Comment définir le motif n°4 de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille ?

Par Salomé Mabilon, Avocate.

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Explorer : # instruction en famille # motif éducatif # intérêt supérieur de l'enfant # contrôle administratif

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La situation 4 permet aux parents de demander une autorisation d'instruction à domicile pour leur enfant s'ils peuvent démontrer l'existence d'une situation propre à l'enfant justifiant l'enseignement à la maison, tout en respectant l'intérêt supérieur de l'enfant.
Description rédigée par l'IA du Village

Depuis la rentrée 2022 et à la suite de la promulgation de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, l’instruction dans la famille est soumise au régime de l’autorisation préalable se substituant au régime de la déclaration [1].
Cette autorisation peut être accordée selon quatre motifs. Le motif 4, à savoir « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » a donné lieu à une pluralité d’interprétations.
Comment savoir si mon enfant entre dans le champ de l’application de cette quatrième situation ? Le motif 4, c’est d’abord un mode de raisonnement.

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La situation 4 : définitions et interprétations.

A compter de la rentrée scolaire 2022 et conformément au Décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille, la possibilité de recevoir une instruction à domicile est soumise à l’obtention d’une autorisation si les parents veulent que leur enfant suive son instruction dans sa famille.

Les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire définie à l’article L131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d’enseignement public ou privé ou bien, à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation, lui donner l’instruction en famille.

Un enfant pour être instruit à la maison est donc soumis à une autorisation préalable, puis à des contrôles : contrôle du maire et contrôle pédagogique (Voir l’article Instruction en famille : contrôles négatifs, procédures et recours).

Cette autorisation peut être accordée selon les motifs suivants :

  • Situation 1 : L’état de santé de l’enfant ou son handicap
  • Situation 2 : La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives
  • Situation 3 : L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public
  • Situation 4 : L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.

Un dossier doit alors être déposé entre le 1er mars et le 31 mai inclus précédant l’année scolaire au titre de laquelle la demande est formulée auprès de la DSDEN (direction des services départementaux de l’éducation nationale) du département de résidence de l’enfant [2].

Si la demande est acceptée, les parents reçoivent une autorisation d’instruire leur enfant en famille pour l’année Si la demande est refusée des recours [3] sont envisageables.

L’autorisation est-elle annulée si je re-scolarise mon enfant dans l’année ? Non, une rescolarisation de l’enfant n’est pas suffisante pour annuler une autorisation précédente. Si votre enfant fait un essai à l’école, cela n’annule pas l’autorisation d’IEF reçue pour l’année en cours. Cette interprétation est confirmée par le Tribunal administratif de Strasbourg par une décision du 9 octobre 2023 [4].

Ainsi, à compter de la rentrée scolaire 2022, il ne pourra être dérogé à l’obligation de scolarisation que sur autorisation préalable, délivrée par le service académique pour des motifs tirés de la situation de l’enfant et limitativement définis par la loi au nombre desquelles figurent l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

Le conseil constitutionnel dans sa décision 2021–821 DC du 13 août 2021, jugeant de la constitutionnalité de ce dispositif a relevé que :

« en prévoyant que cette autorisation est accordée en raison de "l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif", le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte des éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adapté aux capacités au rythme d’apprentissage de l’enfant. Il en résulte que les responsables légaux sollicitant une autorisation d’instruction en famille pour ce motif doivent justifier de la situation propre de leur enfant et présenter un projet éducatif ».

Les demandes pour le motif 4 comprennent donc :

«  Une présentation écrite du projet éducatif comportant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, à savoir notamment : / a) Une description de la démarche et des méthodes pédagogiques mises en œuvre pour permettre à l’enfant d’acquérir les connaissances et les compétences dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ; / b) Les ressources et supports éducatifs utilisés ; / c) L’organisation du temps de l’enfant (rythme et durée des activités) ; / d) Le cas échéant, l’identité de tout organisme d’enseignement à distance participant aux apprentissages de l’enfant et une description de la teneur de sa contribution ;
Toutes pièces utiles justifiant de la disponibilité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant ;
Une copie du diplôme du baccalauréat ou de son équivalent de la personne chargée d’instruire l’enfant. Le directeur académique des services de l’éducation nationale peut autoriser une personne pourvue d’un titre ou diplôme étranger à assurer l’instruction dans la famille, si ce titre ou diplôme étranger est comparable à un diplôme de niveau 4 du cadre national des certifications professionnelles ;
Une déclaration sur l’honneur de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant d’assurer cette instruction majoritairement en langue française
 ».

La condition de diplôme de la personne chargée de l’instruction de l’enfant, a été confirmée par le conseil d’état [5] autant que par le conseil constitutionnel [6] afin de « s’assurer que cette personne est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L122-1-1 du Code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire ».

Ainsi, « la nécessité de produire une copie du diplôme du baccalauréat ou de son équivalent à l’appui d’une demande d’autorisation de l’instruction dans la famille est de nature à établir que la personne chargée de l’instruction de l’enfant est effectivement en mesure de lui permettre d’acquérir ce socle commun (…) » [7].

Le motif 4, dont la définition est encore peu encadrée, a fait l’objet d’une pluralité d’interprétations, variant d’un rectorat à l’autre, engendrant des décisions hétérogènes, sans réelle harmonisation d’où le sentiment d’injustice de certaines familles et d’opacité des décisions prises.

