pas le délai nécessaire au demandeur pour compléter, rectifier ou modifier la demande.

La juridiction veille à ce que l’injonction de payer soit signifiée ou notifiée au défendeur ou à son représentant conformément au droit national. En droit français, le délai de forclusion de six mois à compter de la décision imparti au créancier pour informer son débiteur par voie d’huissier doit être observé.

Le règlement prévoit également des normes minimales qui sont à respecter concernant la signification ou la notification assortie ou non de la preuve de sa réception par le défendeur.

L’injonction de payer européenne peut être notifiée ou signifiée au défendeur par l’un des modes suivants :

- signification ou notification assortie de la preuve de sa réception,
- signification ou notification à personne : le défendeur signe un accusé de réception portant la date de réception,
- signification ou notification à personne : la personne compétente qui procède à la signification ou notification signe un document daté spécifiant que le défendeur a reçu l’acte ou qu’il a refusé de le recevoir sans aucun motif légitime,
- le défendeur signe et renvoie un accusé de réception daté quant il reçoit l’injonction de payer européenne par voie postale ou par des moyens électroniques comme la télécopie ou le courrier électronique,
- signification ou notification non assortie de la preuve de sa réception,
- signification ou notification à personne : à l’adresse personnelle du défendeur, à des personnes vivant à la même adresse que celui-ci ou employées à cette adresse,
- signification ou notification à personne : dans les locaux commerciaux du défendeur, à des personnes employées par le défendeur quant ce dernier est un indépendant ou une personne morale,
- dépôt de l’injonction dans la boîte aux lettres du défendeur,
- dépôt de l’injonction dans un bureau de poste ou auprès d’une autorité publique compétente et communication écrite de ce dépôt dans la boîte aux lettres du défendeur indiquant la nature judiciaire de l’acte,
- par voie postale ou par des moyens électroniques avec accusé de réception automatique, à condition que le défendeur ait expressément accepté à l’avance ce mode de signification ou de notification.

III. DROITS DE LA DEFENSE

Divers moyens sont offerts au défendeur pour faire valoir ses droits :

1. L’opposition

Dans l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité de payer au demandeur le montant figurant dans l’injonction de payer ou de s’opposer à l’injonction de payer en formant opposition auprès de la juridiction d’origine. L’opposition doit être envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction qui lui aura été faite. Le défendeur se contente alors de contester la créance sans être tenu de préciser les motifs de contestation. L’opposition peut elle aussi être introduite sur support papier ou par voie électronique.

Elle doit être signée par le défendeur ou son représentant.

Lorsqu’il a été formé opposition, la procédure se poursuit devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine conformément aux règles de la procédure civile ordinaire, sauf si le demandeur a expressément demandé qu’il soit mis un terme à la procédure dans ce cas (notamment en cas de délivrance d’une injonction ne portant que sur une infime partie de la créance puisqu’en pareille hypothèse le demandeur devra en tout état de cause saisir la juridiction ordinaire pour le reliquat de la créance).

Le demandeur est informé de toute opposition formée par le défendeur et de tout passage à la procédure civile ordinaire.

2. Le Réexamen

Après expiration du délai d’opposition, le défendeur a le droit de demander le réexamen de l’injonction de payer européenne devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine lorsque :

- la signification ou notification n’était pas assortie de la preuve de sa réception,
- la signification ou la notification n’est pas intervenue en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense, sans qu’il y ait eu faute de sa part,
- il a été empêché de contester la créance pour cause de force majeure ou en raison de circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait faute de sa part,
- il est manifeste que l’injonction de payer a été délivrée à tort ou en raison d’autres circonstances exceptionnelles.

Si la juridiction rejette la demande du défendeur au motif qu’aucune des conditions de réexamen n’est remplie, l’injonction de payer européenne reste valable.

Si la juridiction décide que le réexamen est justifié au motif que l’une des conditions est remplie, l’injonction de payer européenne est nulle et non avenue. Le demandeur aura alors initié en vain cette procédure.

3. Le refus d’exécution

S’il s’avère que l’injonction de payer européenne est incompatible avec une décision rendue ou une injonction délivrée antérieurement dans tout État membre ou dans un pays tiers, la défendeur peut demander à la juridiction compétente dans l’Etat membre d’exécution de refuser de procéder à l’exécution.

Pour être valablement invoquée, la décision rendue ou l’injonction délivrée antérieurement doit concerner les mêmes parties ; porter sur un litige ayant la même cause et réunir les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre d’exécution.

Le refus d’exécution implique enfin que l’incompatibilité n’aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine.

L’exécution est également refusée sur demande du défendeur lorsque ce dernier a payé au demandeur le montant fixé dans l’injonction de payer européenne.

IV. EXECUTION

Compte tenu de la suppression de la procédure d’exequatur, l’injonction sera reconnue dans tous les Etats membres de l’Union, sans qu’une déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire et sans qu’on puisse encore contester sa reconnaissance.

Les procédures d’exécution sont régies par le droit national de l’Etat membre d’exécution (c’est-à-dire celui dans lequel l’exécution est demandée).

Bien que le recours à un avocat ne soit pas obligatoire, il semble être préférable puisque seul à même de garantir l’obtention et l’exécution effective d’une injonction européenne dans les meilleurs délais.


Cabinet Chamaillard Avocats

http://www.chamaillard-avocats.com

Avocats au barreau de Paris

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