La preuve des heures supplémentaires est prévue à l’article L3171-4 du Code du travail.
Que nous dit la loi ?
Le salarié et l’employeur ont tous les deux une preuve à établir :
Le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis pour que le Juge puisse constater l’existence d’heures non rémunérées.
L’employeur doit, à partir des éléments produits par le salarié, les contester en produisant ses propres preuves.
Lorsque tous les salariés ne sont pas soumis au même horaire collectif l’employeur doit comptabiliser le temps de travail effectué par chaque salarié par tout système tel que le badgeage, le décompte tes horaires dressé par tableau, etc, et tenir un décompte à la disposition de l’inspection du travail.
La Cour de Cassation a établi de longue date une jurisprudence très protectrice du salarié [1].
Mais les employeurs appuyés par certaines Cour d’Appel entrent en rébellion et s’obstinent à mettre la charge de la preuve uniquement sur les épaules du salarié.
Nous allons voir de manière concrète comment la Cour de Cassation rectifie le tir et sanctionne systématiquement ces décisions qui écartent à tort les demandes d’heures supplémentaires du salarié.
Rappelons enfin que comme toute demande salariale, les heures supplémentaires doivent être demandées dans un délai de 3 ans en arrière à compter du jour où vous saisissez le Conseil de Prud’hommes, il s’agit d’une prescription triennale.
1. Cass. Soc. 9 juin 2022 numéro n°21-11482.
Un Commercial Grand compte n’obtient pas les heures supplémentaires demandées car la Cour considère :
Que l’employeur, à juste titre, prétend n’avoir donné aucune autorisation au salarié pour accomplir les heures supplémentaires, ne pas avoir demandé d’heure supplémentaires et qu’aucune preuve contraire n’est produite par le salarié ;
La pratique dans la société était que chaque salarié envoie à la fin de chaque mois un tableau récapitulatif de ses heures supplémentaires, ce que le salarié demandeur n’a pas effectué ;
Que les heures de passage aux péages dont le salarié justifie n’impliqueraient pas en soi un travail effectif ;
Que la salariée n’établit pas que ses objectifs n’étaient pas adaptés à la durée de travail contractuelle mais nécessitait des heures supplémentaires.
La Cour de Cassation juge au contraire que le salarié présente des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre, celui-ci ne produisant aucun élément de contrôle de la durée de travail, la charge de la preuve a donc été mise exclusivement sur les épaules du salarié, contrairement aux dispositions de l’article L.3171-4 du Code du travail
2. Cass. Soc. 14 septembre 2022 n°21-18376.
Un Chauffeur-livreur sollicite ses heures supplémentaires, décédé entre-temps, la procédure est reprise par sa veuve.
La Cour d’Appel la déboute considérant que :
Elle présente un tableau détaillé avec un décompte journalier du nombre d’heures de travail accompli par son mari avec parfois les motifs des heures effectuées ;
Sur cette même période la Cour constate que des courriers ont été échangés dans lesquels le salarié demande « quelles étaient les véritables raisons de la suppression des heures supplémentaires », tout en se plaignant de s’être vu supprimer des tâches.
Les Juges d’appel considèrent qu’il s’agit d’une contradiction et déboutent la veuve des heures supplémentaires sollicitées.
La Cour de Cassation casse l’arrêt considérant que la veuve du salarié présentait des éléments suffisamment précis permettant à l’employeur d’y répondre et que la Cour d’Appel a mis la charge de la preuve uniquement sur le salarié.
3. Cass. Soc. 28 septembre 2022 n°21-13496.
Un Expert-sécurité licencié n’obtient pas les heures supplémentaires demandées, la Cour considérant que :
Les courriels qu’il produit envoyés aux salariés tôt le matin ou tard le soir n’avaient pas pour objectif d’obtenir un travail immédiat de sa part mais uniquement de le prévenir des rendez-vous convenus ;
Que les attestations produites d’où se déduisent que les clients pouvaient prendre rendez-vous de 9h à 21h du lundi au samedi voir le dimanche ne constituent pas des éléments suffisamment précis sur les heures effectuées ;
Que le tableau récapitulatif d’heures supplémentaires qu’il produit, n’apparaît pas crédible car il ne permet pas de connaître le détail d’heures que le salarié aurait effectivement réalisé.
Tous ces éléments ne permettant pas à l’employeur selon la Cour d’être en mesure d’y répondre.
Peine perdue, la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel jugeant qu’au contraire ces éléments étaient suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre et que la charge de la preuve a été de nouveau mise uniquement sur le salarié.
