Les constats qui servent de base aux préconisations sont toutes négatives et ce, « unanimement » : les Conseils de Prud’hommes (CPH) ne fonctionnent pas normalement, leur tare principale consistant dans des délais excessifs de jugement : la durée moyenne des affaires s’élève à 11,9 mois, c’est-à-dire deux fois plus que devant le Tribunal de Commerce ou le Tribunal d’Instance (5,4 et 5,8 mois), une fois et demi plus que devant les TGI (7 mois) et même encore moins rapide qu’une Cour d’appel (11.4 mois).
S’agissant de statistiques nationales, il convient toutefois de trier le bon grain de l’ivraie : certaines juridictions (Arles, Nanterre, Paris, Bobigny, Créteil, Bordeaux) concentrent la plupart des critiques à ce sujet, tandis que la plupart des autres exercent leur fonction dans des délais raisonnables.
On ne peut s’empêcher de relever l’ironie du rapport qui s’appuie sur une question écrite posée en 2011 par Monsieur BARTOLONE (alors député mais pas encore président de l’Assemblée) le 18 janvier 2011 et à laquelle le Ministre de la Justice a répondu le 27 décembre … soit plus de 11 mois après ! Autrement dit, la lenteur n’est manifestement pas l’apanage des juges.
Toujours est-il que ces délais excessifs ont valu à la France une multitude de condamnations (61 fois en 2012 dont 58 concernent la juridiction prud’homale).
Bref, rien ne va plus au pays des Prud’hommes !
Après ce constat peu amène, le rapport préconise ses premières réformes touchant directement le cadre de l’organisation judiciaire où est actuellement intégré le CPH. Au-delà de quelques aménagements (par exemple un accès sécurisé des magistrats aux ressources de l’intranet justice et notamment de la jurisprudence - source de droit centrale en la matière - ou le changement d’intitulé : le Conseil deviendrait le Tribunal des Prud’hommes), il insiste sur une meilleure formation des conseillers, qui n’est aujourd’hui pas obligatoire et manifestement sous-utilisée.
Il est également préconisé de revoir la carte des juridictions prud’homales en fonction des bassins de population et d’emploi dans la mesure où certains CPH sont surchargés tandis que d’autres insuffisamment occupés. Les Conseillers seraient mieux intégrés dans l’Ordre Judiciaire ordinaire, se rapprochant du statut de leurs collègues professionnels, sous l’égide des Chefs de Cour et même du Procureur de la République, impliquant la compétence du Conseil Supérieur de la Magistrature pour toutes les questions relatives à la discipline des Juges prud’homaux, même si le Conseil Supérieur de la Prud’homie conserverait un rôle alors élargi et même un pouvoir d’initiative.
Pas de remise en cause du paritarisme … pour l’instant.
A ce stade, le rapport ne remet pas en cause le paritarisme (la composition prud’homale égale employeurs-salariés) mais ne manque pas de relever son caractère isolé en Europe. Sont cités les pays européens où l’échevinage est la règle (c’est-à-dire une composition associant Juge professionnel et non professionnels, le premier ayant bien souvent voix prépondérante sur le second comme en Allemagne et en Belgique) ou ceux d’une justice du travail purement professionnelle (Espagne, Italie, Pays Bas).
La principale nouveauté suggérée par le rapport au titre des compétences juridictionnelles consiste à faire désormais traiter par le Tribunal de grande instance les « actions collectives » du travail permettant ainsi de traiter efficacement les contentieux dits « sériels » ; cette action ne serait ouverte qu’aux syndicats représentatifs dans l’entreprise.
Il est vrai que l’exemple cité dans le rapport incite à réfléchir : sur une même question relative à un licenciement économique collectif, cinq Cours d’appel s’étaient prononcées avec réponses « contrastées », ce qui avait contraint la Cour de cassation à unifier la jurisprudence dans un arrêt quelques années plus tard … Toutefois, on ne voit pas, à ce stade, ce qui empêcherait différents TGI, saisis d’une même question aux cinq coins de l’Hexagone, de donner eux aussi des réponses différentes au regard des éléments factuels qui leur seraient soumis. Les CPH conserveraient l’étude des situations individuelles des salariés mais cela résoudrait-il véritablement le problème posé ?
Procédure écrite vs oralité
C’est sur une autre particularité actuelle de la procédure prud’homale que le rapport est le plus ambitieux : l’oralité de la procédure (ce qui signifie que le débat devant les Juges est prépondérant) y est en effet remise en cause.
Partant du constat que sa simplicité est à relativiser, elle se révèle insuffisamment efficace voire une source d’allongement du délai de traitement, M. LACABARATS préconise l’introduction de plus de formalisme, dès la saisine au moyen d’un formulaire « cerfa » ainsi que dans la communication entre les parties et même avec Pôle Emploi.
L’étape préalable de la conciliation n’est pas oubliée : le bureau serait renommé « conciliation et orientation » (BCO), composé de Conseillers aux pouvoirs « enrichis » avec, là aussi, l’utilisation d’un formulaire cerfa en cas de conciliation, ainsi que :
la possibilité de délivrer une décision valant attestation Pôle Emploi ;
le renvoi immédiat devant le Juge départiteur ;
ou encore la possibilité, inédite, de statuer comme Juge du fond si le défendeur est absent sans motif légitime.
Le BCO pourrait également, avec l’accord des parties, mettre en place un « circuit court simplifié » ce qui signifie concrètement que l’audience de jugement aurait lieu au plus tard 3 mois après celle de tentative de conciliation pour le « contentieux répétitif autour des conséquences de la rupture du contrat de travail » et assorti d’un barème indemnitaire. Celui-ci tiendrait compte de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, rappelant ainsi les dispositions du Code du Travail qui prévoient l’allocation de 6 mois de salaire minimum en réparation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le salarié compte plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de 11 salariés [1].
