1- Le rejet de la responsabilité pénale des annonceurs
La proposition faite aux juges était simple : is fecit cui prodest, cherchez à qui le crime profite, vous trouverez le coupable.
Le crime, ou plus exactement, le délit de contrefaçon, profite sans aucun doute aux annonceurs, aux régies publicitaires et aux sites supports, d’où l’intérêt de chercher à les attraire en justice, sans trop douter de leur solvabilité. La publicité en ligne constitue aujourd’hui un soutient majeur a la contrefaçon d’œuvres protégées sur internet.
Pour faire bref, plus un site propose de téléchargements illégaux, plus il attire l’internaute, plus ses espaces publicitaires valent cher, et plus le site support est en définitive rentable pour lui-même, la régie et l’annonceur.
Les juges de la Cour d’appel de Paris, loin de s’arrêter à la maxime latine, ont écarté la responsabilité des annonceurs pour défaut d’élément intentionnel, puisqu’ils n’avaient pas eu connaissance de la diffusion de leurs bannières sur les sites litigieux et ce pour deux raisons :
Les annonceurs qui ne sont pas des professionnels de la publicité en ligne, n’ont pas décidé du placement des annonces litigieuses. (De surcroit, un des annonceurs avait spécifié a son mandataire d’achat d’espaces d’exclure les sites de P2P).
La société Neuf Telecom, en tant qu’annonceur, avait laissé une liberté totale à sa régie publicitaire pour l’achat d’espace. La Cour d’appel relevait « qu’une agence média qui fait appel à une régie multi-supports achète “un volume d’espace” sur des dizaines ou des centaines de sites constituant un bouquet mais que l’annonceur n’est jamais informé de la liste des sites sur lesquels ses publicités apparaissent ».
En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris avait pourtant relevé à propos des annonceurs que « leur expérience et leur importance économique impliquent qu’il serait surprenant qu’ils ignorassent tout de leur présence sur des sites de téléchargement ».
Il avait également souligné qu’« il est tout aussi difficilement crédible de considérer que les agences médias reconnues dans leur domaine aient pu outrepasser les termes des contrats les liant à des clients si importants sans obtenir leur accord ».
Il avait, enfin, conclu qu’« il est plausible de supposer que ces annonceurs aient toléré leur présence sur ces sites qui attirent plusieurs millions d’internautes chaque jour et qui constituent des supports publicitaires particulièrement attractifs ».
Les juges ne sont pas hypocrites et relèvent la complaisance des annonceurs qui connaissent globalement la destination de leurs annonces dont une brochette de sites illégaux. Le contraire est « difficilement crédible », seulement le doute profite à l’accusé. Ainsi prouver matériellement cette connaissance reste chose malaisée, d’autant plus que la pratique est susceptible d’être camouflée et n’apparaitra pas à travers les documents contractuels (plan média etc.) liant annonceurs et régie publicitaire, qu’en outre l’accusation devra se procurer.
Si en matière pénale, il existe plusieurs infractions, notamment de négligence (droit du travail, sécurité et hygiène…), qui présument l’élément intentionnel de leur auteur, la Cour d’appel avait bien relevé qu’il n’en était rien en l’espèce.
2- Les perspectives
La relaxe des annonceurs est bien fondée juridiquement, mais la solution n’est pas politiquement juste car elle ne permet pas d’endiguer les revenus publicitaires fondés sur des activités illicites.
Puisqu’il s’agit de politique, une première clef consisterait à lutter contre ce phénomène en instaurant une présomption de connaissance du caractère illicite du site sur lesquels sont diffusées les publicités des annonceurs par ces derniers, en faisant peser sur les régies publicitaires une obligation d’information sur leurs bouquets d’espaces à destination des annonceurs. Allez donner cette clef à un aveugle… l’hémicycle.
Une deuxième clef pourrait ouvrir la responsabilité des régies publicitaires. À la vue de cette jurisprudence, il faut se demander si les ayants-droit peuvent changer leur fusil d’épaule, pour viser non-plus les annonceurs mais les régies publicitaires en tant que complice de contrefaçon.
Les régies publicitaires sont conscientes de la composition des bouquets (sites supports) qu’ils proposent aux annonceurs :
Comme le relevait la Cour d’appel de Paris une régie multi-supports achète “un volume d’espace” sur des dizaines ou des centaines de sites constituant un bouquet, ce qui n’exclu pas un contrôle humain ou automatique sur la licéité des sites supports.
Il existe un contrat type de régie publicitaire on-line (ROL) qui comprend à la charge du site support une obligation d’information notamment sur son objet envers la régie, « Ainsi pèse sur le titulaire du site une large obligation d’information du régisseur dans la mesure où il doit lui fournir toute information utile sur son site pouvant favoriser la prospection ». En l’absence de contrat type, les règles spécifiques du mandat prévu par la loi Sapin du 29 janvier 1993 ne sont pas applicables à ce contrat, la relation entre la régie et le support est le plus souvent qualifié de mandat d’intérêt commun qui impose une obligation d’information réciproque entre les parties.
Si tout porte à croire que dans les faits, les régies sont bel et bien informées de la destination des annonces publicitaires, malheureusement, les rapports contractuels existants entre régies et sites supports ne sont pas de nature à traduire leur mauvaise foi ou intention.
Les juges pourraient user de leur pouvoir prétorien pour instaurer une présomption d’intention des régies puisqu’en vertu du principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi, l’intention coupable peut, dans un certain nombre de délits, être présumée lorsque la matérialité des faits est établie. Dans cette hypothèse, l’intention coupable pourrait résulter du mandat d’intérêt commun liant les deux protagonistes et les obligeant à une information réciproque.
La situation reste préoccupante, puisqu’il existe à ce jour une économie licite, celle de la publicité en ligne, qui pousse l’économie illicite de la contrefaçon d’œuvres protégées sur internet. Cela s’avère d’autant plus choquant que le législateur qui mitraille en direction de ces sites illicites, ne s’attaque pas aux racines du mal et à leur soutien financier.