4. Cass. Soc. 9 novembre 2022 n°21-13389.
Les demandes d’heures supplémentaires d’un Directeur de magasin sont écartées par une Cour d’appel qui considère qu’il :
Présentait un décompte de sommes réclamées sans préciser pour chacune des années le nombre d’heures supplémentaires accomplies ;
Procédait à un calcul théorique appliqué de manière identique pour chacune des trois années ;
Et que ses demandes présentaient des écarts inexpliqués.
La Cour de Cassation casse l’arrêt considérant au contraire que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour que l’employeur puisse y répondre, alors même que celui-ci ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail. La charge de la preuve pesait exclusivement sur le salarié ce qui violait l’article L3171-4 du Code du travail.
5. Cass. Soc. 16 novembre 2022 n°21-17305.
Les demandes d’un Technicien sur le paiement de ses heures supplémentaires sont écartées par les Juges d’Appel car :
Le salarié ne produit que des tableaux mensuels reprenant les données de ses bulletins de salaire ;
Il produit deux tableaux pour chaque mois, le premier reprenant les données de son bulletin de salaire, le second mentionnant seulement le nombre d’heures supplémentaires qu’il sollicite.
Eléments imprécis pour la Cour d’Appel ne permettant pas à l’employeur d’y répondre.
La Cour de Cassation casse l’arrêt considérant que le salarié présente des éléments suffisamment précis et que la Cour a fait peser la charge de la preuve uniquement sur le salarié.
6. Cass. Soc.16 novembre 2022 n°21-16 073.
Un Rédacteur Graphiste Journaliste salarié protégé disposant d’un mandat de conseiller prud’hommes est également débouté par la cour d’appel qui considère :
Que le tableau analytique qu’il produit ne démontre pas qu’il a travaillé durant ses temps de pause repas ;
- Alors que la société communique une attestation de plusieurs de ses collègues qui contestent que le salarié ne travaillait pas pendant ses pauses repas.
La Cour de Cassation considère qu’il s’agit d’éléments suffisamment précis produits par le salarié permettant à l’employeur d’y répondre alors même que celui-ci ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail du salarié, elle casse l’arrêt d’appel qui a fait peser la charge de la preuve sur le salarié.
7. Cass. Soc. 16 novembre 2022 n°21-16736.
Un Agent de service licencié qui sollicite le paiement de ses supplémentaires est débouté par la Cour d’Appel qui considère que le salarié :
Produit un document manuscrit mentionnant pour chaque journée travaillée le nom d’un site et la référence à une durée ;
Une autre pièce intitulée remplacement des agents pour les mois de juillet et août 2014 mentionnant le nom d’un salarié d’un site sur lequel il travaille et une durée.
La Cour d’Appel considère que ces éléments ne renseignent nullement les heures de début et de fin de journée ni l’amplitude des journées avec les temps de pause, qu’ils sont généraux et imprécis, ne permettant pas à l’employeur d’y répondre.
L’arrêt est cassé, ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre il ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la charge de la preuve pesant uniquement sur le salarié.
8. Une dernière décision clôturera cette analyse confirmant l’extrême protection apportée par les Juges en matière de rémunération du salarié Cass. Soc 28 septembre 2022 n°21-13496.
Un Expert-sécurité n’obtient pas les heures supplémentaires demandées aux motifs entre autres qu’il ne justifie pas d’un accord au moins implicite de l’employeur ou de la nécessité d’effectuer des heures supplémentaires compte tenu des tâches qui lui sont confiées.
Et la Cour d’Appel ajoute même que le salarié n’a jamais sollicité son supérieur hiérarchique pour être autorisé à effectuer des heures au-delà de celles prévues par son contrat de travail et qu’il n’a pas évoqué la nécessité d’en effectuer pour atteindre ses objectifs.
Suivant sa jurisprudence habituelle, la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel observant que « l’absence d’autorisation préalable (de l’employeur) n’excluait pas en soi un accord tacite de l’employeur à la réalisation d’heures supplémentaires ».
C’est un véritable couperet de la Cour de Cassation qui sanctionne systématiquement cette argumentation habituelle des employeurs.
De manière radicale La Cour de Cassation écarte la preuve d’une quelconque demande par l’employeur d’effectuer des heures supplémentaires, celles-ci sont donc considérées avoir été effectuées par accord tacite de l’employeur.
En conclusion, le domaine de la rémunération que ce soit en matière d’heures supplémentaires comme le présent article, ou en matière de bonus, rémunération variable, prime d’objectifs continue de bénéficier d’une protection renforcée des Juges.
Pour aller plus loin : Panoroma des primes d’objectifs en 2022 (partie 1/2) et Panorama des primes d’objectifs en 2022 (partie 2/2).