L’entrée en vigueur des dispositions de l’article 49 de la loi du 24 août 2021 a engendré une multiplication des recours parentaux contre les décisions de refus d’autorisation : le rapporteur public, Jean-François De Montgolfier, dans ses conclusions sur les affaires n° 466623 et n° 467550, fait état d’un abondant contentieux en référé-suspension (Voir l’article Instruction en famille : quels recours contre un refus d’autorisation ?)

Ledit rapporteur public avait d’ailleurs noté que « la première année d’application de la réforme a révélé l’hétérogénéité des pratiques de l’Administration sur le territoire national, ce que les requêtes dénoncent non sans raison » et préconisait une définition de la méthode d’examen des demandes d’instruire en famille afin d’apporter harmonisation et cohérence à la « jurisprudence académique ».

A ce jour, il n’existe pas de définition précise de ce que recouvre la situation 4, la justification de l’instruction en famille sur ce motif doit reposer sur une méthode de raisonnement : l’intérêt de l’enfant est-il d’être scolarisé ou instruit en famille ?

La situation 4, une méthode de raisonnement.

Selon le Conseil d’État (Arrêt N° 462274 du 13 décembre 2022),

« il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle est saisie d’une demande tendant à ce que l’instruction d’un enfant dans la famille soit, à titre dérogatoire, autorisée, de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d’une part dans un établissement ou école d’enseignement, d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt ».

L’on comprend à la lecture de cet arrêt, que ce qui doit motiver la décision est donc « la situation propre de l’enfant » (et non par exemple des parents) et « la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt ».

Dés lors « l’intérêt supérieur de l’enfant » doit être une méthode de raisonnement : dès qu’il faut choisir entre la scolarisation ou l’instruction en famille, il convient, après avoir comparé les avantages et les inconvénients de ces solutions, pour l’enfant, de retenir le choix qui est le plus conforme à son intérêt. La décision doit être prise en considérant les seuls éléments intéressant l’enfant et la prise en compte de l’intérêt des autres parties prenantes à la décision, notamment les parents, n’intervient qu’à titre secondaire.

Les convictions personnelles ou choix philosophiques, religieux, organisationnels ou pratiques des parents ne doivent pas motiver la décision d’instruire en famille.

Ainsi, selon la rapporteure du projet de loi, «  le projet éducatif n’est pas le motif : le motif, c’est l’enfant et ses besoins, pour lesquels les parents élaborent un projet éducatif. La demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille et qu’il est justifié, d’une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de cet enfant, d’autre part, de la capacité des personnes chargées de l’instruction de l’enfant […] ».

Changement de paradigme donc, selon Marie Lamarche, Maître de conférences à l’université de Bordeaux, « dès lors que la réforme conduit à abandonner tout choix autonome des parents de détermination arbitraire de l’intérêt de l’enfant, notamment en raison de convictions personnelles (cela étant, l’article 213 du Code civil donne aux parents cette responsabilité). (… ) S’en tenir à un contrôle ab initio du projet éducatif et de la capacité des personnes à assurer l’instruction dans la famille (pour laquelle on exige le diplôme du baccalauréat ou son équivalent), comme semblait l’envisager le tribunal administratif de Rennes [8] aurait vidé de sa substance la réforme de 2021 » [9].

Les nouveaux textes exigent beaucoup plus que la rédaction d’un projet même cohérent !

Si tel avait été le cas, il aurait alors suffi de proposer un projet (adapté ou non au cas spécifique de l’enfant) et de donner une preuve d’une capacité à assurer l’instruction (soit baccalauréat a minima) pour obtenir l’autorisation d’instruire en famille.

Mais ce n’est pas l’interprétation retenue par le Conseil d’État, qui a confirmé la nécessaire appréciation in concreto d’une situation propre de l’enfant, en exigeant de l’autorité administrative qu’elle recherche « au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d’une part dans un établissement ou école d’enseignement, d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt » [10].

C’est donc la situation propre d’un enfant qui doit guider la construction de son projet éducatif et il revient aux parents de démontrer un intérêt spécifique de leur enfant pour recevoir cette instruction en famille et non dans un établissement scolaire.

Tant que cette démonstration n’est pas faite, le principe de l’enseignement en établissement demeure la norme.

Beaucoup de demandes rejetées ont été confirmées par les tribunaux administratifs, dans le cadre de référés-suspensions ou de décisions au fond, il appartient donc aux parents de démontrer l’intérêt de leur enfant à recevoir l’instruction en famille dans la rédaction de leur projet.

Il restera ensuite à analyser quelles sont les situations fondées sur un motif 4 admises par la jurisprudence, encore peu nourrie de décisions positives...

Salomé Mabilon, Avocate au barreau de Carpentras
www.mabilonavocat.com

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Notes de l'article:

[1Nouvel article L131-2 du Code de l’éducation. Les textes sur le contrôle : les ’article L131-10, R131-12, R131-13, R131-14 du Code de l’éducation.

[4Tribunal administratif, Strasbourg, 2e chambre, 9 Octobre 2023 - n° 2305948.

[5Conseil d’état Arrêt n°462274 du 13 décembre 2022.

[6Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021.

[7Conseil d’état Arrêt N° 462274 du 13 décembre 2022.

[8TA Rennes, 10 oct. 2002, n° 2203669 : JurisData n° 2002-019370.

[9Marie Lamarche, Instruction dans la famille. Les précisions du Conseil d’État pour la recherche de la forme d’instruction la plus conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, Droit de la famille - N° 2, février 2023.

[10CE, 13 déc. 2022, n° 462274.

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