On se souvient que les partenaires sociaux avaient introduit cette notion de barème dans l’Accord National Interprofessionnel et repris dans la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Il semble assez peu appliqué en pratique ; mais il est vrai que, par définition, ce type de décision émanant du pouvoir exécutif empiète largement sur les attributions du pouvoir judiciaire. En d’autres termes, tout barème retire une partie de son appréciation souveraine au Juge.
Mise en état
Enfin, l’instauration d’une « mise en état » des dossiers est suggérée, comme cela se pratique très formellement devant les juridictions civiles ordinaires. Certains CPH et la plupart des Cours d’Appel la pratiquent déjà, ce qui est en effet un moyen de s’assurer du respect des délais et d’introduire plus de rigueur dans le mécanisme.
Comme toute règle, son effectivité ne sera assurée que si des sanctions l’accompagne (par exemple : une date impérative de clôture avec impossibilité d’ajouter des pièces ultérieurement, comme en procédure civile avec représentation obligatoire). Le rapport ne va pas jusque-là.
… mais il franchit une autre étape en proposant d’adopter une procédure totalement écrite en appel, laissant toutefois la possibilité aux parties de présenter les observations orales lors de l’audience.
Le Conseil de Prud’hommes va-t-il perdre ses spécificités ?
Telles sont les observations que l’on peut porter sur quelques-unes des quarante-cinq propositions du rapport LACABARATS dont l’objectif principal explicite d’améliorer les délais de traitement des affaires prud’homales. On l’a lu : les axes de réforme concernent principalement la simplification des procédures, l’amélioration de la rigueur dans le système ce qui implique une meilleure formation et indemnisation des magistrats, quelques garde-fous concernant les délais une fois la procédure lancée … tout en n’évitant pas la remise en cause de certaines particularités historiques du CPH : atténuation de l’oralité, barémisation de l’indemnisation, intégration dans l’ordre judiciaire ordinaire, transfert de certains dossiers au TGI, fin du principe d’unicité d’instance …
La juridiction prud’homale mérite sans doute d’être améliorée (comme beaucoup d’autre chose dans notre système judiciaire), mais faut-il pour autant la « faire rentrer dans le rang » ? La question se pose d’autant plus que ce rapport très récent fait suite au précédent (pas très vieux non plus : il a été déposé en décembre 2013 et connu sous le nom de « mission Marshall ») qui suggérait déjà une grande partie des réformes aujourd’hui reprise par Monsieur LACABARATS, mais sans avoir été traduit dans les faits.
Parti pris ?
Enfin, on ne peut s’empêcher de relever l’angle sous lequel la Ministre de la Justice a sollicité le rapporteur : dans sa lettre de mission du 18 février 2014, elle écrit que « la justice du travail est celle qui touche au quotidien les plus faibles. Nous avons le devoir de faire en sorte que cette justice leur soit simple, accessible et diligente ».
Elle vise donc presque explicitement les salariés et il est vrai qu’ils se trouvent quasi systématiquement en position de demandeurs ; en d’autres termes, ce sont eux qui ont le plus grand intérêt à ce que le procès aboutisse rapidement … Faut-il pour autant omettre totalement l’autre partie au procès (l’employeur), qui n’est pas nécessairement une grande entreprise disposant d’un bataillon de juristes et d’avocats dont le rôle serait de faire traîner la procédure et de mettre des bâtons dans les roues du salarié demandeur ? Il suffit de se rendre dans n’importe quel Conseil de Prud’hommes pour consulter les rôles d’audience, affichés à l’entrée des salles, pour constater que nombre de litiges concernent des PME/TPE locales dont, par définition à ce stade, les torts ne sont pas démontrés et que les demandes du salariés, quelle que soit la durée de la procédure, peuvent parfaitement au final être rejetées.
La justice prud’homale, rendue paritairement par les employeurs et salariés, est faite pour les salariés mais également pour les employeurs. Ils sont égaux en droits comparaissant devant leurs pairs. C’est ce qui fait l’essence même de la justice du travail à la française.
Discussions en cours :
Bonjour,
Si la phase de conciliation est une étape rendue obligatoire par le Code du travail (article L. 1411-1 C. tr.), elle n’a pas nécessairement à aboutir à une solution (R. 1454-10 C. tr. : "s’efforce de les concilier"). Dans ce cas, l’affaire est renvoyée devant le bureau de jugement.
Il ressort d’études récentes que la phase de conciliation est, dans la plupart des cas, inefficace. Seulement une affaire sur dix sont résolues lors de cette phase (Infostat Justice nº 105, Les affaires prud’homales en 2007).
La principale obsession des réformateurs de la justice ce sont les délais la gestion des stocks la qualité des jugements rendus passe au second rang pourtant si on veut limiter les appels il faut rendre de bons jugements...
Les avocats qui pratiquent beaucoup cette matière le constate au quotidien les dossiers devant le conseil de prud’hommes sont souvent compliqués si ce n’est en droit souvent en fait . Au Tribunal de commerce mais aussi au TI et même au TGI un grande nombre de dossiers sont des demandes en paiement (factures, crédits etc).
sur 9 à 10 affaires inscrites au rôle le vendredi matin au CPH de Lyon, activités diverses, nous constatons systématiquement 4 à 5 renvois ou radiations, pour dossiers non prêts. Cela entraîne donc une nouvelle mise au rôle désormais pour septembre 2015. Or, dans toutes les critiques axées sur les délais, cet état de fait lié au travail - ou plutôt au non-travail- des parties et des avocats, sont passées sous silence
La mise en place d’une mise en état éviterait les renvois à l’audience dont certains se plaignent au TGI ce problème ne se pose pas .
parfaitement d’accord avec vous