Passe sanitaire et crise Covid 19 : ce qu’a decidé le Conseil Constitutionnel.

Par Tristan Herrera, Avocat.

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Explorer : # pass sanitaire # crise sanitaire # obligation vaccinale # isolement obligatoire

En pleine crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19, le Conseil Constitutionnel était amené à se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi voté par l’Assemblée nationale le 25 juillet 2021 ayant élargi son application (obligation vaccinale pour certaines professions, accès à certains lieux culturels et de loisir, isolement des malades …) et faisant l’objet de vifs débats dans la société depuis déjà plusieurs semaines.

Alors, qu’a décidé le Conseil, quel impact pour les mois à venir ? On vous fait un résumé ci-après.

-

Quel est le rôle du Conseil constitutionnel ?

Schématiquement et sans entrer dans le détail, le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi respecte la Constitution française, qualifiée de norme suprême qui vise à garantir les droits fondamentaux des citoyens et à organiser le fonctionnement des institutions.

Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres nommés pour neuf ans qui votent à la majorité. Leurs décisions s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et ne sont susceptibles d’aucun recours.

Le Conseil Constitutionnel peut être saisi de plusieurs manières : à priori (avant la promulgation d’une loi) ou à postériori (après l’entrée en vigueur d’une loi), par tout citoyen dans le cadre d’un litige via une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) ou directement par le Président de la République, les présidents des assemblées, le Premier ministre, 60 députés ou 60 sénateurs.

En l’occurrence, le Conseil a été saisi par le Premier ministre et par des députés et sénateurs dans le cadre d’un contrôle à priori du projet de loi voté par le Parlement le 25 juillet 2021 dit « Texte nº 4416, adopté par la commission mixte paritaire, de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte les dispositions restant en discussion du projet de loi rétablissant et complétant l’état d’urgence sanitaire »

Le Conseil, saisi en urgence, avait 8 jours pour se prononcer.

Dans un climat de tension et de débat sur le Pass sanitaire, qu’ont décidé les sages de la rue de Montpensier ?

Ce que prévoyait le texte de loi ?

Pour mémoire, le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoit d’étendre le recours au Pass sanitaire à l’accès aux cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite et pour pouvoir se déplacer en avion ou en train.

Ledit projet de loi prévoit également des mesures permettant d’obliger certains salariés qui travaillent dans des lieux accueillant du public à devoir présenter un Pass sanitaire, faute de quoi ils pourraient voir leurs contrats suspendus et sans rémunération.

Plus grave, les salariés en contrat à durée déterminée ou d’intérim ne présentant pas un Pass sanitaire pourraient voir leurs contrats de travail rompu, l’absence de Pass étant considéré comme un motif réel et sérieux de licenciement.

Il est également prévu l’obligation vaccinale pour les professionnels de santé, les étudiants en santé et plus généralement les services de secours (pompiers, transport sanitaire, distributeur de matériel sanitaire).

Enfin, le texte prévoyait une obligation d’isolement de 10 jours pour les malades.

Ces points ont fait l’objet de vifs débats au sein des assemblées et dans la société française. Le Conseil constitutionnel a désormais tranché.

Qu’a décidé le Conseil constitutionnel ?

Dans la Décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité de la loi, hormis deux mesures.

- Concernant l’obligation de présenter un Pass sanitaire pour accéder aux cafés, restaurants, centres commerciaux, établissements de santé, maisons de retraite et pour pouvoir se déplacer en avion ou en train :

Le Conseil constitutionnel a considéré que l’état des connaissances scientifiques justifiait le recours au Pass sanitaire en ce que le risque de circulation du virus entre les personnes vaccinées, rétablies ou ayant réalisé un test de dépistage, était fortement réduit.

Le Conseil ajoute également que l’application de ces mesures est limitée dans le temps (pour le moment au 15 novembre 2021), temps pendant lequel le risque de propagation de l’épidémie est important au regard de l’apparition de variants plus contagieux.

Le Conseil précise que le recours au Pass sanitaire a été limité à des activités spécifiques, lesquelles ont été déterminées du fait de la présence simultanée d’un nombre important de personnes dans un même lieu (foires, séminaires, centres commerciaux) ou car l’activité en elle-même présente un risque élevé de contagion (train, avion, restaurant, établissement de santé).

Enfin, les sages ajoutent que le législateur a prévu des garanties spécifiques pour certains lieux comme l’exclusion du Pass sanitaire en cas d’urgence concernant les établissements de soin et les transports ou la présence de seuil pour les centres commerciaux.

Il est précisé que le Conseil valide également l’obligation de présenter un Pass sanitaire pour entrer dans ces lieux concernant les mineurs de plus de 12 ans à compter du 30 septembre 2021, considérant qu’ils sont également un « vecteur de la diffusion du virus ».

Le Conseil a donc décidé que les dispositions du texte opèrent une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles et qu’elle ne contrevenait pas au principe d’égalité entre les citoyens.

Il faudra donc bien se munir d’un Pass sanitaire à compter du 31 août 2021 pour pouvoir se rendre au restaurant ou voyager.

- Concernant les obligations imposées au titre du Pass sanitaire à certains salariés et agents publics :

Sur ce point, le Conseil constitutionnel valide l’obligation pour les salariés ou agents publics de présenter un Pass sanitaire pour se rendre au travail.

Il considère en effet que le texte est conforme à la Constitution dès lors qu’il limite cette obligation jusqu’au 15 novembre 2021 et à certains secteurs d’activité présentant de graves risques de contamination.

Toutefois, il censure la disposition selon laquelle les salariés en contrat à durée déterminée et en intérim pourraient voir leur contrat de travail rompu alors que tel n’était pas le cas pour les salariés en contrat à durée indéterminée.

Le Conseil considère en effet que le législateur a « institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leur contrat de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi ».

Dès lors, les salariés en CDD ne pourront voir leur contrat rompu s’ils ne présentent pas de Pass vaccinal. Ils pourront seulement, comme pour les salariés en CDI, voir leur contrat suspendu, tout comme leur rémunération.

- Concernant l’obligation vaccinale aux professionnels de santé à compter du 14 septembre 2021 :

Sans précision particulière, le Conseil a validé l’obligation vaccinale au motif que « le législateur qui a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, n’a porté aucune atteinte au droit à l’emploi ou à la liberté d’entreprendre ».

Le Conseil a en effet considéré que l’objectif poursuivi justifiant l’application de la mesure d’autant plus que plusieurs garanties sont offertes au professionnel qui peut alors présenter soit :
- certificat de statut vaccinal,
- un certificat de rétablissement,
- un certificat médical de contre-indication à la vaccination,
- ou à défaut, un justificatif de l’administration des doses de vaccin requises par voie réglementaire ou un résultat de test de dépistage virologique négatif.

- Concernant l’obligation d’isolement de 10 jours pour les malades :

Sur ce point, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer la loi du Gouvernement.

En effet, l’article 9 du texte prévoyait l’obligation pour toute personne malade de s’isoler pendant 10 jours sous peine de sanctions pénales.

Toutefois, le Conseil a considéré que l’objectif poursuivi ne justifiait pas une telle atteinte.

D’une part, le conseil estime qu’en l’absence de décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire, une telle mesure privative de liberté ne saurait être mise en place.

Ainsi, même s’il est possible de demander à postériori un aménagement au regard des circonstances individuelles du malade, le conseil affirme que les dispositions de la loi «  ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu’elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée  ».

Dès lors, l’article 9 de la loi est jugé contraire à la Constitution et devra être écarté.

Quel est l’impact de cette décision ?

Le Conseil constitutionnel a décidé que le projet de loi était conforme à la constitution, hormis les réserves évoquées ci-avant.

Dès lors, le Président de la République peut désormais promulguer la loi, naturellement sans les textes qui ont fait l’objet d’une censure du Conseil.

Le texte entrera dès lors en vigueur, sur tout le territoire français, aux dates prévues dans la loi, soit dès le 9 août pour les premières mesures, et fin août courant septembre pour les prochaines.

Il est toutefois précisé que des décrets d’application devront être pris pour certaines mesures (ex. : accès aux centres commerciaux), décrets qui au regard des vives tensions qu’a suscitées ce texte, risquent à leur tour de faire l’objet de recours.

Tristan Herrera
Avocat à la Cour
tristan.herrera chez tha-avocats.com

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Discussions en cours :

  • Bonjour,
    Il me semble que votre résumé est soit incorrect, soit incomplet. J’aimerais avoir votre avis de juriste sur mon analyse :

    D’après ma lecture, la décision du conseil constitutionnel ne concernerait que le paragraphe I, point A de l’article 14 qui ne présente pas de caractère obligatoire pour la vaccination puisqu’il laisse la possibilité de se faire tester, et les autres parties de cet article 14 ne feraient donc l’objet d’aucune décision du conseil constitutionnel.

    CF https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021824DC.htm:
    "124. Il résulte de ce qui précède que le A du paragraphe I de l’article 14, qui ne méconnaît pas non plus la liberté d’aller et de venir ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution. "
    et :
    "Sur les autres dispositions :

    125. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision. "

    Le A du paragraphe I de l’article 14 ne concerne que la période jusqu’au 14 septembre inclus qui laisse la possibilité de présenter un test de dépistage (extrait : "ou le résultat, pour sa durée de validité, de l’examen dedépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19"). Le point B du paragraphe I de l’article 14 qui supprime cette possibilité (sauf à avoir reçu au moins une première dose), et rend donc la vaccination obligatoire, n’est donc pas couvert selon ma lecture par la décision du conseil constitutionnel.

    Cf https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0660_texte-adopte-provisoire.pdf

    Confirmez-vous ou infirmez-vous mon interprétation ?

    en vous remerciant.

  • par Krassilchik , Le 19 août 2021 à 10:11

    Bonjour,

    Le contrôle d’innéité du porteur de pass sanitaire n’est pas abordé car il est n’est pas inclus dans les motifs de la saisine du conseil constitutionnel car non prévu dans la loi déférée.

    La question est pourtant très importante.

    Sincèrement.

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